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Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ayt ramené l'automne,
Et que Cerés contente ayt fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussi-tost ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris pour s'enfuir à Baville.
Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappellant mon audace,
Apprenti cavalier galopper sur ta trace.
Tantost sur l'herbe assis au pié de ces côteaux
Où Polycrene épand ses liberales eaux,
Lamoignon, nous irons, libres d'inquietude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens veritables et faux;
Si l'honneste homme en soi doit souffrir des defaux;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide.
C'est ainsi que chés toi tu sçauras m'attacher.
Heureux si les fâcheux, promts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuieuse tristesse.
Car, dans ce grand concours d'hommes de toute espece

1. Fontaine à une demi-lieuë de Baville, ainsi nommée par feu M. le premier president de Lamoignon.

Que sans cesse à Baville attire le devoir,
Au lieu de quatre amis qu'on attendoit le soir,
Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées
Qui du parc à l'instant assiegent les allées.
Alors, sauve qui peut, et quatre fois heureux

Qui sçait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux!

EPISTRE VII

A MONSIEUR RACINE

UE tu sçais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,

Que tu sçais bien, Ra crat, à l'aide d'enr

Emouvoir, étonner, ravir un spectateur!

Jamais Iphigenie, en Aulide immolée,

N'a cousté tant de pleurs à la Grece assemblée
Que, dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la Chanmeslé.
Ne croy pas toutefois, par tes sçavans ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages:
Si-tost que d'Apollon un genie inspiré
Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amâssent,
Ses rivaux obscurcis autour de luy croassent,
Et son trop de lumiere, importunant les yeux,

De ses propres amis luy fait des envieux.

La mort seule icy bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie,
Faire au poids du bon sens pezer tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur legitime prix.

Avant qu'un peu de terre obtenu par priere
Pour jamais sous la tombe eust enfermé Moliere,
Mille de ces beaux traits aujourd'hui si vantés
Furent des sots esprits à nos yeux rebuttés.
L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pieces,
En habits de marquis, en robbes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secoüoient la teste à l'endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scene plus exacte.
Le vicomte indigné sortoit au second acte.
L'un, deffenseur zelé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu.
L'autre, fougueux marquis, luy declarant la guerre,
Vouloit vanger la Cour immolée au parterre.
Mais si-tost que, d'un trait de ses fatales mains,
La Parque l'eust rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable Comedie, avec luy terrassée,
Envain d'un coup si rude espera revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du theatre comique.

Toy donc qui, t'élevant sur la scene tragique,

Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits, De Corneille vieilli sçais consoler Paris,

Cesse de t'étonner si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa roüille envenimée,

La calomnie en main, quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le Ciel, qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le merite en repos s'endort dans la parresse;
Mais par les envieux un genie excité

Au comble de son art est mille fois monté.
Plus on veut l'affoiblir, plus il croist et s'élance.
Au Cid persecuté Cinna doit sa naissance,
Et peut-estre ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.
Moy-mesme, dont la gloire ici moins répanduë
Des pasles envieux ne blesse point la vûë,

Mais qu'un humeur trop libre, un esprit peu soûmis,
De bonne heure a pourvû d'utiles ennemis,
Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avouë,
Qu'au foible et vain talent dont la France me louë.
Leur venin, qui sur moy brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empesche de broncher.
Je songe, à chaque trait que ma plume hazarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde.
Je sçais sur leurs avis corriger mes erreurs,

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