Page images
PDF
EPUB

L'un l'autre au moindre affront les force à s'égorger, Et dans leur ame, en vain de remords combattue, Trace en lettres de sang ces deux mots: Meurs ou Tue. Alors, ce fut alors, sous ce vrai Jupiter,

Qu'on vit naître ici-bas le noir siecle de fer.

Le frere au même instant s'arma contre le frere ;
Le fils trempa ses mains dans le sang de son pere;
La soif de commander enfanta les tyrans,
Du Tanaïs (1) au Nil porta les conquérants;
L'ambition passa pour la vertu sublime;

Le crime heureux fut juste, et cessa d'être crime :
On ne vit plus que haine et que division,
Qu'envie, effroi, tumulte, horreur, confusion.
Le véritable Honneur sur la voûte céleste
Est enfin averti de ce trouble funeste.

Il part sans différer, et, descendn des cieux,
Va par-tout se montrer dans les terrestres lieux :
Mais il n'y fait plus voir qu'un visage incommode;
On n'y peut plus souffrir ses vertus hors de mode;
Et lai-même, traité de fourbe et d'imposteur,
Est contraint de ramper aux pieds du séducteur.
Enfin, las d'essuyer outrage sur outrage,
Il livre les humains à leur triste esclavage;
S'en va trouver sa sœur, et, dès ce même jour,
Avec elle s'envole au céleste séjour.
Depuis, toujours ici riche de leur ruine,
Sur les tristes mortels le faux honneur domine,
Gouverne tout, fait tout, dans ce bas univers;
Et peut-être est-ce lui qui m'a dicté ces vers.
Mais en fût-il l'auteur, je conclus de sa fable
Que ce n'est qu'en Dieu seul qu'est l'honneur véris
table.

(1) Le Tanaïs est un fleuve du pays des Scythes.

AVERTISSEMENT.

SUR LA SATIRE XII.

QUELQUE heureux succès qu'aient eu mes ouvrages, j'avois résolu depuis leur derniere édition (1) de ne plus rien donner au public; et quoiqu'à mes heures perdues, il y a environ cinq ans (2), j'eusse encore fait contre l'équivoque une satire que tous ceux à qui je l'ai communiquée ne jugeoient pas inférieure à mes autres écrits, bien loin de la publier, je la tenois soigneusement cachée, et je ne croyois pas que, moi vivant, elle dût jamais voir le jour. Ainsi donc, aussi soigneux désormais de me faire oublier que j'avois été autrefois curieux de faire parler de moi, je jouissois, à mes infirmités près, d'une assez grande tranquillité, lorsque tout d'un coup j'ai appris qu'on débitoit dans le monde sous mon nom quantité de méchants écrits, et entre autres une piece en vers contre les jésuites, également odieuse et insipide, où l'on me faisoit, en mon propre nom, dire à toute leur société les injures les plus atroces et les plus grossieres. J'avoue que cela m'a donné un très grand chagrin. Car bien que tous les gens sensés aient connu sans peine que la piece n'étoit point de moi, et qu'il n'y ait eu que de très petits esprits qui aient présumé que j'en pouvois être l'auteur, la vérité est pourtant que je n'ai pas regardé comme un médiocre affront

(1) En 1701.

(2) Cet avertissement a été composé en 1710.

de me voir soupçonné, même par des ridicules, d'a voir fait un ouvrage si ridicule.

J'ai donc cherché les moyens les plus propres pour me laver de cette infamie; et, tout bien considéré, je n'ai point trouvé de meilleur expédient que de faire imprimer ma satire contre l'ÉQUIVOQUE; pare eequ'en la lisant, les moins éclairés, même de ces petits esprits, ouvriroient peut-être les yeux, et verroient manifestement le peu de rapport qu'il y a de mon style, même en l'âge où je suis, au style bas et rampant de l'auteur de ce pitoyable écrit. Ajoutez à cela que je pouvois mettre à la tête de ma satire, en la donnant au public, an avertissement en maniere de préface, où je me justifierois pleinement, et tirerois tout le monde d'erreur. C'est ce que je fais au= jourd'hui; et j'espere que le peu que je viens de dire produira l'effet que je me suis proposé. Il ne me reste donc plus maintenant qu'à parler de la satire pour laquelle est fait ce discours.

Je l'ai composée par le caprice du monde le plus bizarre, et par une espece de dépit et de colere poetique, s'il faut ainsi dire, qui me saisit à l'occasion de ce que je vais raconter. Je me promenois dans mon jardin à Auteuil, et rêvois en marchant à un poëme que je voulois faire contre les mauvais critiques de notre siecle. J'en avois même déja composé quelques vers, dont j'étois assez content. Mais voulant conti nuer, je m'apperçus qu'il y avoit dans ces vers une équivoque de langue; et m'étant sur-le-champ mis en devoir de la corriger, je n'en pus jamais venir à bout. Cela m'irrita de telle maniere, qu'au lieu de m'appli= quer davantage à réformer cette équivoque, et de poursuivre mon poëme contre les faux critiques, la folle pensée me vint de faire contre l'équivoque même une satire qui pût me venger de tous les chagrins qu'elle m'a causés depuis que je me mêle d'écrire. Je

I.

ΤΟ

vis bien que je ne rencontrerois pas de médiocres difficultés à mettre en vers un sujet si sec; et même il s'en présenta d'abord une qui m'arrêta tout court: ce fut de savoir duquel des deux genres, masculin ou féminin, je ferois le mot d'équivoque, beaucoup d'ha biles écrivains, ainsi que le remarque Vaugelas, le faisant masculin. Je me déterminai pourtant assez vîte au féminin, comme au plus usité des deux : et bien loin que cela empêchât l'exécution de mon projet, je crus que ce ne seroit pas une méchante plaisanterie de commencer ma satire par cette difficulté même. C'est ainsi que je m'engageai dans la composition de cet ouvrage. Je croyois d'abord faire tout au plus cinquante ou soixante vers; mais ensuite les pensées me venant en foule, et les choses que j'avois à reprocher à l'équivoque se multipliant à mes yeux, j'ai poussé ces vers jusqu'à près de trois cents cinquante.

C'est au public maintenant à voir si j'ai bien ou mal réussi. Je n'emploierai point ici, non plus que dans les préfaces de mes autres écrits, mon adresse et ma rhétorique à le prévenir en ma faveur. Tout ce que je puis lui dire, c'est que j'ai travaillé cette piece avec le même soin que toutes mes autres poésies. Une chose pourtant dont il est bon que les jésuites soient avertis, c'est qu'en attaquant l'équivoque je n'ai pas pris ce mot dans toute l'étroite rigueur de sa signification grammaticale, le mot d'équivoque, en ce senslà, ne voulant dire qu'une ambiguité de paroles; mais que je l'ai pris, comme le prend ordinairement le commun des hommes, pour toutes sortes d'ambiguités de sens, de pensées, d'expressions, et enfin pour tous ces abus et toutes ces méprises de l'esprit humain qui font qu'il prend souvent une chose pour une autre. Et c'est dans ce sens que j'ai dit que l'idolâtrie avoit pris naissance de l'équivoque; les hommes, mon avis, ne pouvant pas s'équivoquer plus lour.

dement que de prendre des pierres, de l'or et du cuivre, pour Dieu. J'ajouterai à cela que la Providence divine, ainsi que je l'établis clairement dans ma satire, n'ayant permis chez eux cet horrible avenglement qu'en punition de ce que leur premier pere avoit prêté l'oreille aux promesses du démon, j'ai pu conclure infailliblement que l'idolâtrie est un fruit, ou, pour mieux dire, un véritable enfant de l'équivoque. Je ne vois donc pas qu'on me puisse faire sur cela aucune bonne critique, et sur-tout ma satire étant un pur jeu d'esprit, où il seroit ridicule d'exiger une précision géométrique de pensées et de paroles.

Mais il y a une autre objection plus importante et plus considérable, qu'on me fera peut-être au sujet des propositions de morale relâchée que j'attaque dans la derniere partie de mon ouvrage. Car ces propositions ayant été, à ce qu'on prétend, avancées par quantité de théologiens, même célebres, la moquerie que j'en fais peut, dira-t-on, diffamer en quelque sorte ces théologiens, et causer ainsi une espece de scandale dans l'église. A cela je réponds premièrement qu'il n'y a aucune des propositions que j'attaque qui n'ait été plus d'une fois condamnée par toute l'église, et tout récemment encore par deux des plus grands papes qui aient depuis long-temps rempli le saintsiege. Je dis en second lieu qu'à l'exemple de ces célebres vicaires de Jésus-Christ, je n'ai point nommé les anteurs de ces propositions ni aucun de ces théologiens dont on dit que je puis causer la diffamation, et contre lesquels même j'avoue que je ne puis rien décider, puisque je n'ai point lu ni ne suis d'humeur à lire leurs écrits: ce qui seroit pourtant absolument nécessaire pour prononcer sur les accusations que l'an forme contre eux, leurs accusateurs pouvant les avoir mal entendus, et s'être trompés dans l'intelligence des passages où ils prétendent que sont ces er

« PreviousContinue »