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CHAPITRE PREMIER.

Foibleffe des raisons fur lesquelles cette Opinion eft fondée.

CE

E qui a fait croire à la plupart des Gens que les Oracles avoient ceffé à la Venue de Jefus - Christ, ce font les Oracles mêmes qui ont été rendus fur le filence des Oracles; & l'aveu des Payens qui vers le tems de Jefus-Chrift difent fouvent qu'ils ont ceffe.

Nous avons déja vû la fauffeté de ces prétendus Oracles, par lefquels un Demon devenu muet difoit lui-même qu'il étoit muet. Ils ont été ou fuppofés par le trop de zele des Chrétiens, out trop facilement reçûs par leur credu lité.

Voici un de ceux fur lesquels Eufebe fe fonde pour foutenir que la Naiffance de Jefus-Chrift les a fait ceffer. Il est tiré de Porphire, & Eufebe ne manque jamais à fe prévaloir autant qu'il peut du témoignage de cet enne mi.

Je t'apprendrai la verité fur les Oracles: &de Delphes & de Claros, difoit Apollon à fon Prêtre. Autrefois il fortit du sein de la terre une infinité d'Oracles, & des Fontaines & des exhalaisons qui inspiroient des fureurs divines. Mais la terre par les changemens continuels que le tems amene, a repris &fait rentrer en elle-même & Fontaines, & exhalaifons, & Oracles. Il ne refte plus que les eaux de Micale dans les Campagnes de Didime, & celles de Claros, & l'Oracle du Parnaffe. Sur cela Eufebe conclut en general que tous les Oracles avoient ceffe.

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Il eft certain qu'il y en a du moins trois d'exceptés felon cet Oracle qu'il rapporte lui-même; mais il ne fonge qu'à ce commencement qui lui eft favorable, & ne s'inquiette point du refte.

Mais cet Oracle de Porphire nous dit-il quand tous ces autres Oracles avoient ceffé point du tout. Eusebe veut l'entendre du tems de la Venue de Jefus-Chrift, fon zéle eft louable, mais fa maniere de raifonner ne l'eft pas tout-à-fait.

Et quand même l'Oracle de Porphire parleroit du tems de Jefus-Chrift, ik

s'enfuivroit qu'alors plufieurs Oracles cefferent, mais qu'il en refta pourtant encore quelques-uns.

Eufebe a peut-être crû que cette exception n'étoit rien, & qu'il fuffifoit que le plus grand nombre d'Oracles eût ceffe; mais cela ne va pas ainfi. Si les Oracles ont été rendus par des Demons, que la Naiffance de Jefus-Christ ait condamnés au filence, nul Demon n'a été privilegié. Qu'il foit refté un feul Oracle après Jefus-Chrift, il ne m'en faut pas davantage, ce n'eft point fa Naiffance qui a fait taire les Oracles. C'est ici un de ces cas où la moindre exception ruine la propofition gene

rale.

Mais peut-être les Démons à la Naiffance de Jefus-Chrift ont ceffè de rendre des Oracles, & les Oracles n'ont pas laiffe de continuer, parce que les Prêtres les ont contrefaits.

Cette fuppofition feroit fans aucun fondement. Je prouverai que les Oracles ont duré quatre cens ans après Jesus-Christ; on n'a remarqué aucune difference entre ces Oracles, qui ont fuivi la Naiffance de Jefus-Christ, & ceux qui l'avoient précedée. Si les PrêFf iiij

tres ont fi bien fourbé pendant quatre cens ans, pourquoi ne l'ont-ils pas toujours fait ?

Un des Auteurs Payens qui a le plus fervi à faire croire que les Oracles avoient ceffé à la Venue de JefusChrist, c'est Plutarque. Il vivoit quelque cent ans après Jefus-Chrift, & il· a fait un Dialogue fur les Oracles qui avoient ceffé. Bien des Gens fur ce titre feul ont formé leur opinion, & pris leur parti. Cependant Plutarque excepte pofitivement l'Oracle de Lébadie, c'est-à-dire de Trophonius, & celui de Delphes, où il dit qu'il falloit anciennement deux Prêtreffes, bien fouvent trois, mais qu'alors c'étoit affés d'une. Du refte il avoue que les Oracles étoient taris dans la Beotie qui en avoit été autrefois une fource très-feconde.

Tout cela prouve la ceffation de quelques Oracles, & la diminution de quelques autres, mais non pas la ceffàtion entiere de tous les Oracles, ce qui feroit pourtant abfolument neceffaire pour le Siftême commun.

il

Encore l'Oracle de Delphes n'étoitpas fi fort déchû du tems de Plutar

que; car lui-même dans un autre Trai té nous dit que le Temple de Delphes étoit plus magnifique qu'on ne l'avoit jamais vû, qu'on en avoit relevé d'anciens Bâtimens que le tems commençoit à ruiner, & qu'on y en avoit ajouté d'autres tout modernes; que même on voyoit une petite Ville qui s'étant formée peu à peu auprès de Delphes, en tiroit fa nourriture, comme un petit arbre qui pouffe au pied d'un grand, & que cette petite Ville étoit parvenuë à être plus confiderable qu'elle n'avoit été depuis mille ans. Mais dans ce Dialogue même des Oracles qui ont ceffé, Demetrius Cilicien l'un des Interlocuteurs, dit qu'avant qu'il commençât fes Voyages,fes Ora→ cles d'Amphilocus & de Mopfus en fon Pays étoient auffi floriffans que jamais; que veritablement depuis qu'il en étoit parti, il ne fçavoit pas ce qui leur pouvoit être arrivé.

Voilà ce qu'on trouve dans ce Traité de Plutarque auquel je ne fçai combien de Gens fçavans vous renvoyent, pour vous prouver que les Oracles ont ceffé à la Venuë de Jefus-Christ.

Içi mon Auteur prétend qu'on ef

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