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& pour comprendre en une feule reflexion toutes celles qu'on peut faire là-deffus, je voudrois bien qu'on me dît pourquoi les Demons ne pouvoient prédire l'avenir que dans des Trous, dans des Cavernes, & dans des lieux obfcurs, & pourquoi ils ne s'avifoient jamais d'animer une Statue, ou de faire parler une Prêtreffe dans un Carrefour, expofé de toutes parts aux yeux de tout le monde.

On pourra dire que que les Oracles qui fe rendoient fur des Billets cachetés, & plus encore ceux qui fe rendoient en fonge, avoient abfolument befoin de Demons, mais il nous fera bien aifé de faire voir qu'ils n'avoient rien de plus miraculeux que les autres.

CHAPITRE XIV.

Des Oracles qui fe rendoient fur des Billets cachetés.

LES Prêtres n'étoient pas fcrupu

leux jufqu'au point de n'ofer décacheter les billets qu'on leur apportoit;

falloit qu'on les laiffat fur l'Autel après quoi on fermoit le Temple où les Prêtres fçavoient bien rentrer fans qu'on s'en apperçût, ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des Prêtres, afin qu'ils dormiffent deffus, & reçuffent en fonge la réponse qu'il y falloit faire, & dans l'un & l'autre cas ils avoient le loifir & la liberté de les ouvrir. Ils fçavoient pour cela plufieurs fecrets, dont nous voyons quelques-uns mis en pratique par le faux Prophete de Lucien. On peut les voir dans Lucien même, fi l'on eft curieux d'apprendre comment on pouvoit dé cacheter les Billets des Anciens fans. qu'il y parût.

Affurément on s'étoit fervi de quelqu'un de ces Secrets pour ouvrir le Billet que ce Gouverneur de Cilicie dont parle Plutarque, avoit envoyé à l'Oracle de Mopfus qui étoit à Malle, Ville de cette Province. Le Gouverneur ne fçavoit que croire des Dieux; il étoit obfedé d'Epicuriens qui lui avoient jetté beaucoup de doutes dans l'efprit. Il fe réfolut, comme dit agréa blement Plutarque, d'envoyer un Efpion chés les Dieux, pour apprendre

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Ce qui en étoit. Il lui donna un Billet bien cacheté pour le porter à l'Oracle de Mopfus. Cet Envoyé dormit dans le Temple, & vit en fonge un homme fort bien fait, qui lui dit, Noir. Il porte cette réponse au Gouverneur. Elle parut très-ridicule à tous les Epicuriens de fa Cour, mais il en fut frappé d'étonnement & d'admiration, & en leur ouvrant fon Billet, il leur montra ces mots qu'il y avoit écrits, T'immolerai-je un Bauf blanc ou noir ? Après ce miracle, il fut toute fa vie fort devot au Dieu Mopfus. Nous éclaircirons enfuite ce qui regarde le fonge, il fuffit préfentement que le billet avoir pû être décacheté & refermé avec adref fe. Il avoit toujours fallu le porter au Temple, & il n'eût pas été neceffaire qu'il fût forti des mains du Gouverneur, fi un Demon eût dû y répondre.

Si les Prêtres n'ofoient fe hazarder à décacheter les billets, ils tâchoient de fçavoir adroitement ce qui amenoit les Gens à l'Oracle. D'ordinaire c'étoient des Gens confiderables, qui avoient dans la tête quelque deffein ou quelque paffion qui n'étoit pas inconnue Tome II. Dd

dans le monde. Les Prêtres avoient tant de commerce avec eux, à l'occafion des Sacrifices qu'il falloit faire, ou des délais qu'il falloit obferver avant que l'Oracle parlât, qu'il n'étoit pas trop difficile de tirer de leur bouche, ou du moins de conjecturer quel étoit le fujet de leur voyage. On leur faifoit recommencer Sacrifices fur Sacrifices, jufqu'à ce qu'on fe fût éclair

ci. On les mettoit entre les mains de certains menus Officiers du Temple, qui fous prétexte de leur en montrer les Antiquités, les Statues, les Peintures, les Offrandes, fçavoient l'art de les faire parler fur leurs affaires. Ces Antiquaires pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, se trouvoient dans tous les Temples un peu confiderables. Ils fçavoient par cœur tous les miracles qui s'y étoient faits; ils vous faifoient bien valoir la puiffance & les merveilles du Dieu; ils vous contoient fort au long l'hiftoire de chaque Prefent qu'on lui avoit confacré, Sur cela Lucien dit affes plaifamment que tous ces gens-là ne vivoient & ne fubfiftoient que de Fables, dans la Grece on eût été bien

& que

faché d'apprendre des verités dont il n'eût rien coûté. Si ceux qui venoient confulter l'Oracle, ne parloient point, leurs Domeftiques fe taifoient-ils ? il faut fçavoir que dans une Ville à Oracle, il n'y avoit prefque que des Officiers de l'Oracle. Les uns étoient Prophetes & Prêtres, les autres Poëtes qui habilloient en Vers les Oracles ren dus en Profe, les autres fimples Interpretes, les autres petits Sacrificateurs qui immoloient les Victimes, & en examinoient les entrailles, les autres vendeurs de parfums ou d'encens, ou de Bêtes pour les Sacrifices, les autres Antiquaires, les autres enfin n'étoient que des Hôtelliers, que le grand abord des Etrangers enrichiffoit. Tous ces gens-là étoient dans les interêts de l'Oracle & du Dieu; & fi par le moyen des Domestiques des Etrangers, ils découvroient quelque chofe qui fût bon à fçavoir, vous ne devés pas douter que les Prêtres n'en fuffent avertis.

Le faux Prophete Alexandre qui avoit établi fon Oracle dans le Pont, avoit bien jufque dans Rome des Correfpondans, qui lui mandoient les af

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