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de Callifthene, qu'Alexandre entra feul avec le Prêtre dans le Sanctuaire d'Hammon, & que tous les autres n'entendirent l'Oracle que de de

hors.

Tacite dit auffi que Vefpafien étant à Alexandrie, & ayant déja des deffeins fur l'Empire, voulut confulter l'Oracle de Serapis, mais qu'il fit auparavant fortir tout le monde du Temple. Peut-être cependant n'entra-t-il pas pour cela dans le Sanctuaire. A ce conte les exemples d'un tel privilege feront très rares; car mon Auteur avouë qu'il n'en connoît point d'autres que ces deux-là, fi ce n'eft peutêtre qu'on y veuille ajouter ce que Tacite dit de Titus, à qui le Prêtre de la Venus de Paphos ne voulut découvrir qu'en fecret beaucoup de grandes chofes qui regardoient les deffeins qu'il méditoit alors; mais cet exemple prouve encore moins que celui de Vefpafien, la liberté que les Prêtres accordoient aux Grands d'entrer dans les Sanctuaires de leurs Temples. Sans doute il falloit un grand credit pour les obliger à la confidence de leurs Myteres, & même ils ne la faifoient qu'à

des Princes naturellement intereffés à leur garder le secret, & qui dans le cas où ils fe trouvoient, avoient quelque raison particuliere de faire valoir les Oracles.

Dans ces Sanctuaires tenebreux étoient cachées toutes les machines des Prêtres, & ils y entroient par des conduits fouterains. Rufin nous décrit le Temple de Serapis tout plein de chcmins couverts; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le fien, l'Ecriture Sainte ne nous apprendelle pas comment Daniel découvrit l'impofture des Prêtres de Belus, qui fçavoient bien rentrer fecretement dans fon Temple pour prendre les Viandes qu'on y avoit offertes? Il me femble que cette Hiftoire feule devroit décider toute la queftion en notre faveur. Il s'agit là d'un des Miracles du Paganifme qui étoit crû le plus univerfellement, de ces victimes que les Dieux prenoient la peine de venir manger eux-mêmes. L'Ecriture attribuë-t-elle ce prodige aux Demons? Point du tout, mais à des Prêtres imposteurs ; & c'eft-là la feule fois où l'Ecriture s'étend un peu fur un prodige du Paga

nifme; & en ne nous avertiffant point que tous les autres n'étoient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étoient. Combien après tout devoit-il être plus aifé de perfuader aux peuples que les Dieux defcendoient dans des Temples pour leur parler, leur donner des inAructions utiles, que de leur perfuader qu'ils venoient manger des membres de Chevres & de Moutons? & fi les Prêtres mangeoient bien en la place des Dieux, à plus forte raifon pouvoient-ils parler auffi en leur place.

- Les voûtes des Sanctuaires augmentoient la voix, & faifoient un retentiffement qui imprimoit de la terreur. Auffi voyés-vous dans tous les Poëtes que la Pithie pouffoit une voix plus qu'humaine;peut-être même les Trompettes qui multiplioient le fon, n'étoient-elles pas alors tout-à-fait inconnuës; peut-être le Chevalier Morland n'a t-il fait que renouveller un fecret que les Prêtres Payens avoient fçû avant lui, & dont ils avoient mieux aimé tirer du profit en ne le publiant pas, que de l'honneur en le publiant. Du moins le Pere Kirker affure qu'A

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lexandre avoit une de ces Trompettes, avec laquelle il fe faifoit entendre de toute fon Armée en même tems.

*

Je ne veux pas oublier une bagatelle, qui peut fervir à marquer l'extrême application que les Prêtres avoient à fourber. Du Sanctuaire ou du fond des Temples, il fortoit quelquefois une vapeur très-agréable, qui rempliffoit tout le lieu où étoient les Confultans. C'étoit l'arrivée du Dieu qui parfumoit tout. Jugés fi des gens qui pouffoient jufqu'à ces minuties prefque inutiles l'exactitude de leurs impofures, pouvoient rien négliger d'effen

tiel.

CHAPITRE XIII.

Diftinctions de jours & autres Myfte res des Oracles.

Es Prêtres n'oublioient aucune forte de précaution. Ils marquoient à leur gré de certains jours où il n'étoit

Plut. Dial. des Or.

point

point permis de confulter l'Oracle. Ce la avoit un air mysterieux, ce qui est déja beaucoup en pareilles matieres ; mais la principale utilité qu'ils en retiroient, c'eft qu'ils pouvoient vous renvoyer fur ce prétexte, s'ils avoient des raifons pour ne pas vouloir vous répondre, ou que pendant ce tems de filence ils prenoient leurs mefures, & faifoient leurs préparatifs.

A l'occafion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis Oracles qui ait jamais été. Il étoit allé à Delphes pour confulter le Dieu; & la Prêtreffe qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le Temple. Alexandre qui étoit brufque, la prit par le bras pour l'y mener de force, & elle s'écria, Ah! mon Fils, on ne peut te refifter. Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet Oracle me fuffit.

Les Prêtres avoient encore un fecret pour gagner du tems, quand il leur plaifoit. Avant que de confulter l'Oracle, il falloit facrifier; & fi les entrailles des Victimes n'étoient pas heureufes, le Dieu n'étoit pas encore en hu

Tome II

Cc

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