Page images
PDF
EPUB

ges, qui venoient fe joindre à Apollon? A cela Plutarque répond premierement, que les anciennes Pithies parloient quelquefois en Profe, mais de plus, que tout le monde anciennement étoit né Poëte. Dès que ces Gens-là, dit-il, avoient un peu bû, ils faifoient des Vers; ils n'avoient pas fi-tôt vû une jolie femme,que c'étoient des Vers fans fin; ils pouffoient des Sons, qui étoient naturellement des Chants. Ainfi rien n'étoit plus agréable que leurs Feftins & leurs galanteries. Maintenant ce Genie poëtique s'eft retiré des Hommes; il y a encore des Amours auffi ardens qu'autrefois, & même auffi grands parleurs, mais ce ne font que des Amours en Profe. Toute la Compagnie de Socrate & de Platon qui parloit tant d'amour, n'a jamais fçû faire des Vers. Je trouve tout cela trop faux & trop joli pour y répondre ferieuse

ment.

Plutarque rapporte une autre raifon qui n'eft pas tout-à-fait fi fauffe. C'est qu'anciennement il ne s'écrivoit rien qu'en Vers, ni fur la Religion, ni fur la Morale, ni fur la Phyfique, ni fur l'AAronomie. Orphée & Heliode que l'on

fait

des

connoît affés pour des Poëtes, étoient auffi des Philofophes; & Parmenide, Xenophane, Empedocle, Eudoxe Thalés que l'on connoît affés pour Philofophes, étoient auffi des Poëtes. Il eft affés furprenant que la Profe n'ait que fucceder aux Vers, & qu'on ne fe foit pas avifé d'écrire d'abord dans le langage le plus naturel; mais il y a toutes les apparences du monde, que comme on n'écrivoit alors que pour donner des préceptes, on voulut les mettre dans un difcours mefuré, afin de les faire retenir plus aifément. Auffi les Loix & la Morale étoient-elles en Vers. Sur ce pied-là, l'origine de la Poëfie eft bien plus ferieufe que l'on ne croit d'ordinaire,& les Mufes font bien forties de leur premiere gravité. Qui croiroit que naturellement le Code dût être en Vers, & les Contes de la Fontaine en Profe? Il falloit donc bien, dit Plutarque, que les Oracles fuffent autrefois en Vers, puifqu'on y mettoit toutes les chofes importantes. Apollon voulut bien en cela s'accommoder à la mode. Quand la Profe cominença d'y être, Apollon parla en Profe.

Je croi bien que dans les commence

mens on rendoit les Oracles en Vers,& afin qu'ils fuffent plus aifés à retenir, & pour fuivre l'ufage qui avoit condamné la Profe à ne fervir qu'aux difcours ordinaires. Mais les Vers furent chaffes de l'Hiftoire & de la Philofophie qu'ils embarraffoient fans neceffité, à peu près fous le Regne de Cyrus; Thalés qui vivoit en ce tems-là, fut des derniers Philofophes Poëtes, & Apollon ne ceffa de parler en Vers que peu de tems avant Pirrhus, comme nous l'apprenons de Ciceron, c'est-à-dire, quelque 230 ans après Cyrus. Il paroît parlà qu'on retint les Vers à Delphes le plus long-tems qu'on pût, parce qu'on avoit reconnu qu'ils convenoient à la dignité des Oracles, mais qu'enfin on fut obligé de fe réduire à la fimple Profe.

Plutarque fe moque quand il dit que lés Oracles fe rendirent en Profe, parce qu'on y demanda plus de clarté, & qu'on fe défabufa du galimatias myfterieux des Vers. Soit que les Dieux mêmes parlaffent, foit que ce ne fuffent que les Prêtres, je voudrois bien fçavoir fi l'on pouvoit obliger les uns ou les autres à parler plus clairement.

Il prétend avec plus d'apparence que les Vers prophetiques fe décrierent par l'ufage qu'en faifoient de certains Charlatans, que le menu peuple confultoit le plus fouvent dans les Carrefours. Les Prêtres des Temples ne voulurent avoir rien de commun avec eux, parce qu'ils étoient des Charlatans plus nobles & plus ferieux, ce qui fait une grande difference dans ce métier-là.

Enfin, Plutarque fe réfout à nous apporter la veritable raifon. C'eft qu'au trefois on ne venoit confulter Delphes que fur des chofes de la derniere importance, fur des Guerres, fur des Fondations de Villes, fur les interêts des Rois & des Republiques. Préfentement, dit-il, ce font des Particuliers qui viennent demander à l'Oracle s'ils fe marieront, s'ils acheteront un Efclave,s'ils réuffiront dans le trafic; & lorfque des Villes y envoyent, c'est pour fçavoir fi leurs Terres feront fertiles ou fi leurs Troupeaux multiplieront. Ces demandes - là ne valent pas la peine qu'on y réponde en Vers, & file Dieu s'amufoit à en faire, il fau droit qu'il reffemblat à ces Sophites qui font parade de leur fçavoir, KK iij.

lorfqu'il n'en eft nullement question, Voilà effectivement ce qui fervit le plus à ruiner les Oracles. Les Romains devinrent Maîtres de toute la Grece

& des Empires fondés par les Succeffeurs d'Alexandre. Dès que les Grecs. furent fous la domination des Romains, dont ils n'efpererent pas de pouvoir fortir, la Grèce ceffa d'être agitée par les divifions continuelles qui regnoient entre tous ces petits Etats dont les interêts étoient fi brouillés. Les Maîtres communs calmerent tout, & l'esclavage produifit la paix. Il me femble que les Grecs n'ont jamais été fi heureux qu'ils le furent alors. Ils vivoient dans une profonde tranquillité, & dans une oifiveté entiere; ils paffoient les journées dans leurs Parcs des exercices, leurs Theatres, dans leurs Ecoles de Philofophie. Ils avoient des Jeux, des Comedies, des Difputes & des Harangues, que leur falloit-il de plus felon leur genie? mais tout cela fournisfoit peu de matiere aux Oracles, & l'on n'étoit pas obligé d'importuner fouvent Delphes. Il étoit affés naturel que lesPrêtres ne fe donnaffent plus la peine de répondre en Vers, quand ils virent

[ocr errors]
« PreviousContinue »