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le patriarchat grec de Conftantinople. C'eft quelque- 1711. fois un dragoman, c'est-à-dire, un interprète du divan qui obtient cette place. Rarement la Moldavie et la Valachie font réunies fous un même vaivode; la Porte partage ces deux provinces, pour en être plus sûre. Démétrius Cantemir avait obtenu la Moldavie. On fefait defcendre ce vaivode Cantemir de Tamerlan, parce que le nom de Tamerlan était Timur, que ce Timur était un kan tartare; et du nom de Timur-kan venait, difaiton, la famille de Kantemir.

Baffaraba Brancovan avait été invefti de la Valachie. Ce Baffaraba ne trouva point de généalogifle qui le fît defcendre d'un conquérant tartare. Cantemir crut que le temps était venu de fe fouftraire à la domination des Turcs, et de fe rendre indépendant par la protection du czar. Il fit précisément avec Pierre ce que Mazeppa avait fait avec Charles. Il engagea même d'abord le hospodar de Valachie, Baffaraba, à entrer dans la confpiration dont il espérait recueillir tout le fruit. Son plan était de fe rendre maître des deux provinces. L'évêque de Jérufalem, qui était alors en Valachie, fut l'ame de ce complot. Cantemir promit au czar des troupes et des vivres, comme Mazeppa en avait promis au roi de Suède, et ne tint pas mieux fa parole.

Legénéral Sheremetof s'avança jufqu'à Yaffi, capitale de la Moldavie, pour voir et pour foutenir l'exécution. de ces grands projets. Cantemir l'y vint trouver et en fut reçu en prince; mais il n'agit en prince qu'en publiant un manifefte contre l'empire turc. Le hofpodar de Valachie, qui démêla bientôt ses vues ambitieuses, abandonna fon parti, et rentra dans fon devoir.

1711. L'évêque de Jérufalem, craignant juftement pour fa tête, s'enfuit et fe cacha; les peuples de la Valachie et de la Moldavie demeurèrent fidèles à la Porte ottomane, et ceux qui devaient fournir des vivres à l'armée ruffe les allèrent porter à l'armée turque.

Déjà le vifir Baltagi Mehemet avait passé le Danube, à la tête de cent mille hommes, et marchait vers Yaffi, le long du Pruth, autrefois le fleuve Hiérase, qui tombe dans le Danube, et qui eft à peu-près la frontière de la Moldavie et de la Bessarabie. Il envoya alors le comte Poniatowski, gentilhomme polonais attaché à la fortune du roi de Suède, prier ce prince de venir lui rendre vifite, et voir fon armée. Charles ne put s'y réfoudre; il exigeait que le grand vifir lui fît fa première vifite dans fon afile, près de Bender: fa fierté l'emporta fur fes intérêts. Quand Poniatowski revint au camp des Turcs, et qu'il excufa les refus de Charles XII: Je m'attendais bien, dit le vifir au kan des Tartares, que ce fier paien en uferait ainsi. Cette fierté réciproque, qui aliène toujours tous les hommes en place, n'avança pas les affaires du roi de Suède : il dut d'ailleurs s'apercevoir bientôt que les Turcs n'agiffaient que pour eux et non pas pour lui.

Tandis que l'armée ottomane paffait le Danube, le czar avançait par les frontières de la Pologne, paffait le Borysthène pour aller dégager le maréchal Sheremetof qui, étant au midi de Yaffi, fur les bords du Pruth, était menacé de fe voir bientôt environné de cent mille turcs et d'une armée de tartares. Pierre, avant de paffer le Boryfthène, avait craint d'exposer Catherine à un danger qui devenait chaque jour plus terrible; mais Catherine regarda cette attention du czar comme

un outrage à fa tendreffe et à fon courage; elle fit tant d'inftances que le czar ne put fe paffer d'elle; l'armée la voyait avec joie à cheval, à la tête des troupes; elle fe fervait rarement de voiture. Il fallut marcher audelà du Borysthène par quelques déserts, traverser le Bog, et enfuite la rivière du Tiras qu'on nomme aujourd'hui Niefter; après quoi l'on trouvait encore un autre désert avant d'arriver à Yaffi fur les bords du Pruth. Elle encourageait l'armée, y répandait la gaieté, envoyait des fecours aux officiers malades, et étendait fes foins fur les foldats.

1711.

On arriva enfin à Yaffi, où l'on devait établir des 4 juillet. magafins. Le hofpodar de Valachie, Baffaraba, rentré dans les intérêts de la Porte, et feignant d'être dans ceux du czar, lui propofa la paix, quoique le grand vifir ne l'en eût point chargé : on fentit le piége; on fe borna à demander des vivres qu'il ne pouvait ni ne voulait fournir. Il était difficile d'en faire venir de Pologne; les provifions que Cantemir avait promises, et qu'il espérait en vain tirer de la Valachie, ne pouvaient arriver; la fituation devenait très-inquiétante. Un fléau dangereux fe joignit à tous ces contre-temps; des nuées de fauterelles couvrirent les campagnes, les dévorèrent et les infectèrent l'eau manquait fouvent dans la marche fous un foleil brûlant et dans des déferts arides; on fut obligé de faire porter à l'armée de l'eau dans des tonneaux.

Pierre dans cette marche fe trouvait, par une fatalité fingulière, à portée de Charles XII; car Bender n'est éloigné que de vingt-cinq lieues communes de l'endroit où l'armée ruffe campait auprès de Yaffi. Des partis de cofaques pénétrèrent jufqu'à la retraite de Charles;

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1711. mais les tartares de Crimée, qui voltigeaient dans ces quartiers, mirent le roi de Suède à couvert d'une furprife. il attendait avec impatience et fans crainte dans fon camp l'événement de la guerre.

Pierre fe hâta de marcher fur la rive droite du Pruth, dès qu'il eut formé quelques magasins. Le point décifif était d'empêcher les Turcs, poftés au-deffous fur la rive gauche, de paffer ce fleuve, et de venir à lui. Cette manœuvre devait le rendre maître de la Moldavie et de la Valachie; il envoya le général Janus avec l'avant garde, pour s'opposer à ce paffage des Turcs: mais ce général n'arriva que dans le temps même qu'ils passaient sur leurs pontons; il fe retira, et fon infanterie fut poursuivie jufqu'à ce que le czar vînt luimême le dégager.

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L'armée du grand vifir s'avança donc bientôt vers celle du czar, le long du fleuve. Ces deux armées étaient bien différentes celle des Turcs, renforcée des Tartares, était, dit-on, de près de deux cents cinquante mille hommes; celle des Ruffes n'était alors que d'environ trente fept mille combattans. Un corps affez confidérable, fous le général Renne, était au-delà des montagnes de la Moldavie, fur la rivière de Sireth; et les Turcs coupèrent la communication.

Le czar commençait à manquer de vivres, et à peine fes troupes, campées non loin du fleuve, pouvaient-elles avoir de l'eau; elles étaient expofées à une nombreuse artillerie placée par le grand visir sur la rive gauche, avec un corps de troupes qui tirait fans ceffe fur les Ruffes. Il paraît par ce récit trèsdétaillé et très-fidèle, que le vifir Baltagi Mehemet, loin d'être un imbécille, comme les Suédois l'ont représenté,

s'était conduit avec beaucoup d'intelligence. Paffer le 1711. Pruth à la vue d'un ennemi, le contraindre à reculer et le poursuivre, couper tout d'un coup la communication entre l'armée du czar et un corps de fa cavalerie, enfermer cette armée fans lui laiffer de retraite, lui ôter l'eau et les vivres, la tenir fous des batteries de canon qui la menacent d'une rive oppofée; tout cela n'était pas d'un homme fans activité et fans prévoyance.

Pierre alors fe trouva dans une plus mauvaise position que Charles XII à Pultava; enfermé comme lui par une armée fupérieure, éprouvant plus que lui la difette, et s'étant fié comme lui aux promeffes d'un prince trop peu puiffant pour les tenir, il prit le parti de la retraite, et tenta d'aller choifir un camp avantageux, en retournant vers Yaffi.

Il décampa dans la nuit; mais à peine eft-il en 20 juillet. marche que les Turcs tombent fur fon arrière-garde au point du jour. Le régiment des gardes préobazinsky arrêta long-temps leur impétuofité. On fe forma, on fit des retranchemens avec les chariots et le bagage. Le même jour toute l'armée turque attaqua encore les Ruffes. Une preuve qu'ils pouvaient se défendre, quoi qu'on en ait dit, c'eft qu'ils fe défendirent très- 21 juillet. long-temps, qu'ils tuèrent beaucoup d'ennemis, et qu'ils ne furent point entamés.

Il y avait dans l'armée ottomane deux officiers du roi de Suède; l'un, le comte Poniatowski; l'autre, le comte de Sparre, avec quelques cofaques du parti de Charles XII. Mes mémoires difent que ces généraux confeillèrent au grand vifir de ne point combattre, de couper l'eau et les vivres aux ennemis, et de les forcer

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