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Par-tout joigne au plaisant le solide et l'utile.
Un lecteur sage fuit un vain amusement,

Et veut mettre à profit son divertissement.

Que votre ame et vos mœurs, peintes dans vos qu= vrages,

N'offrent jamais de vous que de nobles images.

Je ne puis estimer ces dangereux auteurs
Qui de l'honneur, en vers, infàmes déserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.
Je ne suis pas pourtant de ces tristes esprits
Qui, bannissant l'amour de tous chastes écrits,
D'un si riche ornement veulent priver la scene;

Traitent d'empoisonneurs et Rodrigue et Chimene.
L'amour le moins honnête exprimé chastement
N'excite point en nous de honteux mouvement.
Didon a beau gémir et m'étaler ses charmes;
Je condamne sa faute en partageant ses larmes.

Un auteur vertueux, dans ses vers innocents,
Ne corrompt point le cœur en chatouillant les sens:
Son feu n'allume point de criminelle flamme.
Aimez donc la vertu, nonrrissez-en votre ame :
En vain l'esprit est plein d'une noble vigueur;
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
Fuyez sur-tout, fuyez, èes basses jalousies,
Des vulgaires esprits maligues frénésies.
Un sublime écrivain n'en peut être infecté ;
C'est un vice qui suit la médiocrité.
Du mérite éclatant cette sombre rivale

Contre lui chez les grands incessamment cabale;
Et, sur les pieds en vain tâchant de se hausser,
Pour s'égaler à lui cherche à le rabaisser.
Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues:
N'allons point à l'honneur par de honteuses brigues.
Que les vers ne soient pas votre éternel emploi.
Cultivez vos amis, soyez homme de foi:

C'est peu d'être agréable et charmant dans un livre; Il faut savoir encore et converser et vivre.

Travaillez pour la gloire, et qu'un sordide gain Ne soit jamais l'objet d'un illustre écrivain.

Je sais qu'un noble esprit peut, sans honte et sans crime,

Tirer de son travail un tribut légitime:

Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés
Qui, dégoûtés de gloire, et d'argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d'un libraire,
Et font d'un art divin un métier mercenaire.

Avant que la raison, s'expliquant par la voix,
Eût instruit les humains, eût enseigné des lois,
Tous les hommes suivoient la grossiere nature,
Dispersés dans les bois couroient à la pâture;
La force tenoit lieu de droit et d'équité;
Le meurtre s'exerçoit avec impunité.
Mais du discours enfin l'harmonieuse adresse
De ces sauvages mœurs adoucit la rudesse,
Rassembla les humains dans les forêts épars,
Enferma les cités de murs et de remparts,
De l'aspect du supplice effraya l'insolence,
Et sous l'appui des lcis mit la foible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
De là sont nés ces bruits reçus dans l'univers,
Qu'aux accents dont Orphée emplit les monts de
Thrace

Les tigres amollis dépouilloient leur audace;

Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvoient,
Et sur les murs thébains en ordre s'élevoient.
L'harmonie en naissant produisit ces miracles.
Depuis, le ciel en vers fit parler les oracles;
Du sein d'un prêtre, ému d'une divine horreur,
Apollon par des vers exhala sa fureur.

Bientôt, ressuscitant les héros des vieux âges,
Homere aux grands exploits anima les courages.

Hésiode à son tour, par d'utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée

Fut, à l'aide des vers, aux mortels annoncée;
Et par-tout des esprits ses préceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille, entrerent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les muses révérées
Furent d'un juste encens dans la Grece henorées;
Et leur art, attirant le culte des mortels,
A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.
Mais enfin, l'indigence amenant la bassesse,
Le Parnasse oublia sa premiere noblesse.
Un vil amour du gain, infectant les esprits,
De mensonges grossiers souilla tous les écrits;
Et par-tout, enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du discours et vendit les paroles.

Ne vous flétrissez point par un vice si bas.
Si l'or seul a pour vous d'invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmants qu'arrose le Permesse:
Ce n'est point sur ses bords qu'habite la richesse.
Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands
guerriers,

Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers.

Mais quoi! dans la disette une muse affamée
Ne pent pas, dira-t-on, subsister de fumée;
Un auteur qui, pressé d'un besoin importun
Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d'Hélicon les douces promenades:
Horace a bu son son! quand il voit les Ménades;
Et, libre du souci qui trouble Colletet,
N'attend pas pour diner le succès d'un sonnet.

Il est vrai: mais enfin cette affreuse disgrace
Rarement parmi nous afflige le Parnasse.

Et que craindre en ce siecle, où toujours les beaux arts D'un astre favorable éprouvent les regards;

Où d'un prince éclairé la sage prévoyance

Fait par-tout au mérite ignorer l'indigence?

Muses, dictez sa gloire à tous vos nourrissons: Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons. Que Corneille, pour lui rallumant son audace, Soit encor le Corneille et du Cid et

d'Horace:

Que Racine, enfantant des miracles nouveaux,
De ses héros sur lui forme tous les tableaux:
Que de son nom, chanté par la bouche des belles,
Benserade en tous lieux amuse les ruelles:
Que Segrais dans l'églogue en charme les forêts;
Que pour lui l'épigramme aiguise tous ses traits.
Mais quel heureux auteur, dans une autre Enéide,
Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide?
Quelle savante lyre au bruit de ses exploits
Fera marcher encor les rochers et les bois;
Chantera le Batave, éperdu dans l'orage,
Soi-même se noyant pour sortir du naufrage ;
Dira les bataillons sous Mastricht enterrés,
Dans ces affreux assauts du soleil éclairés?

Mais tandis que je parle, une gloire nouvelle
Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.
Déja Dole et Salins (1) sous le joug ont ployé;
Besançon fume encor sous son roc foudroyé.
Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues
Devoient à ce torrent opposer tant de digues?
Est-ce encore en fuyant qu'ils pensent l'arrêter,
Fiers du honteux honneur d'avoir su l'éviter?
Que de remparts détruits! que de villes forcées !
Que de moissons de gloire en courant aniassées !
Auteurs, pour les chanter redoublez vos transports:
Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.

Pour moi, qui, jusqu'ici nourri dans la satire, N'ose encor manier la trompette et la lyre,

(1) Places, de la Franche Comté, prises en plein kiver

Vous me verrez pourtant, dans ce champ glorieux,
Vous animer du moins de la voix et des yeux;
Vous offrir ces leçons que ma muse au Parnasse
Rapporta, jeune encor, du commerce d'Horace;
Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits,
Et vous montrer de loin la couronne et le prix.
Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zele,
De tous vos pas fameux observateur fidele,
Quelquefois du bon or je sépare le faux,

Et des auteurs grossiers j'attaque les défauts:
Censeur un peu fâcheux, mais souvent nécessaire,
Plus enclin à blâmer, que savant à bien faire.

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