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eût eu part, & alors on étoit obligé de mettre les Demons en jeu.

Il eft vrai, qu'abfolument parlant, il valoit mieux en exclure tout-à-fait les Demons, & que l'on cût donné par-là une plus grande atteinte à la Religion Payenne; mais tout le monde ne penetroit peut-être pas fi avant dans cette matiere, & l'on croyoit faire bien affés, lorfque par l'hipothefe des Demons, qui fatisfait à tout avec deux paroles, on rendoit inutiles aux Payens toutes les chofes miraculeuses qu'ils pouvoient jamais alleguer en faveur de leur faux culte.

Voilà apparemment ce qui fut caufe que dans les premiers Siccles de l'Eglife on embraffa fi generalement ce Siftême fur les Oracles. Nous perçons encore affés dans les tenebres d'une antiquité fi éloignée, pour y démêler que les Chrétiens ne prenoient pas tant cette opinion à caufe de la verité qu'ils y trouvoient, qu'à caufe de la facilité qu'elle leur donnoit à combattre le Paganifme, & s'ils renaiffoient dans les tems où nous fommes, délivrés comme nous des raifons étrangeres qui les déterminoient

Tome II.

A a

à ce parti, je ne doute point qu'ils ne fuiviffent prefque tous le nôtre.

Jufqu'ici nous n'avons fait que lever les préjugés qui font contraires à notre opinion,& que l'on tire ou du Siftême de la Religion Chrétienne, ou de la Philofophie, ou du fentiment general des Payens, & des Chrétiens même. Nous avons répondu à tout cela, non pas en nous tenant fimplement fur la défensive, mais le plus fouvent même en attaquant. Il faut prefentement attaquer encore avec plus de force, & faire voir par toutes Jes circonftances particulieres qu'on peut remarquer dans les Oracles, qu'ils n'ont jamais merité d'être attribués à des Genies.

CHAPITRE X.

Oracles corrompus.

ON corrompoit les Oracles avec

ne facilité qui faifoit bien voir qu'on avoit à faire à des Hommes. La Pithie Philippife, difoit Demofthene, lorsqu'il

fe plaignoit que les Oracles de Delphes étoient toujours conformes aux interêts de Philippe.

* Quand Cleomene Roi de Sparte voulut dépouiller de la Royauté Demarate l'autre Roi, fous prétexte qu'il n'étoit pas Fils d'Arifton fon Prédeceffeur, & qu'Arifton lui-même s'étoit plaint qu'il lui étoit né trop peu de tems après fon mariage, on envoya à l'Oracle fur une queftion fi difficile, & en effet elle étoit de la nature de celles qui ne peuvent être décidées que par les Dieux. Mais Cleomene avoit pris les devans auprès de la Superieure des Prêtreffes de Delphes; elle déclara que Demarate n'étoit point Fils d'Ariston. La fourberie fut découverte quelque tems après, & la Prêtreffe privée de fa Dignité. Il falloit bien venger l'honneur de l'Oracle & tâcher de le réparer.

** Pendant qu'Hippias étoit Tiran d'Athenes, quelques Citoyens qu'il avoit bannis obtinrent de la Pithie à force d'argent, que quand il viendroit des Lacédemoniens la confulter fur

*Herodote, l. 6.
**Herodote, liso

quoi que ce pût être, elle leur dît tou jours qu'ils euffent à délivrer Athenes de la tyrannie. Les Lacédemoniens, à qui on redifoit toujours la même chofe à tout propos, crurent enfin que les Dieux ne leur pardonneroient jamais de méprifer des ordres fi frequens, & prirent les armes contre Hippias, quoi qu'il fût leur allié.

Si les Demons rendoient les Oracles, les Demons ne manquoient pas de complaifance pour les Princes qui étoient une fois devenus redoutables, & on peut remarquer que l'Enfer avoit bien des égards pour Alexandre & pour Augufte. Quelques Hiftoriens difent nettement qu'Alexandre voulut d'autorité abfolue être Fils de Jupiter Hammon,& pour l'interêt de fa vanité, & pour l'honneur de fa Mere qui étoit foupçonnée d'avoir eu quelque Amant moins confiderable que Jupiter. On y a ajouté qu'avant que d'aller au Temple, il fit avertir le Dieu de fa volonté, & que le Dieu l'executa de fort bonne grace. Les autres Auteurs tiennent tout au moins que les Prêtres imaginerent d'eux-mêmes ce moyen de flater Alexandre. Il n'y a que Plutarque qui

fonde toute cette Divinité d'Alexandre fur une méprife du Prêtre d'Hammon, qui en faluant ce Roi, & lui voulant dire en Grec, O mon Fils, prononça dans ces mots une S au lieu d'une N, parce qu'étant Libien il ne fçavoit pas trop bien prononcer le Grec, & ces mots avec ce changement fignifioient, O Fils de Jupiter. Toute la Cour ne manqua pas de relever cette faute du Prêtre à l'avantage d'Alexandre, & fans doute le Prêtre lui-même la fit paffer pour une infpiration du Dieu qui avoit conduit fa langue, & confirma par des Oracles fa mauvaife prononciation. Cette derniere façon de conter l'Hiftoire eft peut-être la meilleure ; les petites origines conviennent affés aux grandes chofes.

Augufte fut fi amoureux de Livie qu'il l'enleva à fon Mari toute groffe qu'elle étoit, & ne fe donna pas le loifir d'attendre qu'elle fût accouchée pour l'époufer. Comme l'action étoit un peu extraordinaire, on en confulta l'Oracle. L'Oracle qui fçavoit faire fa cour, ne fe contenta pas de l'approuver; il affura que jamais un

* Prudence.

*

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