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Dans les odes mêmes où la strophe est composée de trois vers asclépiades et d'un gliconique, et dont par conséquent la coupe est si marquée par le rhythme, le sens ne laisse pas d'enjamber d'une strophe à l'autre sans aucune suspension.

Nos, Agrippa, neque hæc dicere, nec gravem
Pelidæ stomachum cedere nescii...

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(L. I, od. 6.)

Non lenis precibus fata recludere,

Nigro compulerit Mercurius gregi. (L. I, od. 24.)

Enfin, jusque dans l'ode saphique, où la strophe est encore plus détachée par la clôture de l'adonique, vous trouverez le même enjambement.

Quorum simul alba nautis

Stella refulsit;

Defluit saxis agitatus humor.... (L. I, od. 12.)

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J'ai cru expliquer ailleurs cette négligence, en disant qu'Horace ne chantait pas ses odes, et que l'enjambement ne blessait pas l'oreille dans la simple récitation. Mais il est bien sûr que Pindare et Sapho chantaient leurs odes sur la lyre; et ils s'y sont

permis ce même enjambement. Il est à croire que dans les retours périodiques de l'air la liaison était si facile et le passage si rapide, qu'il n'y fallait aucun repos. Quoi qu'il en soit, l'ode française ne s'est point donné cette licence; et à la fin des strophes le sens est terminé. (Voyez STANCE.)

Une autre énigme pour notre oreille, c'est l'étrange diversité des nombres dont les vers lyriques anciens étaient composés, et le mélange non moins singulier qu'on faisait de ces vers, si différents de mesure et de rhythme.

On vient de voir dans les mêmes vers le spondée, l'ïambe, le dactyle, le choriambe, pêle-mêle employés. Comment des mesures de trois, de quatre, de six temps, pouvaient-elles aller ensemble, et former un chant régulier? On vient de voir des strophes composées de vers dactyliques et de vers ïambiques; comment le mouvement de l'un n'était-il pas rompu, contrarié par l'autre? Les anciens n'avaient-ils donc pas le sentiment de la mesure et du mouvement comme nous? Ils l'avaient si bien, que leur vers héroïque en est un modèle accompli. Ne nous fatiguons pas à vouloir, de si loin et à travers tant de nuages, expliquer comment s'alliaient leur poésie et leur musique. Celleci nous est inconnue, et l'autre, par le vice d'une prononciation excessivement altérée, ne peut être sentie que très-confusément du côté du nombre et du mètre. Ce qu'il nous importe de connaître d'Horace, et d'imiter, s'il est possible, c'est la précision, la rapidité, la plénitude de son style, cette curieuse félicité, comme dit Quintilien, dans le choix des mots qu'il emploie, le précieux de sa couleur, toujours vraie et toujours brillante, et surtout cette merveilleuse affluence de pensées, de sentiments, d'images, de tableaux variés, qui font de ses poésies lyriques l'un des plus beaux et des plus riches monuments de l'antiquité.

STYLE. C'est, dans la langue écrite, le caractère de la diction; et ce caractère est modifié par le génie de la langue, par les qualités de l'esprit et de l'âme de l'écrivain, par le genre dans lequel il s'exerce, par le sujet qu'il traite, par les mœurs ou la si

tuation du personnage qu'il fait parler, ou de celui qu'il revêt lui-même, enfin par la nature des choses qu'il exprime.

On a dit que le style d'un écrivain portait toujours l'empreinte du génie national. Cela doit être; et cela vient de ce que le génie national imprime lui-même son caractère à la langue.

Il n'est point de nation chez laquelle ne se rencontrent plus ou moins fréquemment tous les caractères individuels qui sont donnés par la nature. Mais, dans chacune d'elles, tel ou tel caractère est plus commun, tel ou tel est plus rare; et c'est le caractère dominant, qui, communiqué à langue, en constitue le génie. La langue italienne est molle et délicate; la langue espagnole est noble et grave; la langue anglaise est énergique, et sa force a de l'âpreté.

Ainsi, lorsqu'il se trouve parmi la multitude un esprit d'une trempe singulière, et pour ainsi dire hétérogène, il est contrarié sans cesse, en écrivant, par le génie de la langue. Il faut donc qu'il le dompte, ou qu'il en soit dompté; ou, ce qui arrive le plus souvent, que chacun des deux cède du sien, et s'accommode à l'autre et de cette espèce de conciliation se forme un style mitoyen, qui participe plus ou moins et du génie de la langue et du génie de l'auteur.

Il arrive de là que moins le caractère d'une nation est prononcé, plus celui de sa langue est susceptible des différents modes du style. Une langue qui de sa nature serait molle comme l'or pur ne serait pas susceptible de la trempe de l'acier; tous ses instruments seraient faibles : il faut donc qu'elle réunisse la souplesse avec l'énergie; et ce mélange paraît tenir au caractère national. Aussi voit-on que celles des nations qui sont connues pour avoir eu en même temps le plus de souplesse et de ressort dans le caractère sont aussi celles dont la langue a été le plus susceptible de toutes les qualités du style. La plus belle des langues, la plus habile à tout exprimer, fut celle du peuple du monde qui eut dans le caractère le plus éminemment ce mélange de force, de mobilité, de souplesse: je n'ai pas besoin de nommer les Grecs.

La langue des Romains, pour devenir presque aussi susceptible des métamorphoses du style, fut obligée d'attendre que le gé

nie de Rome se fût lui-même détendu et comme assoupli. Tant qu'il eut sa rudesse et son austérité, elle fut inflexible et indomptable comme lui. L'un et l'autre se polirent en même temps; mais ils gardèrent tous les deux assez de leur première force pour être mâles et vigoureux, dans le temps même qu'ils connurent les délicatesses du luxe : et de là résulte l'étonnante beauté de la langue de Cicéron, de Tite-Live, et de Virgile.

Me sera-t-il permis de dire qu'à un grand intervalle de ces deux langues incomparables, la langue française a dû peut-être aussi les facultés qui la distinguent, à la souplesse; à la mobilité, et en même temps au ressort du caractère national? Le génie français n'a exclusivement aucun caractère, et de là vient aussi qu'il n'en a aucun éminemment; mais, au besoin, il les prend tous, et à un assez haut degré : il en est de même de la langue française. Sa qualité distinctive et dominante, c'est la clarté elle s'est donné tout le reste à force de peine et de soin; et cependant elle n'a manqué ni au génie de Corneille et de Bossuet, ni à celui de Pascal, de la Fontaine et de Molière, ni à l'éloquente raison de Bourdaloue, ni à la touchante sensibilité de Massillon, ni à l'abondance inépuisable des sentiments que Racine avait à répandre, ni aux émanations célestes de la belle âme de Fénelon, ni à la véhémence et à la profondeur du pathétique de Voltaire.

Aux hardiesses et aux libertés que les langues se sont permises, ou à la timide exactitude de leur syntaxe, on reconnaît quelle sorte d'esprit a présidé à leur formation successive.

Ces façons de parler que nous appelons figures de mots, et dont le plus grand nombre nous est interdit, étaient, dans les langues anciennes, autant de licences que les grands écrivains s'étaient données et avaient fait passer. L'italien a pris de ces langues la liberté des inversions; il s'est donné celle d'employer l'infinitif des verbes en guise de nom substantif, un bel pensier, un dolce parlar, un luongo morir; il fait usage de deux épithètes sans aucune liaison expresse, sans aucune articulation, spatiose atre caverne; il a un grand nombre d'adjectifs dont la terminaison varie pour diminuer ou agrandir, pour ennoblir ou dégrader; il syncope les mots quand il plaît à l'oreille.

Le français a peu d'inversions, moins de diminutifs encore,

et pas un seul augmentatif dans le langage noble. Il s'est fait quelques noms abstraits de l'infinitif de ses verbes, comme penser, parler, sourire, souvenir; et ces deux derniers sont restés dans la classe des noms abstraits, un long souvenir, un doux sourire: mais il en est peu de ce nombre que la langue noble ait conservés. Un doux parler n'est plus que du langage familier et naïf; et quelque nécessaire que fût penser, il n'est reçu qu'en poésie. Enfin la poésie elle-même n'a presque point de privilége; et pour elle les lois de l'usage, comme celles de la syntaxe, sont presque aussi inviolables et inflexibles que pour la prose. D'où nous vient celte exactitude? D'où nous viennent ces privations? De la délicatesse pointilleuse et craintive de l'esprit de société, qui s'est rendu l'arbitre de la langue. En Italie, Dante, Pétrarque, Boccace, l'Arioste furent les maîtres de l'usage; Montaigne et Amiot le furent aussi parmi nous de leur temps: ce bon temps est passé. Voyez USAGE.)

Autant le génie national aura influé sur celui de la langue, autant le génie de la langue influera sur le style des écrivains. Dans une langue qui n'a rien de séduisant par elle-même, ni du côté de la couleur, ni du côté de l'harmonie, le besoin d'intéresser par la pensée et par le sentiment, et de captiver l'esprit et l'âme en dépit de l'oreille et sans le prestige de l'imagination, force l'écrivain à serrer son style, à lui donner du poids, de la solidité, et une plénitude d'idées qui ne laisse pas le temps de regretter ce qui lui manque d'agrément. Au contraire, dans une langue naturellement flatteuse et séduisante par l'abondance, la richesse, la beauté de l'expression, l'écrivain ressemble souvent aux habitants d'un heureux climat, que la fertilité naturelle de leurs campagnes rend à la fois indolents et prodigues. Sûr de parler avec grâce en disant peu de choses, il se complaît dans l'élégance de sa langue; et séduit le premier par son élocution, il croit en faire assez pour plaire, en déployant, sur les idées communes, la parure d'une expression harmonieuse et brillante : son style est une symphonie qui peut flatter l'oreille, mais qui ne dit presque rien à l'âme, et ne laisse rien à l'esprit.

L'habile écrivain est celui qui sait en même temps user et n'abuser jamais des avantages de sa langue, et suppléer, autant qu'il est possible, aux avantages qu'elle n'a pas.

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