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On se fait une idole de la vérité même : car la vérité, hors de la charité, n'est pas Dieu : elle est son image, et une idole qu'il ne faut point aimer ni adorer; et encore moins faut-il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge.

LXX.

Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais entre tous ceux que le monde. a inventés, il n'y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si délicate des passions, qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l'amour, principalement lorsqu'on le représente fort chaste et fort honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d'en être touchées. Sa violence plaît à notre amour-propre, qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets que l'on voit si bien représentés; et l'on se fait en même temps une conscience fondée sur l'honnêteté des sentiments qu'on y voit, qui éteint la crainte des âmes pures, lesquelles s'imaginent que ce n'est pas blesser la pureté, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage. Ainsi l'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour, l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence, qu'on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien dépeints dans la comédie.

LXXI.

Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes, qu'il est étrange que les leurs1 déplaisent. C'est qu'ils

Les opinions des jésuites.

ont excédé toute borne. Et, de plus, il y a bien des gens qui voient le vrai, et qui n'y peuvent atteindre. Mais il y en a peu qui ne sachent que la pureté de la religion est contraire à nos corruptions. Ridicule de dire qu'une récompense éternelle est offerte à des mœurs. escobartines.

Les conditions les plus aisées à vivre selon le monde sont les plus difficiles à vivre selon Dieu; et, au contraire, rien n'est si difficile, selon le monde, que la vie religieuse; rien n'est plus facile que de la passer selon Dieu rien n'est plus aisé que d'être dans une grande charge et dans de grands biens selon le monde; rien n'est plus difficile que d'y vivre selon Dieu, et sans y prendre de part et de goût.

:

LXXII.

J'ai craint que je n'eusse mal écrit, me voyant condamné; mais l'exemple de tant de pieux écrits me fait croire au contraire. Il n'est plus permis de bien écrire. Tant l'inquisition est corrompue ou ignorante.

Il est meilleur d'obéir à Dieu qu'aux hommes. Je ne crains rien, je n'espère rien; les évêques ne sont pas ainsi. Le Port-Royal craint, et c'est une mauvaise politique de les séparer; car ils ne craindront plus et se feront plus craindre.

Le silence est la plus grande persécution. Jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu'il faut vocation; mais ce n'est pas des arrêts du conseil qu'il faut apprendre si l'on est appelé; c'est de la nécessité de parler.

Si mes Lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel.

L'Inquisition et la Société, les deux fléaux de la vérité.

LXXIII.

La nature a des perfections, pour montrer qu'elle est

PASCAL.

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l'image de Dieu; et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.

LXXIV.

Otez la probabilité, on ne peut plus plaire au monde : mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire.

LXXV.

L'ardeur des saints à rechercher et pratiquer le bien était inutile, si la probabilité est sûre.

LXXVI.

Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce; et qui en doute, ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.

LXXVII.

On aime la sûreté. On aime que le pape soit infaillible en la foi, et que les docteurs graves le soient dans les mœurs, afin d'avoir son assurance.

LXXVIII.

Il ne faut pas juger de ce qu'est le pape par quelques paroles des Pères, comme disaient les Grecs dans un concile, règle importante, mais par les actions de l'Église et des Pères, et par les canons.

LXXIX.

• La manière dont l'Église a subsisté est que la vérité a été sans contestation; ou, si elle a été contestée, il y a eu le pape, et sinon il y a eu l'Église.

Le pape est premier. Quel autre est connu de tous? Quel autre est reconnu de tous? ayant pouvoir d'insinuer dans tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche qui s'insinue partout?

LXXX.

Il y a hérésie à expliquer toujours omnes de tous, et hérésie à ne le pas expliquer quelquefois de tous. Bibite ex hoc omnes : les huguenots, hérétiques, en

l'expliquant de tous. In quo omnes peccaverunt : les huguenots, hérétiques en exceptant les enfants des fidèles. Il faut donc suivre les Pères et la tradition pour savoir quand, puisqu'il y a hérésie à craindre de part et d'autre.

LXXXI.

Le moindre mouvement importe à toute la nature : la mer entière change pour une pierre. Ainsi, dans la grâce, la moindre action importe pour ses suites à tout. Donc tout est important.

LXXXII.

Tous les hommes se haïssent naturellement l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n'est que feinte, et une fausse image de la charité; car au fond ce n'est que haine. Ce vilain fond de l'homme, figmentum malum, n'est que couvert; il n'est pas ôté.

LXXXIII.

Si l'on veut dire que l'homme est trop peu pour mériter la communication avec Dieu, il faut être bien grand pour en juger.

LXXXIV.

Il est indigne de Dieu de se joindre à l'homme misérable; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère.

LXXXV.

[Qui l'a jamais compris! Que d'absurdités !....] Des pécheurs purifiés sans pénitence, des justes sanctifiés sans la grâce de JÉSUS-CHRIST. Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, un Rédempteur sans certitude.

LXXXVI.

Unité, multitude. En considérant l'Église comme unité, le pape quelconque est le chef, est comme tout.

En la considérant comme multitude, le pape n'en est qu'une partie. La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion; l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie.

LXXXVII.

Dieu ne fait point de miracles dans la conduite ordinaire de son Église. C'en serait un étrange si l'infaillibilité était dans un; mais d'être dans la multitude, cela paraît si naturel, que la conduite de Dieu est cachée sous la nature, comme en tous ses autres ouvrages.

LXXXVIII.

[De ce que la religion chrétienne n'est pas unique], tant s'en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu'elle n'est pas la véritable, qu'au contraire c'est ce qui fait croire qu'elle l'est.

LXXXIX.

L'Écriture sainte n'est pas une science de l'esprit, mais du cœur. Elle n'est intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit. Le voile qui est sur l'Écriture pour les Juifs y est aussi pour les chrétiens. La charité est non-seulement l'objet de l'Écriture sainte, mais elle en est aussi la porte.

XC.

S'il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion car elle n'est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l'incertain, les voyages sur mer, les batailles! Je dis donc qu'il ne faudrait rien faire du tout, car rien n'est certain; et qu'il y a plus de certitude à la religion, que non pas que nous voyions le jour de demain : car il n'est pas certain que nous voyions demain ; mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. Il n'est pas

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