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l'Europe, on voit bien que c'est le courage d'efprit 1706. qui fait perdre ou conserver les Etats, qui les élève ou qui les abaiffe.

Deux traits achevèrent de combler l'infortune du roi de Pologne, électeur de Saxe, et l'abus que Charles XII fefait de fon bonheur; le premier fut une lettre de félicitation que Charles força Augufte d'écrire au nouveau roi Stanislas; le fecond fut horrible; ce même Augufte fut contraint de lui livrer Patkul, cet ambassadeur, ce général du czar. L'Europe fait affez que ce miniftre fut depuis roué vif, à Cafimir, au mois de feptembre 1707. Le chapelain Norberg avoue que tous les ordres pour cette exécution furent écrits de la propre main de Charles.

Il n'est point de jurifconfulte en Europe, il n'eft pas même d'efclave qui ne fente toute l'horreur de cette injuftice barbare. Le premier crime de cet infortuné était d'avoir représenté refpectueufement les droits de fa patrie, à la tête de fix gentilshommes livoniens, députés de tout l'Etat : condamné pour avoir rempli le premier des devoirs, celui de fervir fon pays felon les lois, cette fentence inique l'avait mis dans le plein droit naturel qu'ont tous les hommes de fe choifir une patrie. Devenu ambassadeur d'un des plus grands monarques du monde, fa perfonne était facrée. Le droit du plus fort viola en lui le droit de la nature et celui des nations. Autrefois l'éclat de la gloire couvrait de telles cruautés, aujourd'hui elles la terniffent.

1707.

Janvier.

CHAPITRE XV I.

On veut faire un troifième roi en Pologne. Charles XII part de Saxe avec une armée floriffante, traverse la Pologne en vainqueur. Cruautés exercées. Conduite du czar. Succès de Charles qui s'avance enfin vers la Ruffie.

CHARLES XII jouiffait de ses succès dans Altranstad

près de Leipfic. Les princes proteftans de l'empire d'Allemagne venaient en foule lui rendre leurs hommages et lui demander fa protection. Prefque toutes les puiffances lui envoyaient des ambassadeurs. L'empereur Jofeph I déférait à toutes fes volontés. Pierre alors, voyant que le roi Auguste avait renoncé à sa protection et au trône, et qu'une partie de la Pologne reconnaissait Stanislas, écouta les propofitions que lui fit Yolkova d'élire un troisième roi.

On proposa plufieurs palatins dans une diète à Lublin : on mit fur les rangs le prince Ragotsky; c'était ce même prince Ragotsky long-temps retenu en prifon dans fa jeunesse par l'empereur Léopold, et qui depuis fut fon compétiteur au trône de Hongrie, après s'être procuré la liberté. Cette négociation fut pouffée trèsloin, et il s'en fallut peu qu'on ne vît trois rois de Pologne à la fois. Le prince Ragotski n'ayant pu réuffir, Pierre voulut donner le trône au grand général de la république, Siniawski, homme puissant, accrédité, chef d'un tiers-parti, ne voulant reconnaître ni Augufte détrôné, ni Stanislas élu par un parti contraire.

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Au milieu de ces troubles on parla de paix, comme on fait toujours. Buzenval, envoyé de France en Saxe, s'entremit pour réconcilier le czar et le roi de Suède. On penfait alors à la cour de France que Charles, n'ayant plus à combattre ni les Ruffes ni les Polonais, pourrait tourner fes armes contre l'empereur Jofeph, dont il était mécontent, et auquel il impofait des lois dures pendant fon féjour en Saxe;mais Charles répondit qu'il traiterait de la paix avec le czar dans Mofcou. C'est alors que Pierre dit: Mon frère Charles veut " faire l'Alexandre, mais il ne trouvera pas en moi " un Darius. 99

Cependant les Ruffes étaient encore en Pologne, et même à Varfovie, tandis que le roi donné aux Polonais par Charles XII était à peine reconnu d'eux, et que Charles enrichiffait fon armée des dépouilles des Saxons.

1707.

Enfin il partit de fon quartier d'Altranftad, à la 22 augufte. tête d'une armée de quarante-cinq mille hommes,

à laquelle il femblait que fon ennemi ne dût jamais
réfifter, puifqu'il l'avait entièrement défait avec huit
mille à Nerva.

Ce fut en paffant fous les murs de Drefde qu'il alla 27 auguste.
faire au roi Augufte cette étrange visite, qui doit causer
de l'admiration à la postérité, à ce que dit Norberg: elle
peut au moins caufer quelque étonnement. C'était
beaucoup rifquer que de fe mettre entre les mains
d'un prince auquel il avait ôté un royaume. Il repaffa
par la Siléfie, et rentra en Pologne.

Ce pays était entièrement dévafté par la guerre, ruiné par les factions et en proie à toutes les calamités. Charles avançait par la Mafovie, et choififfait le chemin

1707. le moins praticable. Les habitans, réfugiés dans des marais, voulurent au moins lui faire acheter le paffage. Six mille payfans lui députèrent un vieillard de leur corps cet homme d'une figure extraordinaire, vêtu tout de blanc et armé de deux carabines, harangua Charles; et comme on n'entendait pas trop bien ce qu'il difait, on prit le parti de le tuer aux yeux du prince, au milieu de fa harangue. Les paysans désefpérés fe retirèrent et s'armèrent. On saisit tous ceux qu'on put trouver : on les obligeait de fe pendre les uns les autres, et le dernier était forcé de se paffer lui-même la corde au cou et d'être fon propre bourreau. On réduifit en cendres toutes leurs habitations. C'est le chapelain Norberg qui attefte ce fait dont il fut témoin on ne peut ni le récufer ni s'empêcher de frémir.

1708. 6 février.

Charles arrive à quelques lieues de Grodno en Lithuanie; on lui dit que le czar eft en perfonne dans cette ville avec quelques troupes ; il prend avec lui, fans délibérer, huit cents gardes feulement, et court à Grodno. Un officier allemand, nommé Mulfels, qui commandait un corps de troupes à une porte de la ville, ne doute pas, en voyant Charles XII, qu'il ne foit fuivi de fon armée; il lui livre le paffage, au lieu de le difputer; l'alarme fe répand dans la ville; chacun croit que l'armée fuédoife eft entrée: le peu de ruffes qui veulent résister font taillés en pièces par la garde fuédoife; tous les officiers confirment au czar qu'une armée victorieufe fe rend maîtreffe de tous les poftes de la ville. Pierre fe retire au-delà des remparts, et Charles met une garde de trente hommes à la porte même par où le czar vient de fortir.

Dans cette confufion, quelques jéfuites, dont on 1708. avait pris la maifon pour loger le roi de Suède, parce que c'était la plus belle de Grodno, fe rendent la nuit auprès du czar, et lui apprennent cette fois la vérité. Auffitôt Pierre rentre dans la ville, force la garde fuédoife on combat dans les rues, dans les places: mais déjà l'armée du roi arrivait. Le czar fut enfin obligé de céder, et de laisser la ville au pouvoir du vainqueur qui fefait trembler la Pologne.

Charles avait augmenté fes troupes en Livonic et en Finlande, et tout était à craindre de ce côté pour les conquêtes de Pierre, comme du côté de la Lithuanie pour les anciens Etats et pour Mofcou même. Il fallait donc fe fortifier dans toutes ces parties fi éloignées les unes des autres. Charles ne pouvait faire de progrès rapides en tirant à l'orient par la Lithuanie, au milieu d'une faifon rude, dans des pays marécageux, infectés de maladies contagieufes que la pauvreté et la famine avaient répandues de Varfovie à Minski. Pierre pofta fes troupes dans les quartiers fur le paffage des rivières, garnit les poftes importans, fit tout ce qu'il put pour arrêter à chaque pas la marche de fon ennemi, et courut enfuite mettre ordre à tout vers Pétersbourg.

Charles en dominant chez les Polonais ne leur prenait rien; mais Pierre, en fesant ufage de fa nouvelle marine, en defcendant en Finlande, en prenant Borgo qu'il détruifit, et en fefant un grand butin fur fes ennemis, fe donnait des avantages utiles.

Charles, long-temps retenu dans la Lithuanie par des pluies continuelles, s'avança enfin fur la petite rivière de Bérézine, à quelques lieues du Boryfthène.

Avril.

21 mai.

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