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DE L'ART DE PERSUADER.

l'esprit; les manières tendues et pénibles le remplissen: d'une sotte présomption par une élévation étrangère et par une enflure vaine et ridicule, au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. Et l'une des raisons principales qui éloignent autant ceux qui entrent dans ces connaissances, du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrais les nommer basses, communes, familières : ces noms-là leur conviennent mieux; je hais ces mots d'enflure.

Les exemples qu'on prend pour prouver d'autres chcses, si on voulait prouver les exemples on prendrait les autres choses pour en être les exemples; car, comme on croit toujours que la difficulté est à ce qu'on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs et aidant à le montrer. Ainsi, quand on veut montrer une chose -générale, il faut en donner la règle particulière d'un cas; mais si on veut montrer un cas particulier, il faudra commencer par la règle générale. Car on trouve toujours obscure la chose qu'on veut prouver, et claire celle qu'on emploie à la preuve; car, quand on propose une chose à prouver, d'abord on se remplit de cette imagination qu'elle est donc obscure, et au contraire que celle qui doit la prouver est claire, et ainsi on l'entend aisément.

SUR L'ÉLOQUENCE ET LE STYLE.

I.

Il faut de l'agréable et du réel; mais il faut agréable soit lui-même pris du vrai.

11.

L'éloquence continue ennuie.

que cet

Les princes et rois jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes; ils s'y ennuient : la grandeur a besoin d'être quittée pour être sentie.

La continuité dégoûte en tout. Le froid est agréable pour se chauffer.

II.

L'éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi ceux qui après avoir peint ajoutent encore, font un tableau au lieu d'un portrait.

IV.

L'éloquence est un art de dire les choses de telle façon, 1o que ceux à qui l'on parle puissent les entendre sans peine et avec plaisir; 2° qu'ils s'y sentent intéressés, en sorte, que l'amour-propre les porte plus volontiers à y faire réflexion. Elle consiste donc dans une correspondance qu'on tâche d'établir entre l'esprit et le cœur de ceux à qui l'on parle d'un côté, et de l'autre les pensées et les expressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut y assortir. Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent nous entendre, et faire essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait

pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé de se rendre. Il faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y ait rien de trop ni rien de manque.

V.

Il faut, en tout dialogue et discours, qu'on puisse dire à ceux qui s'en offensent: De quoi vous plaignezvous?

VI.

Il y en a qui parlent bien, et qui n'écrivent pas bien. C'est que le lieu, l'assistance les échauffe et tire de leur esprit plus qu'ils n'y trouvent sans cette chaleur.

VII.

Ceux qui font les antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie.

Leur règle n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes.

VIII.

Il ne faut point détourner l'esprit ailleurs, sinon pour le délasser, mais dans le temps où cela est à propos; le délasser quand il faut, et non autrement; car qui délasse hors de propos, il lasse. Et qui lasse hors de propos délasse, car on quitte tout là, tant la malice de la concupiscence se plaît à faire tout le contraire de ce qu'on veut obtenir de nous sans nous donner du plaisir, qui est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on

veut!

IX.

Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve

un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon, et qui en voyant un livre croient trouver un homme, sont tout surpris de trouver un auteur: Plus poetice quam humane locutus es. Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu'elle peut parler de tout, et même de théologie.

X.

Si le foudre tombait sur les lieux bas, etc., les poëtes et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueraient de preuves.

XI.

Masquer la nature et la déguiser : plus de roi, de pape, d'évêques, mais auguste monarque, etc. Point de Paris capitale du royaume.

Il y a des lieux où il faut appeler Paris, Paris; et d'autres où il le faut appeler capitale du royaume.

XII.

Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si propres qu'on gâterait le discours, il les faut laisser : c'en est la marque, et c'est là la part de l'envie, qui, est aveugle et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit ; car il n'y a point de règle générale.

XIII.

Un même sens change selon les paroles qui l'expriment. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner.

XIV.

La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage, est de savoir celle qu'il faut mettre la première.

XV.

Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement; car ils veulent d'abord pénétrer d'une vue et ne sont point

accoutumés à chercher les principes. Et les autres au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes et ne pouvant voir d'une

vue.

XVI.

En sachant la passion dominante de chacun, on est sûr de lui plaire; et néanmoins chacun a ses fantaisies contraires à son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien, et c'est une bizarrerie qui met hors de gamme.

XVII.

Quand un discours naturel peint une passion ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, laquelle on ne savait pas qu'elle y fût; en sorte qu'on est porté à aimer celui qui nous le fait sentir. Car il ne nous a pas fait montre de son bien, mais du nôtre, et ainsi ce bienfait nous le rend aimable; outre que cette communauté d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le cœur à l'aimer.

XVIII.

Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs: cela ne vaut rien, malgré mademoiselle de Gournay. Crédule gens sans yeux; ignorant : quadrature du cercle, monde plus grand. Ses sentiments sur l'homicide volontaire, sur la mort : il inspire une nonchalance du salut sans crainte et sans repentir. Son livre n'étant pas fait pour porter à la piété, il n'y était pas obligé ; mais on est toujours obligé de n'en point détourner. On peut excuser ses sentiments un peu libres et voluptueux én quelques rencontres de la vie, mais on ne peut excuser ses sentiments tout païens sur la mort; car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement : or il ne pense qu'à mourir lâchement et mollement par tout son livre.

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