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raon. Jamais les Demons n'ont eu tant de pouvoir, ni n'ont fait tant de chofes furprenantes, que du tems de JefusChrift & des Apôtres.

Cela n'empêche pas que le Paganif me n'ait toujours été appellé avec juftice le culte des Demons. Premierement, l'idée qu'on y prend de la Divinité ne convient nullement au vrai Dieu, mais à ces Genies reprouvés & éternellement malheureux.

Secondement, l'intention des Payens n'étoit pas tant d'adorer le premier Eftre, la fource de tous les biens, que ces Eftres malfaifans dont ils craignoient la colere ou le caprice. Enfin les Demons qui ont, fans contredit, le pouvoir de tenter les hommes, & de leur tendre des pieges, favorifoient,autant qu'il étoit en eux, l'erreur groffiere des Payens, & leur fermoient les yeux fur des impoftures vifibles. Delà vient qu'on dit que le Paganifme rouloit, non pas fur les prodiges, mais fur les preftiges des Demons, ce qui fuppofe qu'en tout ce qu'ils faifoient, il n'y avoit rien de réel, ni de vrai.

Il peut être cependant que Dieu ait II quelquefois permis aux Demons quel

ques effets réels. Si cela eft arrivé, Dieu avoit alors fes raifons, & elles font toujours dignes d'un profond ref pect. Mais à parler en general la chofe n'a point été ainfi. Dieu permit au Diable de brûler les maifons de Job de défoler fes pâturages, de faire mourir tous fes troupeaux, de fraper fon corps de mille playes; mais ce n'eft pas à dire que le Diable foit lâché fur tous ceux à qui les mêmes malheurs arrivent. On ne fonge point au Diable quand il eft queftion d'un homme malade ou ruiné. Le cas de Job eft un cas particulier, on raisonne independamment de cela, & nos raifonnemens generaux n'excluent jamais les exceptions que la toute-puiffance de Dieu peut faire à tout.

Il paroît donc que l'opinion commune fur les Oracles ne s'accorde pas bien avec la bonté de Dieu, & qu'elle décharge le Paganisme d'une bonne partie de l'extravagance, & même de l'abomination que les Saints Peres y ont toûjours trouvée. Les Payens devoient dire,pour fe juftifier, que ce n'étoit pas merveille qu'ils euffent obéi à des Genies qui animoient des Statuës, & fai

foient tous les jours cent chofes extraordinaires; & les Chrétiens pour leur ôter toute excufe, ne devoient jamais leur accorder ce Point. Si toute la Religion Payenne n'avoit été qu'une imposture des Prêtres, le Christianifme profitoit de l'excès du ridicule où elle tomboit.

Auffi y a-t-il bien de l'apparence que les difputes des Chrétiens & des Payens étoient en cet état, lorfque Porphire avotoit fi volontiers que les Oracles étoient rendus par de mauvais Demons. Ces mauvais Demons lui étoient d'un double ufage. Il s'en fervoit comme nous avons vû, à rendre inutiles, & même defavantageux à la Religion Chrétienne, les Oracles dont les Chrétiens prétendoient fe parer; mais de plus, il rejettoit fur ces Genies cruels & artificieux, toute la folie & toute la barbarie d'une infinité deSacrifices que l'on reprochoit fans ceffe aux Payens.

C'est donc attaquer Porphire jufque dans fes derniers retranchemens, & c'eft prendre les vrais interêts du Chri- . ftianifme, que de foutenir que les Demons n'ont point été les auteurs des Oracles.

CHAPITRE V 1.

Que les Demons ne font pas fuffifamment établis par le Paganifme.

DANs les premiers tems la Poëfie

& la Philofophie étoient la même chofe toute fageffe étoit renfermée dans les Poëmes. Ce n'eft pas que par cette alliance la Poëfie en valût mieux, mais la Philofophie en valoit beaucoup moins. Homere & Hefiode ont été les premiers Philofophes Grecs, & delà vient que les autres Philofophes ont toujours pris fort ferieufement ce qu'ils avoient dit, & ne les ont cités qu'avec honneur.

Homere confond le plus fouvent les Dieux & les Demons; mais Hefiode diftingue quatre especes de natures raifonnables, les Dieux, les Demons, les Demi-Dieux ou Heros, & les Hommes. Il va plus loin, il marque la durée de la vie des Demons; car ce font des Demons que les Nimphes dont il

parle dans l'endroit que nous allons citer, & Plutarque l'entend ainfi.

Une Corneille, dit Hefiode, vit neuf fois autant qu'un Homme ; un Cerf quatre fois autant qu'une Corneille; un Corbeau trois fois autant qu'un Cerf; le Phenix neuf fois autant qu'un Corbeau, & les Nimphes enfin dix fois autant que le Phenix.

On ne prendroit volontiers tout ce calcul que pour une pure rêverie poëtique, indigne qu'un Philofophe y faffe aucune reflexion, & indigne même qu'un Poëte l'imite; car l'agrément lui manque autant que la verité: mais Plutarque n'eft pas de cet avis. Comme il voit qu'en fuppofant la vie de l'homme de 70 ans, ce qui en eft la durée ordinaire, les Demons devroient vivre 680400 ans, & qu'il ne conçoit pas bien qu'on ait pu avoir l'experience d'une fi longue vie dans les Demons, il aime mieux croire qu'Hefiode par le mot d'âge d'Homme, n'a entendu qu'une année. L'interpretation n'est pas trop naturelle; mais fur ce pied-là on ne conte pour la vie des Demons que 9720 ans, & alors Plutarque n'a plus de peine à concevoir comment on a pû experimenter que les Demons vi

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