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Pensées. Comme le dit avec raison M. Cousin dans son Rapport «Sous le nom de Pensées de Pascal, on a toujours «< compris et on comprend encore les notes que, dans ses << dernières années, Pascal déposait d'intervalle en intervalle << sur le papier, pour lui être des souvenirs et des matériaux << utiles dans la composition de sa nouvelle Apologie du <«< christianisme. Tel est le sens vrai et unique des Pensées; « c'est celui que sa famille et ses amis leur ont donné d'abord, << et qu'elles doivent retenir pour garder leur caractère ori«ginal... Tout dans Pascal tend à la religion; il n'a pas << écrit des Pensées morales et littéraires, comme La Bruyère << et Vauvenargues, et toute sa philosophie n'était qu'une dé<< monstration de la vanité de la philosophie et de la néces«sité de la religion.... Il y aurait peut-être de l'utilité à ex<< traire de ses écrits de toute nature et à former des Pensées << de Pascal, comme on a des Pensées de Platon, de Descartes << et de Leibnitz... Il serait bien aussi de recueillir dans ses << biographes et dans ses amis les discours et propos fami<<liers qu'on lui attribue...; mais tout cela n'a rien à voir << avec les fragments de l'Apologie du christianisme. >>

Nous aimons à déclarer que nous devons à l'ouvrage de M. Cousin, intitulé Des Pensées de Pascal, outre l'idée et le plan de notre édition, 1o un grand nombre de Pensées publiées pour la première fois par M. Cousin, en 1842, dans le Journal des Savants; 2° les lettres de Pascal à mademoiselle de Roannez; 3° celle sur la mort de son père; 4o le discours sur les passions de l'amour, etc., etc.

Nous avons également consulté avec fruit l'édition des Pensées que M. Faugère a donnée en 1844, d'après le manuscrit autographe. Cette édition reproduit fidèlement chaque page, chaque ligne, chaque mot du manuscrit; elle a pour

titre : Pensées, Fragments et Lettres de Blaise Pascal; 2 vol. in-8°.

Si l'on croyait devoir nous blâmer de ne pas donner la copie entière du manuscrit autographe, nous demanderions qu'on voulût bien ne pas oublier qu'il contient beaucoup de notes écrites par Pascal pour sé ressouvenir des vues et des idées qu'il avait, et non pour être imprimées; ces notes, n'ayant aucun sens, sont inutiles aux lecteurs'. Quant aux fragments non recueillis par M. Cousin et par nous, voici ce qu'en dit M. Cousin dans l'Avant-Propos de sa troisième édition Des Pensées de Pascal : « J'avais un moment songé à donner un « plus grand nombre de Pensées nouvelles. La réflexion m'a « retenu. Dans l'intérêt même de la renommée de Pascal, « surtout dans l'intérêt des lettres, j'ai dû me borner à mes << premiers extraits, une lecture attentive ne m'ayant fait << découvrir aucun fragment nouveau qui fût supérieur à ceux « que j'avais donnés, et qui méritât de voir le jour. Il ne faut « pas non plus adorer superstitieusement tous les restes d'un «< grand homme. La raison et le goût ont un choix à faire <<< entre des notes quelquefois admirables, quelquefois aussi « dépourvues de tout intérêt dans leur état actuel... >>

1 Voyez ci-après les pages 51 à 53. Il serait sans doute superflu de citer un grand nombre de ces notes; mais en voici quelques-unes :

Les termes d'épée, d'écu. P. 59 du manuscrit.

Clef du chiffre. P. 39.

Principes des Rabbins. Deux Messies. P. 267.

Machabées, depuis qu'ils n'ont plus eu de prophètes. P. 491.

Contre l'histoire de la Chine. Les historiens de Mexico, des cinq soleils

dont le dernier est il n'y a que huit cents ans. P. 159.

Ainsi que cette double capacité... P. 323.

Moïse ne cache pas sa honte propre, ni... P. 491.

Explication de ces paroles: qui n'est point pour moi est contre moi; et de ces autres qui n'est point contre vous est pour vous. Parler contre les trop grands figuratifs.

Au commencement du volume, on trouvera la Vie de Pascal, par madame Périer, sa sœur, avec des notes par M. AiméMartin, un fragment du Mémoire de mademoiselle Périer, l'Éloge de Pascal par Nicole, et la Préface de l'édition de 1670 dans son intégrité, c'est-à-dire sans les corrections de Bossut.

Une Table analytique des matières, par madame Woillez, déjà publiée par nous en 1819, termine le volume.

LEF....*

ÉCRITE PAR MADAME PÉRIER, SA SOEUR.

Mon frère naquit à Clermont, le 19 juin de l'année 1623. Mon père s'appelait Étienne Pascal, président en la cour des aides, et ma mère Antoinette Begon. Dès que mon frère fut en âge qu'on lui pût parler, il donna des marques d'un esprit extraordinaire par les petites reparties qu'il faisait fort à propos, mais encore plus par les questions qu'il faisait sur la nature des choses, qui surprenaient tout le monde. Ce commencement, qui donnait de belles espérances, ne se démentit jamais; car, à mesure qu'il croissait, il augmentait toujours en force de raisonnement, en sorte qu'il était toujours beaucoup au-dessus de son âge.

Cependant ma mère étant morte dès l'année 1626, que mon frère n'avait que trois ans, mon père se voyant seul s'appliqua plus fortement au soin de sa famille; et comme il n'avait point d'autre fils que celui-là, cette qualité de fils unique, et les grandes marques d'esprit qu'il reconnut dans cet enfant, lui donnèrent une si grande affection pour lui, qu'il ne put se résoudre à commettre son éducation à un autre, et se résolut dès lors à l'instruire lui-même, comme il a fait, mon frère n'ayant jamais entré dans aucun collége et n'ayant jamais eu d'autre maître que mon père.

En l'année 1631, mon père se retira à Paris, nous y mena tous, et y établit sa demeure. Mon frère, qui n'avait que huit ans, reçut un grand avantage de cette retraite, dans le dessein que mon père avait de l'élever; car il est sans doute qu'il n'aurait pas pu prendre le même soin dans la province, où l'exercice de sa charge et les compagnies continuelles qui abordaient chez lui l'auraient beaucoup détourné. Mais il était à Paris dans une entière liberté: il s'y appliqua

tout entier, et il eut tout le succès que purent avoir les soins d'un père aussi intelligent et aussi affectionné qu'on le puisse être.

Sa principale maxime dans cette éducation était de tenir toujours cet enfant au-dessus de son ouvrage, et ce fut par cette raison qu'il ne voulut point commencer à lui apprendre le latin qu'il n'eût douze ans, afin qu'il le fit avec plus de facilité.

Pendant cet intervalle, il ne le laissait pas inutile, car il l'entretenait de toutes les choses dont il le voyait capable. Il lui faisait voir en général ce que c'était que les langues; il lui montrait comme on les avait réduites en grammaires sous de certaines règles; que ces règles avaient encore des exceptions, qu'on avait eu soin de remarquer; et qu'ainsi l'on avait trouvé par là le moyen de rendre toutes les langues communicables d'un pays en un autre.

Cette idée générale lui débrouillait l'esprit, et lui faisait mieux voir la raison des règles de la grammaire; de sorte que quand il vint à l'apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s'appliquait précisément aux choses à quoi il fallait le plus d'application.

Après ces connaissances, mon père lui en donna d'autres; il lui parlait souvent des effets extraordinaires de la nature, comme de la poudre à canon, et d'autres choses qui surprennent quand on les considère. Mon frère prenait grand plaisir à cet entretien, mais il voulait savoir la raison de toutes choses; et comme elles ne sont pas toutes connues, lorsque mon père ne les disait pas, ou qu'il disait celles qu'on allègue d'ordinaire, qui ne sont proprement que des défaites, cela ne le contentait pas car il a toujours eu une netteté d'esprit admirable pour discerner le faux; et on peut dire que toujours et en toutes choses la vérité a été le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l'a pu satisfaire que sa connaissance. Ainsi dès son enfance il ne pouvait se rendre qu'à ce qui lui paraissait vrai évidemment; de sorte que quand on ne lui disait pas de bonnes raisons, il en cherchait lui-même; et quand il s'était attaché à quelque chose, il ne la quittait point qu'il n'en eût trouvé quelqu'une qui le pût satisfaire. Une fois, entre autres, quelqu'un ayant frappé à table un plat de faïence avec un couteau, il prit garde que cela

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