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1708. Rien ne put réfifter à fon activité; il jeta un pont à

la vue des Ruffes; il battit le détachement qui gardait ce paffage, et arriva à Hollofin fur la rivière de Vabis. C'était là que le czar avait pofté un corps confidérable qui devait arrêter l'impétuofité de Charles. La petite rivière de Vabis (xx) n'eft qu'un ruiffeau dans les féchereffes; mais alors c'était un torrent impétueux, profor, groffi par les pluies. Au-delà était un marais, et deisière ce marais les Ruffes avaient tiré un retranchement d'un quart de lieue, défendu par un large foffé, et couvert par un parapet garni d'artillerie. Neuf régimens de cavalerie et onze d'infanterie étaient avantageusement difpofés dans ces lignes. Le passage de la rivière paraiffait impoffible.

Les Suédois, felon l'ufage de la guerre, préparèrent des pontons pour paffer, et établirent des batteries de canons pour favorifer la marche; mais Charles n'attendit pas que les pontons fuffent prêts; fon impatience de combattre ne fouffrait jamais le moindre retardement. Le maréchal de Shwerin, qui a long-temps fervi fous lui, m'a confirmé plufieurs fois qu'un jour d'action il difait à fes généraux, occupés du détail de fes difpofitions: Aurez-vous bientôt terminé ces bagatelles? et il s'avançait alors le premier, à la tête de fes drabans: c'eft ce qu'il fit fur-tout dans cette journée mémorable.

Il s'élance dans la rivière, fuivi de fon régiment des gardes. Cette foule rompait l'impétuofité du flot; mais on avait de l'eau jufqu'aux épaules, et on ne pouvait se fervir de fes armes. Pour peu que l'artillerie du

(xx) En ruffe bibitsch.

parapet

parapet eût été bien fervie, et que les bataillons 1708. euffent tiré à propos, il ne ferait pas échappé un feul

fuédois.

Le roi, après avoir traversé la rivière, passa encore 25 juillet. le marais à pied. Dès que l'armée eut franchi ces obftacles à la vue des Ruffes, on fe mit en bataille; on attaqua fept fois leurs retranchemens, et les Ruffes ne cédèrent qu'à la feptième. On ne leur it } que douze pièces de campagne et vingt-quatre mo.ers à grenades, de l'aveu même des hiftoriens fuédois.

Il était donc visible que le czar avait réuffi à former des troupes aguerries; et cette victoire d'Hollofin, en comblant Charles XII de gloire, pouvait lui faire fentir tous les dangers qu'il allait courir en pénétrant dans des pays fi éloignés: on ne pouvait marcher qu'en corps féparés, de bois en bois, de marais en marais, et à chaque pas il fallait combattre : mais les Suédois, accoutumés à tout renverfer devant eux, ne redoutèrent ni danger ni fatigue.

Hift. de Ruffie.

M

1708.

CHAPITRE X VII.

Charles XII paffe le Borythène, s'enfonce en Ukraine, prend mal fes mefures. Une de fes armées est défaite par Pierre le grand : fes munitions font perdues. Il s'avance dans des deferts. Aventures en Ukraine.

ENFIN Charles arriva fur la rive du Borysthène, à

une petite ville nommée Mohilo. () C'était à cet endroit fatal qu'on devait apprendre s'il dirigerait fa route à l'orient vers Mofcou, ou au midi vers l'Ukraine. Son armée, fes ennemis, fes amis s'attendaient qu'il marcherait à la capitale. Quelque chemin qu'il prît, Pierre le fuivait depuis Smolensko avec une forte armée; on ne s'attendait pas qu'il prendrait le chemin de l'Ukraine: cette étrange réfolution lui fut inspirée par Mazeppa, hetman des Cofaques; c'était un vieillard de foixante et dix ans qui, n'ayant point d'enfans, femblait ne devoir penfer qu'à finir tranquillement fa vie: la reconnaiffance devait encore l'attacher au czar, auquel il devait fa place; mais foit qu'il eût en effet à fe plaindre de ce prince, foit que la gloire de Charles XII l'eût ébloui, foit plutôt qu'il cherchât à devenir indépendant, il avait trahi fon bienfaiteur, et s'était donné en fecret au roi de Suède, fe flattant de faire avec lui révolter toute fa nation.

Charles ne douta pas de triompher de tout l'empire (1) En ruffc Mogilew.

ruffe, quand les troupes victorieufes feraient fecondées d'un peuple fi belliqueux. Il devait recevoir de Mazeppa les vivres, les munitions, l'artillerie qui pouvaient lui manquer: à ce puiffant fecours devait se joindre une armée de feize à dix-huit mille combattans, qui arrivait de Livonie, conduite par le général Levenhaupt, conduifant après une quantité prodigieufe de provifions de guerre et de bouche. Charles ne s'inquiétait pas fi le czar était à portée de tomber fur cette armée, et de le priver d'un fecours fi néceffaire. Il ne s'informait pas fi Mazeppa était en état de tenir toutes fes promeffes, fi ce cofaque avait affez de crédit pour faire changer une nation entière, qui ne prend confeil que d'elle-même, et s'il reftait enfin affez de reffources à fon armée dans un malheur; et en cas que Mazeppa fût fans fidélité ou fans pouvoir, il comptait fur fa valeur et fur fa fortune. L'armée fuédoise avança donc au-delà du Boryfthène vers la Defna; et c'était entre ces deux rivières que Mazeppa était attendu. La route était pénible, et des corps de ruffes voltigeant dans ces quartiers rendaient la marche dangereuse.

1708.

Menzikoff, à la tête de quelques régimens de cava- 11 feptemb. lerie et de dragons, attaqua l'avant-garde du roi, la mit en défordre, tua beaucoup de fuédois, perdit encore plus des fiens, mais ne fe rebuta pas. Charles, qui accourut fur le champ de bataille, ne repoussa les Ruffes que difficilement, en rifquant long-temps fa vie, et en combattant contre plufieurs dragons qui l'environnaient. Cependant Mazeppa ne venait point; les vivres commençaient à manquer; les foldats fuédois voyant leur roi partager tous leurs dangers, leurs

1708. fatigues et leur difette, ne fe découragaient pas, mais en l'admirant ils le blâmaient et murmuraient.

L'ordre envoyé par le roi à Levenhaupt, de marcher avec fon armée et d'amener des munitions en diligence, avait été rendu douze jours trop tard, et ce temps était long dans une telle circonftance. Levenhaupt marchait enfin : Pierre le laiffa paffer le Boryfthène; et quand cette armée fut engagée entre ce fleuve et les petites rivières qui s'y perdent, il paffa le fleuve après lui, et l'attaqua avec les corps rassembles qui fe fuivaient presque en échelons. La bataille se donna entre le Boryfthène et la Soffa. (zz)

Le prince Menzikoff revenait avec ce même corps de cavalerie qui s'était mefuré contre Charles XII; le général Bauer le fuivait, et Pierre conduifait de fon côté l'élite de fon armée. Les Suédois crurent avoir à faire à quarante mille combattans; et on le crut long-temps fur la foi de leur relation. Mes nouveaux mémoires in'apprennent que Pierre n'avait que vingt mille hommes dans cette journée; ce nombre n'était pas fort fupérieur à celui de fes ennemis. L'activité du czar, fa patience, fon opiniâtreté, celle de fes troupes animées par fa préfence, décidèrent du fort, non pas de cette journée, mais de trois journées confécutives, pendant lefquelles on combattit à plufieurs reprises.

D'abord on attaqua l'arrière-garde de l'armée fuédoife près du village de Lefnau, qui a donné le nom à cette bataille. Ce premier choc fut fanglant, fans être décifif. Levenhaupt fe retira dans un bois, et

(zz) En ruffe Soeza.

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