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HISTOIRE

DU LUXE

PRIVÉ ET PUBLIC

DEPUIS L'ANTIQUITÉ JUSQU'A NOS JOURS

PAR

H. BAUDRILLART

Membre de l'Institut

TOME PREMIER

Théorie du Luxe. Le Luxe primitif.
Le Luxe dans l'Orient antique et moderne.
Le Luxe en Grèce.

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C1o

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1878

Droits de propriété et de traduction réservés,

G

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PRÉFACE

En 1866 je faisais au Collège de France un cours sur l'histoire des faits et des doctrines économiques. Je pris pour sujet la question du luxe. Des raisons diverses me déterminaient dans ce choix. D'abord cette question était, comme on dit, à l'ordre du jour. Le développement du luxe l'avait posée devant l'opinion. Le théâtre en montrait les abus unis à ceux de l'agiotage. Les livres et les brochures se multipliaient pour ou contre le luxe privé. Le luxe public soulevait les mêmes discussions. Les sciences qui s'occupent des questions sociales ne pouvaient s'abstraire d'un si grand intérêt. Un motif plus théorique me guidait aussi. La plupart de ces solutions me paraissaient peu satisfaisantes: la question était souvent mal posée; on aboutissait presque toujours à des satires ou à des apologies également excess ves. Ceux-ci ne voulaient pas tenir compte de l'élément de luxe que toute civilisation renferme. Ceux-là sacrifiaient la morale à

certaines formes brillantes de la richesse et au plaisir. Trouver le nœud de ces contradictions, les concilier dans une vue scientifique supérieure, au profit de tous les grands principes, était fait pour tenter un professeur, qui avait de longue date pris comme objet de son enseignement l'union de la morale et de l'économie politique.

En une année de cours j'avais réussi à dire à peu près ce que je voulais là-dessus, c'est-à-dire l'essentiel. J'avais pu juger avec une sévérité trop justifiée le mauvais luxe sans lui offrir en holocauste la richesse, la civilisation, le juste développement des facultés humaines.

Mais il m'avait fallu négliger une quantité de développements historiques, qu'un enseignement comme celui dont j'étais chargé n'aurait pu donner sans perdre son caractère.

Ces développements historiques m'attiraient singulièrement. Décidément mon sujet m'avait conquis plus que je ne croyais moi-même. J'y revenais en dehors de toute préoccupation d'enseignement. Je me mis à en faire désormais l'objet de recherches suivies, qui se rattachaient aux mêmes principes, mais qui avaient leur importance et leur intérêt à part. Avec un cadre ainsi agrandi, ce n'était plus à un auditoire, mais à un public de lecteurs, que je pouvais songer à m'adresser. Voilà comment ce qui fut la matière d'un cours pendant une année seulement, a pu devenir un livre qui n'a cessé de m'occuper pendant douze ans. Le livre ne devait

d'abord lui-même avoir qu'un volume, puis deux; il en a quatre, et je ne suis pas sûr de ne pas éprouver le regret, que ne partageront ni l'éditeur ni le public, de n'en avoir pas fait davantage.

La vérité est qu'une histoire du luxe n'existe pas, et que j'ai tenté de combler une lacune dont mes recherches n'avaient fait que me convaincre davantage. De cette histoire on ne rencontre que des fragments sans lien entre eux, le plus souvent même sans relation marquée avec la société dont le luxe reflète l'état moral, économique, politique. Nulle distinction presque du luxe privé et du luxe public. Même dans ces fragments, en dépit de recherches fort érudites, l'ordre chronologique est rarement suivi; le classement, tout matériel, de divers usages, confond les époques; c'est une nomenclature en un mot, plutôt qu'une histoire.

Un critérium quelque peu exact manque en outre presque toujours à ces fragments pour qualifier ces degrés ou ces genres de luxe comme il convient, et il est de fait qu'un état avancé des sciences morales et politiques pouvait seul fournir ce critérium. Aussi y trouvet-on flétris avec une indignation exagérée, et souvent peu sérieuse certains usages innocents, inévitables dans un état social développé. D'autres auteurs, au contraire, beaucoup plus coulants, font d'usages difficiles à justifier moralement, ou contraires à la production bien entendue, à la répartition équitable de la richesse et à son emploi judicieux, l'objet de jugements beaucoup

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