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de mon propre; mais comme ce ne sont que des répé titions de ce que j'ai appris, je le fais avec assurance en priant Dieu de bénir ces semences, et de leur donner de l'accroissement, car sans lui nous ne pouvons rien faire, et ses plus saintes paroles ne prennent point en nous, comme il l'a dit lui-même.

Ce n'est pas que je souhaite que vous soyez sans ressentiment le coup est trop sensible; il serait même insupportable sans un secours surnaturel. Il n'est donc pas juste que nous soyons sans douleur comme des anges, qui n'ont aucun sentiment de la nature; mais il n'est pas juste aussi que nous soyons sans consolation comme des païens, qui n'ont aucun sentiment de la grâce ; mais il est juste que nous soyons affligés et consolés comme chrétiens, et que la consolation de la grâce l'emporte par-dessus les sentiments de la nature; que nous disions comme les apôtres : « Nous sommes persécutés et nous bénissons, >> afin que la grâce soit non-seulement en nous, mais victorieuse en nous; qu'ainsi en sanctifiant le nom de notre Père sa volonté scit faite la nôtre; que sa grâce règne et domine sur la nature, et que nos afflictions soient comme la matière d'un sacrifice que sa grâce consume et anéantisse pour la gloire de Dieu; et que ces sacrifices particuliers honorent et préviennent le sacrifice universel où la nature entière doit être consommée par la puissance de JÉSUS-CHRIST.

Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu'elles serviront de matière à cet holocauste; car c'est le but des vrais chrétiens de profiter de leurs propres imperfections, parce que tout coopère en bien pour les élus.

Et si nous y prenons garde de près, nous trouverons de grands avantages pour notre édification, en considérant la chose dans la vérité comme nous avons dit tantôt.

Car, puisqu'il est véritable que la mort du corps n'est que l'image de celle de l'âme, et que nous bâtissons sur ce principe, qu'en cette rencontre nous avons tous les sujets possibles de bien espérer de son salut, il est certain que si nous ne pouvons arrêter le cours du déplaisir, nous en devons tirer ce profit que, puisque la mort du corps est si terrible qu'elle nous cause de tels mouvements, celle de l'âme nous en devrait bien causer de plus inconsolables. Dieu nous a envoyé la première; Dieu a détourné la seconde. Considérons donc la grandeur de nos biens dans la grandeur de nos maux, et que l'excès de notre douleur soit la mesure de celle de notre joie.

Il n'y a rien qui la puisse modérer, sinon la crainte qu'il ne languisse pour quelque temps dans les peines qui sont destinées à purger le reste des péchés de cette vie; et c'est pour fléchir la colère de Dieu sur lui que nous devons soigneusement nous employer.

La prière et les sacrifices sont un souverain remède à ces peines. Mais j'ai appris d'un saint homme dans notre affliction qu'une des plus solides et plus utiles charités envers les morts est de faire les choses qu'ils nous ordonneraient s'ils étaient encore au monde, et de pratiquer les saints avis qu'ils nous ont donnés, et de nous mettre pour eux en l'état auquel ils nous souhaitent à présent.

Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous en quelque sorte, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous; et comme les hérésiarques sont punis en l'autre vie des péchés auxquels ils ont engagé leurs sectateurs, dans lesquels leur venin vit encore, ainsi les morts sont récompensés, outre leur propre mérite, pour ceux auxquels ils ont donné suite par leurs conseils et par leur exemple.

Faisons-le donc revivre devant Dieu en nous de tout notre pouvoir; et consolons-nous en l'union de nos cœurs dans laquelle il me semble qu'il vit encore, et que notre réunion nous rend en quelque sorte sa présence, comme JÉSUS-CHRIST se rend présent en l'assemblée de ses fidèles.

Je prie Dieu de former et maintenir en nous ces sentiments, et de continuer ceux qu'il me semble qu'il me donne d'avoir pour vous et pour ma sœur plus de tendresse que jamais; car il me semble que l'amour que nous avions pour mon père ne doit pas être perdu, et que nous en devons faire une réfusion sur nous-mêmes, et que nous devons principalement hériter de l'affection qu'il nous portait, pour nous aimer encore plus cordialement, s'il est possible.

Je prie Dieu de nous fortifier dans ces résolutions, et sur cette espérance je vous conjure d'agréer que je vous donne un avis que vous prendriez bien sans moi ; mais je ne laisserai pas de le faire. C'est qu'après avoir trouvé des sujets de consolation pour sa personne, nous n'en venions point à manquer pour la nôtre par les prévoyances des besoins et des utilités que nous aurions de sa présence.

C'est moi qui y suis le plus intéressé. Si je l'eusse perdu il y a six ans, je me serais perdu ; et quoique je croie en avoir à présent une nécessité moins absolue, je sais qu'il m'aurait été encore nécessaire dix ans et utile toute ma vie.

Mais nous devons espérer que Dieu l'ayant ordonné en tel temps, en tel lieu, en telle manière, sans doute c'est le plus expédient pour sa gloire et pour notre salut.

Quelque étrange que cela paraisse, je crois qu'on en doit estimer de la sorte en tous les événements et que,

quelque sinistres qu'ils nous paraissent, nous devons espérer que Dieu en tirera la source de notre joie si nous lui en remettons la conduite.

Nous connaissons des personnes de condition qui ont appréhendé des morts domestiques que Dieu a peut-être détournées à leur prière, qui ont été cause ou occasion de tant de misères, qu'il serait à souhaiter qu'ils n'eussent pas été exaucés.

L'homme est assurément trop infirme pour pouvoir juger sainement de la suite des choses futures.

Espérons donc en Dieu, et ne nous fatiguons pas par des prévoyances indiscrètes et téméraires.

Remettons-nous à Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant en nous.

Saint Augustin nous apprend qu'il y a' dans chaque homme un serpent, une Ève et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature; l'Ève est l'appétit concupiscible, et l'Adam est la raison. La nature nous tente continuellement, l'appétit concupiscible désire souvent; mais le péché n'est pas achevé, si la raison ne consent.

Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l'empêcher; mais prions Dieu que sa grâce fortifie tellement notre Adam qu'il demeure victorieux; et que JÉSUS-CHRIST en soit vainqueur, et qu'il règne éternellement en nous. Amen.

DE QUELQUES LETTRES A MELE DE ROANNEZ 1.

Ire LETTRE.

1656.

.... Pour répondre à tous vos articles et bien écrire malgré mon peu de temps.

Je suis ravi de ce que vous goûtez le livre de M. de Laval, et les Méditations sur la grâce; j'en tire de grandes conséquences pour ce que je souhaite 2.

3

Je mande le détail de cette condamnation 3 qui vous avait effrayée; cela n'est rien du tout, Dieu merci, et c'est un miracle de ce qu'on n'y fait pas pis, puisque les ennemis de la vérité ont le pouvoir et la volonté de l'opprimer. Peut-être êtes-vous de celles qui méritent que Dieu ne l'abandonne pas et ne la retire pas de la terre, qui s'en est rendue si indigne, et il est assuré que vous servez à l'Église par vos prières, si l'Église vous a servi par les siennes. Car c'est l'Église qui mérite, avec JÉSUS-CHRIST, qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la vérité; et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées. Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de

'On ne connaît rien des lettres de mademoiselle Roannez à Pascal, et l'on ne possède que quelques fragments de celles que Pascal lui adressa; la rigidité des copistes jansénistes n'a conservé de ces lettres queles passages qui pouvaient fournir matière à édification. (M. Faugère.)

* Pascal souhaitait que mademoiselle de Roannez se fit religieuse.

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