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SATIRE PREMIERE.

DAMON (1), ce grand auteur dont la muse fertile

Amusa si long-temps et la cour et la ville;
Mais qui, n'étant vêtu que de simple bureau,
Passe l'été sans linge, et l'hiver sans manteau;
Et de qui le corps sec et la mine affamée

N'en sont pas mieux refaits pour tant de renommée;
Las de perdre en rimant et sa peine et son bien,
D'emprunter en tous lieux, et de ne gagner rien,
Sans habits, sans argent, ne sachant plus que faire,
Vient de s'enfuir, chargé de sa seule misere;
Et, bien loin des sergents, des clercs et du palais,
Va chercher un repos qu'il ne trouva jamais;
Sans attendre qu'ici la justice ennemie
L'enferme en un cachot le reste de sa vie,
Ou que d'un bonnet verd (2) le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.
Mais le jour qu'il partit, plus défait et plus blême
Que n'est un pénitent sur la fin d'un carême,
La colere dans l'ame et le feu dans les yeux,
Il distilla sa rage en ces tristes adieux:

Puisqu'en ce lieu, jadis aux muses si commode,
Le mérite et l'esprit ne sont plus à la mode;
Qu'un poëte, dit-il, s'y voit maudit de Dieu,
Et qu'ici la vertu n'a plus ni feu ni lieu;

(1) J'ai eu en vue Cassandre, celui qui a traduit la Rhétorique d'Aristote.

(2) Du temps que cette satire fut faite, un débiteur insolvable pouvoit sortir de prison en faisant cession, c'està-dire en souffrant qu'on lui mît en pleine rue un bonnet verd sur la tête.

Allons du moins chercher quelque antre ou quelque

roche,

D'où jamais ni l'huissier ni le sergent n'approche;
Et, sans lasser le ciel par des voeux impuissants,
Mettons-nous à l'abri des injures du temps,
Tandis que, libre encor malgré les destinées,
Mon corps n'est point courbé sous le faix des années,
Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler,
Et qu'il reste à la parque encor de quoi filer :
C'est là dans mon malheur le seal conseil à suivre.
Que George vive ici, puisque George y sait vivre,
Qu'un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis:
Que Jaquin vive ici, dont l'adresse funeste
A plus causé de maux que la guerre et la peste;
Qui de ses revenus écrits par alphabet
Peut fournir aisément un Calepin complet;
Qu'il regne dans ces lieux ; il a droit de s'y plaire.
Mais moi, vivre à Paris! Eh! qu'y voudrois-je faire?
Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir;
Et, quand je le pourrois, je n'y puis consentir.
Je ne sais point en lâche essuyer les outrages
D'un faquin orgueilleux qui vous tient à ses gages,
De mes sonnets flatteurs lasser tout l'univers,
Et vendre au plus offrant mon encens et mes vers :
Pour un si bas emploi ma muse est trop altiere.
Je suis rustique et fier, et j'ai l'ame grossiere :
Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom;
J'appelle un chat un chat, et Rolet (1) un frippon.
De servir un amant, je n'en ai pas l'adresse ;
J'ignore ce grand art qui gagne une maîtresse ;
Et je suis, à Paris, triste, pauvre, et reclus,

(1) Procureur très décrié, qui a été dans la suite con. damné à faire amende honorable, et banni à perpétuité.

Ainsi qu'un corps sans ame, ou devenu perclus.
Mais pourquoi, dira-t-on, cette vertu sauvage
Qui court à l'hôpital, et n'est plus en usage?
La richesse permet une juste fierté;
Mais il faut être souple avec la pauvreté :
C'est par là qu'un auteur que presse l'indigence
Peut des astres malins corriger l'influence,
Et que le sort burlesque, en ce siecle de fer,

D'un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair (1)..
Ainsi de la vertu la fortune se joue:

Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de sa roue
Qu'on verroit, de couleurs bizarrement orné,
Conduire le carrosse où l'on le voit traîné,

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Si dans les droits du roi sa funeste science
Par deux ou trois avis n'eût ravagé la France.
Je sais qu'un juste effroi l'éloignant de ces lieux
L'a fait pour quelques mois disparoître à nos yeux:
Mais en vain pour un temps une taxe l'exile;
On le verra bientôt pompeux en cette ville
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et jouir du ciel même irrité contre lui;
Tandis que Colletet (2), crotté jusqu'à l'échine,
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine,
Savant en ce métier, si cher aux beaux-esprits,
Dont Montmaur (3) autrefois fit leçon dans Paris.
Il est vrai que du roi la bonté secourable
Jette enfin sur la muse un regard favorable;
Et, réparant du sort l'aveuglement fatal,

(1) L'abbé de la Riviere, dans ce temps-là, fut fait évêque de Langres. Il avoit été régent dans un college. Fameux poëte fort gueux, dont on a encore plusieurs ouvrages.

(2)

(3) Célebre parasite, dont Ménage a écrit la vie.

Va tirer désormais Phébus de l'hôpital (1).
On doit tout espérer d'un monarque si juste:
Mais, sans un Mécénas, à quoi sert un Auguste ?
Et fait comme je suis, au siecle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaisser à me servir d'appui?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l'accable;
Qui, dès que sa main s'ouvre, y courent les premiers,
Et ravissent un bien qu'on devoit aux derniers,
Comme on voit les frêlons, troupe lâche et stérile,
Aller piller le miel que l'abeille distille?
Cessons donc d'aspirer à ce prix tant vanté
Que donne la faveur à l'importunité.

Saint-Amand (2) n'eut du ciel que sa veine en partage:
L'habit qu'il eut sur lai fut son seul héritage;
Un lit et deux placets composoient tout son bien;
Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avoit rien.
Mais quoi! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

Et, tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour (3).
Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée?

Il en revint couvert de honte et de risée;
Et la fievre, au retour, terminant son destin,
Fit par avance en lui ce qu'auroit fait la faim.
Un poëte à la cour fut jadis à la mode;
Mais des fous aujourd'hui c'est le plus incommode :

(1) Le roi, en ce temps-là, à la sollicitation de M. Colbert, donna plusieurs pensions aux gens de lettres.

(2) On a plusieurs ouvrages de lui où il y a beaucoup de génie. Il ne savoit pas le latin, et étoit fort pauvre.

(3) Le poëme qu'il y porta étoit intitulé le Poëme de la Lune; et il y louoit le roi, sur-tout de savoir bien nager.

Et l'esprit le plus beau, l'auteur le plus põli,
N'y parviendra jamais au sort de l'Angéli (1).
Faut-il donc désormais jouer un nouveau rôle?
Dois-je, las d'Apollon, reconrir à Barthole?
Et, feuilletant Louet alongé par Brodeau (2),
D'une robe à longs plis balayer le barreau ?
Mais à ce seul penser je sens que je m'égare.
Moi! que j'aille crier dans ce pays barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un dédale de lois,
Et, dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes;
Où Patru gagne moins qu'Huot et le Mazier,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier (3)!
Avant qu'un tel dessein m'entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée;
Arnaud à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin bigot.
Quittons donc pour jamais une ville importune
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune;
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main;
Où la science, triste, affreuse, délaissée,
Est par-tout des bons lieux comme infàme chassée;
Où le seul art en vogue est l'art de bien voler;
Où tout me choque; enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme si froid ne seroit plein de bile

(1) Célebre fou que M. le Prince avoit amené avec lui des Pays-Bas, et qu'il donna au roi.

(2) Brodeau a commenté Louet.

(3) Célebre procureur. Il s'appeloit Pierre Fournier; mais les gens de palais, pour abréger, l'appeloient PéFournier.

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