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autre chofe dans les Conftitutions de Theodofe, de Valentinien, d'Honorius & d'Anaftafe. Tantôt ils nomment leurs Edits des Statuts Celeftes, des Oracle's Divins; tantôt ils difent nettement, - la très-heureuse expedition de notre Divinité, &c.

On peut dire que ce n'étoit-là qu'un ftile de Chancellerie; mais c'étoit un fort mauvais stile, ridicule pendant le Pa ganisme même, & impie dans le Chriftianifme; & puis, n'eft-il pas merveilleux que de pareilles extravagances deviennent des manieres de parler familieres & communes dont on ne peut plus fe paffer?

La verité eft que la flaterie des Su jets pour leurs Maîtres & la foibleffe naturelle des Princes pour les louanges, maintinrent l'ufage de ces exprcffions plus long tems qu'il n'auroit fallu. J'avoue qu'il faut fuppofer & cette flaterie & cette foibleffe extrêmes chacune dans fon genre ; mais auffi ces deux chofes-là n'ont-elles pas de bornes. On donne ferieufement à un Homme le nom de Dieu, cela n'est prefque pas concevable, & ce n'est pourtant encore rien, Cet Homme le

reçoit ; il le reçoit fi bien, qu'il s'accou tume lui-même à fe le donner, & cependant ce même Homme avoit une idée faine de ce que c'est que Dieu. Ajustés-moi tout cela d'une maniere qui fauve l'honneur de la nature humaine.

Quant au titre de Souverain Pontife, il n'étoit pas fi flateur que la vanité des Empereurs Chrétiens fût intereffee -à fe la conferver. Peut-être croyoientils qu'il leur ferviroit à tenir encore plus dans le refpect ce qui reftoit de Payens; peut-être n'euffent-ils pas été fâchés de fe rendre Chefs de la Religion Chrétienne à la faveur de l'équivoque; en effet, on voit quelques occafions où ils en ufoient affés en Maîtres, & quelques-uns ont écrit que les Empereurs avoient renoncé à ce titre, par l'égard qu'ils avoient eu pour les Papes, qui apparemment en craignoient l'abus.

Il n'eft pas fi furprenant de voir paffer dans le Chriftianifme pour quelque tems ces reftes du Paganifme, que de voir ce qu'il y avoit dans le Paganifme de plus extravagant, & de plus barbare, & de plus oppofé à la raison

&à Pinterêt commun des Hommes, être le dernier à finir; je veux dire les Victimes humaines. Cette Religion étoit étrangement bigarée; elle avoit des chofes extrêmement gayes, & d'autres très-funeftes. Ici les Dames vont dans un Temple accorder par devotion leurs faveurs aux premiers venus, & là par dévotion on égorge des Hommes fur un Autel. Ces déteftables Sacrifices fe trouvent dans toutes les Nations. Les Grecs les prati quoient auffi-bien que les Scithes mais non pas à la verité auffi frequemment; & les Romains, qui dans un Traité de Paix avoient exigé des Carthaginois qu'ils ne factifieroient plus leurs Enfans à Saturne felon la coutume qu'ils en avoient reçûë des Pheniciens Teurs Ancêtres, les Romains eux-mêmes immoloient tous les ans un Homme à Jupiter Latial. Eufebe cite Porphire, qui le rapporte comme une chofe qui étoit encore en ufage de fon tems. Lactance & Prudence, l'un du commencement & l'autre de la fin du quatrième Siecle, nous en font garans. auffi, chacun pour le tems où il vivoit. Ces Céremonies pleines d'horreur ont

duré autant que les Oracles, où il n'y avoit tout au plus que de la fottife & de la credulite.

CHAPITRE V.

Que quand le Paganisme n'eût pas dû être aboli, les Oracles euffent pris fin.

Premiere raison particuliere de leur décadence.

LE Paganifine a dû neceffairement

envelopper les Oracles dans fa ruine, lorfqu'il a été aboli par le Chriftianif me. De plus, il eft certain que le Chriftianisme avant même qu'il fût encore la Religion dominante, fit extrêmement tort aux Oracles, parce que les Chrétiens s'étudierent à en defabufer les Peuples, & à en découvrir l'impofture; mais indépendamment du Chriftianifme, les Oracles ne laiffoient pas de décheoir beaucoup par d'autres caufes,& à la fin ils euffent entierement tombé.

On

On commencent à s'appercevoir qu'ils dégenerent dès qu'ils ne fe rendent plus en Vers. Plutarque a fait un Traité exprès pour rechercher la raifon de ce changement, & à la maniere des Grecs, il dit fur ce fujet tout ce qu'on peut dire de vrai & de faux.

D'abord, c'eft que le Dieu qui agite la Pithie fe proportionne à fa capacité, & ne lui fait point faire de Vers, fi elle n'eft pas affés habile pour en pouvoir faire naturellement. La connoif fance de l'avenir eft d'Apollon, mais la maniere de l'exprimer eft de la Prêtrêffe. Ce n'est pas la faute du Muficien s'il ne peut pas fe fervir d'une Lire comme d'une Flûte, il faut qu'il s'accommode à l'Inftrument. Si la Pithie donnoit fes Oracles par écrit, dirionsnous qu'ils ne viendroient pas d'Apollon, parce qu'ils ne feroient pas d'une affés belle écriture? L'ame de la Pithie lorfqu'elle fe vient joindre à Apollon eft comme une jeune Fille à marier qui ne fçait encore rien, & eft bien éloignée de fçavoir faire des Vers.

Mais pourquoi donc les anciennes Pithies parloient-elles toutes en Vers? n'étoient-ce point alors des ames VierTome II.

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