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tombé auffi dans une méprife groffiere, fur un paffage du fecond Liv. de la Divination. Ciceron fe moque d'un Oracle qu'on difoit qu'Apollon avoit rendu en Latin à Pirrhus,qui le confultoit fur la Guerre qu'il alloit faire aux Romains. Cet Oracle eft équivoque, de forte qu'on ne fçait s'il veut dire que Pirrhus vaincra les Romains, ou que les Romains vaincront Pirrhus. L'équivoque eft attachée à la conftruction de la Phrafe Latine, & nous ne la fçaurions rendre en François. Voici les propres termes de Ciceron fur cet Oracle.

Premierement, dit-il, Apollon n'a jamais parlé Latin. Secondement, les Grecs ne connoiffent point cet Oracle. Froifiéme ment, Apollon du tems de Pirrhus avoit déja effé de faire des Vers. Enfin, quoique les Eacides, de la famil'e desquels étoit Pirrbus ne fuffent pas Gens d'un efprit bien fin, ni bien penetrant, cependant l'équivoque de l'Oracle étoit fi manifefte, que Pirrhus eût dû s'en appercevoir. mais ce qui eft le principal, pourquoi y a-t-il déja long-tems qu'il ne fe rend plus d'Oracles à Delphes de cette forte, ce qui fait qu'il n'y a presentement rien de plus méprisé ?

Ceft fur ces dernieres paroles que l'on s'eft fondé, pour dire que du tems de Ciceron il ne fe rendoit plus d'Oracles à Delphes.

Mon Auteur dit qu'on fe trompe & que ces mots, pourquoi ne fe rend-t-it plus d'Oracles de cette forte, marquent bien que Ciceron ne parle que des Oracles en Vers, puifqu'il étoit alors queftion d'un Oracle renfermé en un Vers.

Je ne fçai s'il faut être tout-à-fait de fon avis; car voici comme Cicéron continue immediatement. Ici quand on preffe les Défenseurs des Oracles, ils répondent que cette vertu qui étoit dans l'exhalaifon de la terre, & qui infpiroit la Pithie, s'eft évaporée avec le tems. Vous diriés qu'ils parlent de quelque vin qui a perdu fa force. Quel tems peut confumer ou épuiser une vertu toute divine? Or qu'y a-t-il de plus divin qu'une exhalaifon de la terre qui fait un tel effet fur l'ame, qu'elle lui donne, & la connoiffance de l'avenir, & le moyen de s'en expliquer en Vers?

Il me femble que Ciceron entend que la vertu toute entiere avoit ceffé, & il eut bien vu qu'il en eût toujours dû demeurer une bonne partie, quand il ne fe fût plus rendu à Delphes que

des Oracles en Profe. N'est-ce done rien qu'une Prophetie, à moins qu'elle ne foit en Vers?

Je ne croi pas qu'on ait eu tant de tort de prendre ce paffage pour une preuve de la ceffation entiere de l'Ora cle de Delphes; mais on a eu tort de prétendre en tirer avantage pour attri bucr cette ceffation à la Naiffance de Jefus-Chrift. L'Oracle a ceffe trop tôt, puifque felon ce paffage il avoit ceffe long-tems avant Ĉiceron.

Mais il n'est pas vrai que la chose foit comme Ciceron paroît l'avoir entendue en cet endroit. Lui-même au 1. liv. de la Divination fait parler en ces termes Quintus fon frere, qui foutient les Oracles. Je m'arrête fur ce point. Jamais l'Oracle de Delphes n'eût été fi célebre, & jamais il n'eût reçû tant d'Offrandes des Peuples & des Rois, fi de tout tems on n'eût reconnu la verité de fes Prédictions. Il n'eft pas fi célebre prefentement. Comme il l'eft moins, parce que fes Prédictions font moins vrayes, jamais fi elles n'euffent été extrêmement vrayes, il n'eût été celebre au point qu'il l'a été.

Mais ce qui eft encore plus fort, Ciceron même, à ce que dit Plutar

que dans fa vie, avoit dans fa jeuneffe confulté l'Oracle de Delphes, fur la conduite qu'il devoit tenir dans le monde, & il lui avoit été répondu qu'il fuivit fon genie plutôt que de fe regler fur les opinions vulgaires. S'il n'eft pas vrai que Ciceron ait confulté POracle de Delphes, il faut du moins que du tems de Ciceron on le confultât

encore.

CHAPITRE

II.

Pourquoi les Auteurs Anciens fe contredifent fouvent fur le tems de la ceffation des Oracles.

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D'où vient

Où vient donc, dira-t-on, que Lucain au 5. L. de la Pharfale, parle en ces termes de l'Oracle de Delphes? L'Oracle de Delphes qui a gardé le filence, depuis que les Grands ont redouté l'avenir, & ont défendu aux Dieux de parler, eft la plùs confiderable de toutes les faveurs du Ciel que notre Siecle a perdues. Et peu après, Appius, qui vouloit fçavoir quelle feroit la deftinée de l'Italie, eut la bardieße d'aller intere

roger cette Caverne depuis fi long-tems muet« se, & d'aller remuer ce Trepié oifif depuis fi long-tems.

D'où vient que Juvenal dit en un endroit, puifque l'Oracle ne parle plus à Delphes?

D'où vient enfin que parmi les Auteurs d'un même tems, on en trouve qui difent que l'Oracle de Delphes ne parle plus, d'autres qui difent qu'il parle encore? & d'où vient que quelquefois un même Auteur fe contredit fur ce Chapitre?

C'est qu'affurément les Oracles n'étoient plus dans leur ancienne vogue, & qu'aufli ils n'étoient pas encore tout-à-fait ruinés. Ainfi par rapport à ce qu'ils avoient été autrefois, ils 'n'étoient plus rien ; & en effet, ils ne daiffoient pourtant pas d'être encore quelque chofe.

Il y a plus. Il arrivoit qu'un Oracle étoit ruiné pour un tems, & qu'enfuite il fe relevoit; car les Oracles étoient fujets à diverses avantures. Il ne les faut pas croire anéantis, du moment qu'on les voit muets; ils pourront reprendre la parole.

Plutarque dit qu'anciennement un

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