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1706.

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Tandis
que
Pierre fe foutient dans fes conquêtes, et
police fes Etats, fon ennemi Charles XII gagne
des batailles, domine dans la Pologne et dans la
Saxe. Augufte, malgré une victoire des Ruffes,
reçoit la loi de Charles XII. Il renonce à la
couronne; il livre Patkul, ambaffadeur du czar;
meurtre de Patkul condamné à la roue.

PIERRE

IERRE à peine était à Mofcou, qu'il apprit que Charles XII, par-tout victorieux, s'avançait du côté de Grodno pour combattre fon armée; le roi Augufte avait été obligé de fuir de Grodno, et fe retirait en hâte vers la Saxe avec quatre régimens de dragons ruffes; il affaiblissait ainfi l'armée de fon protecteur, et la décourageait par fa retraite; le czar trouva tous les chemins de Grodno occupés par les Suédois, et fon armée difperfée.

Tandis qu'il raffemblait fes quartiers avec une peine extrême en Lithuanie, le célèbre Schullembourg, qui était la dernière reffource d'Augufte, et qui s'acquit depuis tant de gloire par la défense de Corfou contre les Turcs, avançait du côté de la grande Pologne avec environ douze mille faxons et fix mille ruffes tirés des troupes que le czar avait confiées à ce malheureux prince. Schullembourg avait une juste espérance de foutenir la fortune d'Augufte; il voyait Charles XII occupé alors du côté de la Lithuanie; il n'y avait

qu'environ dix mille fuédois fous le général Renfchild, 1706. qui puffent arrêter fa marche; il s'avançait donc avec confiance jufqu'aux frontières de la Siléfie, qui eft le paffage de la Saxe dans la haute Pologne. Quand il fut près du bourg de Fraustadt, fur les frontières de Pologne, il trouva le maréchal Renfchild qui venait lui livrer bataille.

Quelque effort que je faffe pour ne pas répéter ce que j'ai déjà dit dans l'hiftoire de Charles XII, je dois redire ici qu'il y avait dans l'armée faxonne un régiment français qui, ayant été fait prifonnier tout entier à la fameufe bataille d'Hochftet, avait été forcé de fervir dans les troupes faxonnes. Mes mémoires difent qu'on lui avait confié la garde de l'artillerie; ils ajoutent que ces français, frappés de la gloire de 6 février. Charles XII, et mécontens du fervice de Saxe, posèrent les armes dès qu'ils virent les ennemis, et demandèrent d'être reçus parmi les Suédois qu'ils fervirent depuis en effet jusqu'à la fin de la guerre. Ce fut-là le commencement et le fignal d'une déroute entière; il ne fe fauva pas trois bataillons ruffes, et encore tous les foldats qui échappèrent étaient bleffés; tout le reste fut tué fans qu'on fît quartier à perfonne. Le chapelain Norberg prétend que le mot des Suédois, dans cette bataille, était, au nom de Dieu, et que celui des Ruffes était, maffacrez tout: mais ce furent les Suédois qui maffacrèrent tout au nom de DIEU. Le czar même affure, dans un de ses manifestes, (uu) que beaucoup deprifonniers ruffes, cofaques, calmouks, furent tués trois jours après la bataille. Les troupes irrégulières

(uu) Manifefte du czar en Ukraine, 170 9.

1706. des deux armées avaient accoutumé les généraux à

Augufte.

ces cruautés: il ne s'en commit jamais de plus grandes dans les temps barbares. Le roi Stanislas m'a fait l'honneur de me dire que dans un de ces combats qu'on livrait fi fouvent en Pologne, un officier ruffe, qui avait été fon ami, vint, après la défaite d'un corps qu'il commandait, se mettre sous sa protection, et que le général fuédois Steinbock le tua d'un coup de piftolet entre fes bras.

Voilà quatre batailles perdues par les Ruffes contre les Suédois, fans compter les autres victoires de Charles XII en Pologne. Les troupes du czar, qui étaient dans Grodno, couraient rifque d'effuyer une plus grande disgrâce, et d'être enveloppées de tous côtés; il fut heureusement les raffembler, et même les augmenter; il fallait à la fois pourvoir à la fureté de cette armée, et à celle de fes conquêtes dans l'Ingrie. Il fit marcher fon armée fous le prince Menzikoff vers l'Orient, et de là au Midi jusqu'à Kiovie.

Tandis qu'elle marchait, il se rend à Shluffelbourg, à Nerva, à fa colonie de Pétersbourg, met tout en fureté; et des bords de la mer Baltique, il court à

ceux du Borysthène, pour rentrer par la Kiovie dans la Pologne; s'appliquant toujours à rendre inutiles les Octobre. victoires de Charles XII, qu'il n'avait pu empêcher,

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préparant même déjà une conquête nouvelle; c'était celle de Vibourg, capitale de la Carélie, fur le golfe de Finlande. Il alla l'affiéger mais cette fois elle réfifta à fes armes : les fecours vinrent à propos, et il leva le fiége. Son rival Charles XII ne fefait réellement aucune conquête en gagnant des batailles : il pourfuivait alors le roi Augufte en Saxe, toujours plus

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occupé d'humilier ce prince, et de l'accabler du poids 1706.
de fa puiffance et de fa gloire, que du foinde reprendre
l'Ingrie fur un ennemi vaincu qui la lui avait enlevée.

Il répandit la terreur dans la haute Pologne, en
Siléfie, en Saxe. Toute la famille du roi Augufte, sa
mère, fa femme, fon fils, les principales familles du
pays fe retiraient dans le cœur de l'empire. Augufte
implorait la paix; il aimait mieux fe mettre à la
difcrétion de fon vainqueur que dans les bras de fon
protecteur. Il négociait un traité qui lui ôtait la cou-
ronne de Pologne, et qui le couvrait de confufion;
ce traité était fecret; il fallait le cacher aux généraux
du czar, avec lesquels il était alors comme réfugié en
Pologne, pendant que Charles XII donnait des lois
dans Leipfic, et régnait dans tout fon électorat. Déjà
était figné par fes plénipotentiaires le fatal traité par 14 feptemb.
lequel il renonçait à la couronne de Pologne, pro-
mettait de ne prendre jamais le titre de roi de ce pays,
reconnaissait Stanislas, renonçait à l'alliance du czar,
fon bienfaiteur; et pour comble d'humiliation, s'en-
gageait à remettre à Charles XII l'ambaffadeur du
czar, Jean Reginold Patkul, général des troupes ruffes,
qui combattait pour sa défense. Il avait fait, quelque
fa
temps auparavant, arrêter Patkul contre le droit des
gens fur de faux foupçons; et contre ce même droit
des gens il le livrait à fon ennemi. Il valait mieux
mourir les armes à la main que de conclure un tel
traité non-feulement il y perdait fa couronne et sa
gloire, mais il rifquait même fa liberté, puifqu'il était
alors entre les mains du prince Menzikoff en Pofnanie,
et que
le peu de faxons qu'il avait avec lui recevaient
alors leur folde de l'argent des Ruffes.

1

1706.

Le prince Menzikoff avait en tête dans ces quartiers une armée fuédoife, renforcée des polonais du parti du nouveau roi Stanislas, commandée par le général Maderfeld; et ignorant qu'Augufte traitait avec fes ennemis, il lui propofa de les attaquer. Augufte n'ofa 19 octobre refufer; la bataille fe donna auprès de Kalish, dans le palatinat même du roi Staniflas; ce fut la première bataille rangée que les Ruffes gagnèrent contre les Suédois le prince Menzikoff en eut la gloire: on tua aux ennemis quatre mille hommes, on leur en prit deux mille cinq cents quatre-vingt-dix-huit.

Il eft difficile de comprendre comment Augufte put après cette victoire ratifier un traité qui lui en ôtait tout le fruit; mais Charles était en Saxe, et y était tout-puissant; fon nom imprimait tellement la terreur, on comptait fi peu fur des fuccès foutenus de la part des Ruffes, le parti polonais contre le roi Augufte était fi fort, et enfin Augufle était fi mal confeillé, qu'il figna ce traité funefte. Il ne s'en tint pas là; il écrivit à fon envoyé Finkfein une lettre plus trifte que le traité même, par laquelle il demandait pardon de fa victoire, proteftant que la bataille s'était donnée malgré lui; que les ruffes et les polonais de fon parti l'y avaient obligé, qu'il avait fait dans ce deffein des mouvemens pour abandonner Menzikoff, que Maderfeld aurait pu le battre s'il avait profité de l'occafion; qu'il rendrait tous les prifonniers fuédois ou qu'il romprait avec les Ruffes; et qu'enfin il donnerait au roi de Suède toutes les fatisfactions convenables pour avoir ofé battre fes troupes.

Tout cela eft unique, inconcevable, et pourtant de la plus exacte vérité. Quand on fonge qu'avec cette faibleffe Augufte était un des plus braves princes de

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