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1703. forcé de renvoyer au czar environ vingt mille ruffes dont fon armée était fortifiée. Ils prétendaient par ce facrifice ôter aux mécontens le prétexte de fe joindre au roi de Suède : mais on ne défarme fes ennemis que par la force, et on les enhardit par la faibleffe. Ces vingt mille hommes, que Patkul avait difciplinés, fervirent utilement dans la Livonie et dans l'Ingrie pendant qu'Augufte perdait fes Etats. Ce renfort, et fur-tout la poffeffion de Nya, mirent le czar en état de fonder fa nouvelle capitale.

Ce fut donc dans ce terrain défert et marécageux, qui ne communique à la terre ferme que par un feul chemin, qu'il jeta (tt) les premiers fondemens de Pétersbourg, au foixantième degré de latitude, et au quarante-quatrième et demi de longitude. Les débris de quelques baftions de Nianz furent les premières pierres de cette fondation. On commença par élever un petit fort dans une des îles qui eft aujourd'hui au milieu de la ville. Les Suédois ne craignaient pas cet établissement dans un marais où les grands vaiffeaux ne pouvaient aborder; mais bientôt après ils virent les fortifications s'avancer, une ville fe former, et enfin la petite île de Cronflot, qui eft devant la ville, devenir, en 1704, une fortereffe imprenable, fous le canon de laquelle les plus grandes flottes peuvent être à l'abri.

Ces ouvrages, qui semblaient demander un temps de paix, s'exécutaient au milieu de la guerre ; et des ouvriers de toute efpèce venaient de Mofcou, d'Aftracan, de Cafan, de l'Ukraine, travailler à la ville

(tt) 1703, 27 mai, jour de la pentecôte, fondation de Pétersbourg.

nouvelle. La difficulté du terrain qu'il fallut raffermir 1703. et élever, l'éloignement des fecours, les obftacles imprévus qui renaiffaient à chaque pas en tout genre de travail, enfin les maladies épidémiques qui enlevèrent un nombre prodigieux de manœuvres, rien ne découragea le fondateur; il eut une ville en cinq mois de temps. Ce n'était qu'un affemblage de cabanes avec deux maifons de briques, entourées de remparts, et c'était tout ce qu'il fallait alors; la conftance et le temps ont fait le refte. Il n'y avait encore que cinq mois que Pétersbourg était fondée, lorfqu'un vaiffeau hollandais y vint trafiquer; le Novembre. patron reçut des gratifications, et les Hollandais apprirent bientôt le chemin de Pétersbourg.

Pierre, en dirigeant cette colonie, la mettait en fureté tous les jours par la prise des poftes voisins. Un colonel fuédois, nommé Croniort, s'était pofté fur la rivière Seftra, et menaçait la ville naiffante. 9 juillet. Pierre court à lui avec fes deux régimens des gardes, le défait et lui fait repaffer la rivière. Ayant ainfi mis fa ville en fureté, il va à Olonitz commander la conf- Septembre. truction de plufieurs petits vaiffeaux, et retourne à Pétersbourg fur une frégate qu'il a fait conftruire avec fix bâtimens de tranfport, en attendant qu'on achève les autres.

Dans ce temps-là même il tend toujours la main au Novembre. roi de Pologne ; il lui envoie douze mille hommes d'infanterie, et un fubfide de trois cents mille roubles, qui font plus de quinze cents mille francs de notre monnaie. Nous avons déjà remarqué qu'il n'avait qu'environ cinq millions de roubles de revenu ; les dépenses pour les flottes, pour fes armées, pour tous

1703. fes nouveaux établissemens, devaient l'épuifer. Il

avait fortifié presque à la fois Novogorod, Pleskow, Kiovie, Smolensko, Azoph, Archangel. Il fondait une capitale. Cependant il avait encore de quoi fecourir fon allié d'hommes et d'argent. Le hollandais Corneille le Bruyn, qui voyageait vers ce tempslà en Ruffie, et avec qui Pierre s'entretint, comme il fefait avec tous les étrangers, rapporte que le czar lui dit qu'il avait encore trois cents mille roubles de refte dans fes coffres, après avoir pourvu à tous les frais de la guerre.

Pour mettre fa ville naiffante de Pétersbourg hors d'infulte, il va lui-même fonder la profondeur de la mer, affigne l'endroit où il doit élever le fort de Cronflot, en fait un modèle en bois, et laiffe à Novembre. Menzikoff le foin de faire exécuter l'ouvrage fur fon modele. De là il va paffer l'hiver à Mofcou pour y établir infenfiblement tous les changemens qu'il fait dans les lois, dans les mœurs, dans les ufages. Il règle fes finances, et y met un nouvel ordre; il preffe les ouvrages entrepris fur la Véronise, dans Azoph, dans un port qu'il établiffait fur les Palus-Méotides fous le fort de Taganrok.

1704. Janvier.

30 mars,

La Porte alarmée lui envoya un ambassadeur pour fe plaindre de tant de préparatifs; il répondit qu'il était le maître dans fes Etats, comme le grand feigneur dans les fiens, et que ce n'était point enfreindre la paix que de rendre la Ruffie refpectable fur le PontEuxin.

Retourné à Pétersbourg, il trouve fa nouvelle citadelle de Cronflot fondée dans la mer, et achevée; il la garnit d'artillerie. Il fallait, pour s'affermir dans

l'Ingrie, et pour réparer entièrement la difgrâce effuyée 1704. devant Nerva, prendre enfin cette ville. Tandis qu'il fait les préparatifs de ce fiége, une petite flotte de brigantins fuédois paraît fur le lac Peipus, pour s'oppofer à fes deffeins. Les demi-galères ruffes vont à fa rencontre, l'attaquent et la prennent toute entière; elle portait quatre-vingt-dix-huit canons. Alors on affiége Nerva par terre et par mer; et, ce qui eft plus Avril. fingulier, on affiége en même temps la ville de Derpt en Estonie.

Qui croirait qu'il y eût une univerfité dans Derpt? Guftave-Adolphe l'avait fondée, et elle n'avait pas rendu la ville plus célèbre. Derpt n'eft connu que par l'époque de ces deux fiéges. Pierre va inceffamment de l'un à l'autre, preffer les attaques, et diriger toutes les opérations. Le général fuédois Spilenbak était auprès de Derpt avec environ deux mille cinq cents hommes.

Les affiégés attendaient le moment où il allait jeter du fecours dans la place. Pierre imagina une rufe de guerre dont on ne fe fert pas affez. Il fait donner à deux régimens d'infanterie, et à un de cavalerie, des uniformes, des étendards, des drapeaux fuédois. Ces prétendus fuédois attaquent les tranchées. Les Ruffes feignent de fuir; la garnison, trompée par l'apparence, fait une fortie: alors les faux attaquans et les attaqués fe réuniffent, ils fondent fur la garnison dont la moitié 27 juin. eft tuée, et l'autre moitié rentre dans la ville. Slipenbak arrive bientôt en effet pour la fecourir, et il eft entièrement battu. Enfin Derpt eft contrainte de capituler au moment que Pierre allait donner un affaut général.

Un affez grand échec que le czar reçoit en même

23 juillet.

1704. temps fur le chemin de fa nouvelle ville de Péterfbourg, ne l'empêche ni de continuer à bâtir sa ville, ni de preffer le fiége de Nerva. Il avait, comme on l'a vu, envoyé des troupes et de l'argent au roi Augufte qu'on détrênait; ces deux fecours furent également inutiles. Les Ruffes, joints aux Lithuaniens du parti d'Augufte, furent abfolument défaits en Cour31 juillet. lande, par le général fuédois Levenhaupt. Si les vainqueurs avaient dirigé leurs efforts vers la Livonie et l'Ingrie, ils pouvaient ruiner les travaux du czar, et lui faire perdre tout le fruit de fes grandes entreprifes. Pierre minait chaque jour l'avant-mur de la Suède, et Charles ne s'y oppofait pas affez: il cherchait une gloire moins utile et plus brillante.

Dès le 12 juillet 1704, un fimple colonel fuédois, à la tête d'un détachement, avait fait élire un nouveau roi par la nobleffe polonaise dans le champ d'élection, nommé Kolo, près de Varfovie. Un cardinal primat du royaume, et plufieurs évêques, se foumettaient aux volontés d'un prince luthérien, malgré toutes les menaces et les excommunications du pape tout cédait à la force. Perfonne n'ignore comment fut faite l'élection de Staniflas Leczinsky, et comment Charles XII le fit reconnaître dans une grande partie de la Pologne.

Pierre n'abandonna pas le roi détrôné ; il redoubla fes fecours à mesure qu'il fut plus malheureux; et pendant que fon ennemi fefait des rois, il battait les généraux fuédois en détail dans l'Estonie, dans l'Ingrie, courait au fiége de Nerva, et fefait donner des affauts. Il y avait trois bastions fameux, du moins par leurs noms, on les appelait la victoire, l'honneur

et

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