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dame. Il y a quelques mots qui tiennent un peu de l'antiquité : mais il n'y a rien toutesfois que vous n'entendiez, comme je pense. Quand elle dit, Que ce fust à certes ce que vous dites, A certes1 c'est A bon escient. De laquelle façon de parler on use encore aujourd'huy en quelques lieux et signifie aussi De grande affection, Bien affectueusement : ou Bien affectionnément, comme les autres aiment mieux dire. Muser2 (un peu auparavant) c'est ce que nous disons. maintenant Estre tout pensif: et conforter 3 n'est pas pour reconforter, mais pour Donner courage. PHILAU. J'ay l'exposition de ces mots, comme de surcrest, dequoy je vous remercie. J'ay remarqué aussi ce mot Frisque 4, (lequel je ne penses

A certes, sérieusement, tout de bon (Godefroy). La signification affectueusement n'est indiquée que par Lacurne. Godefroy assure que le patois lyonnais dit encore prendre une chose à certes pour signifier la prendre au sérieux, s'en formaliser, s'en fâcher. Nous trouvons dans le Glossaire de Bridel à certes, pour sûr, sans y manquer.

2 Muser n'a plus que le sens de s'amuser, qu'il a du reste déjà dans le Roman de la Rose, dans la Marguerite des Marguerites, etc. Furetière lui assigne comme signification première «< avoir le visage fiché vers un endroit. » Cf. l'angl. muse, méditer, et le wallon mûzer, être morne. (Grandgagnage.)

3 Conforter s'est dit au sens physique (d'Aubigné), de même que reconforter s'est dit au sens moral. (Saint Alexis, Thomas Martyr.) « Voilà encore un de ces simples dont nous sommes privés, du moins au figuré. » Noël.

4 Frisque. Le ms. 6477 de la Bib. Nat., suivi par M. Luce, a friche; le ms. d'Amiens: frisce. Frisque, dans sa première signification, n'est pas tout à fait tombé; il a été employé par La Fontaine, Contes, II, 2. « Mot un peu vieux et qui ne s'emploie plus que dans le comique et le burlesque. >> Furetière. De l'all. frisch, frais.

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pas estre si ancien) où il dit, Et bien luy estoit advis qu'oncques n'avoit veu si noble, si frisque, ne si belle dame. CELT. Il use de ce mot en parlant d'elle mesme en l'autre endroit où il dit, La beauté et le frisque arroy d'elle. Car faisant mention de ce mesme roy, et reduisant en memoire ce qu'il en a dict en ce passage sur lequel nous sommes demeurez, touchant son amourachement: Si avez bien entendu (dit-il) comment il avoit si ardamment aimé et par amours la belle et noble dame, madame Elis, comtesse de Saleberi, qu'il ne s'en pouvoit abstenir. Car amour l'admonnestoit nuit et jour, et tellement luy representoit la beauté et le frisque arroy d'elle, qu'il ne s'en sçavoit conseiller et n'y faisoit que penser tousjours: combien que le comte de Saleberi fust le plus privé de tout son conseil, et l'un de ceux d'Angleterre qui plus loyaument l'avoit servi. Et puis il adjouste comment pour l'amour de ceste dame et pour le grand desir qu'il avoit de la voir, il avoit faict crier ceste grande feste de jouste. PHIL. Ceste comtesse fit sentir à ce roy le mesme tourment que le roy Ænee (tesmoin Virgile) fit sentir à la royne Dido. Car quand cest historien dit de ce roy d'Angleterre, qu'Amour l'admonestoit nuit, et jour, et ce qui s'ensuit, il me semble que c'est comme s'il disoit,

Pulchra ejus facies animo, multusque recursat Oris honos: pendent infixi pectore vultus,

Verbaque nec placidam
nec placidam membris dat cura
quietem 1.

CEL. Vous triomphez monsieur Philausone en matiere d'user de parodie. Qui vous en a tant appris? PHIL. J'en ay appris tant et si peu d'un livre mis en lumiere depuis un an ou deux, qui est intitulé Parodia morales 2. Mais je vous prie que j'entende l'issue de ce povre amoureux. Car tout roy qu'il estet, je l'appelle povre amoureux par une façon de parler que nous avons quand nous plaignons quelcun, et avons pitié de luy. CELT. Comment? vous semble-il donc qu'il fust à plaindre? mais plustost ceste dame estoit à plaindre, pour le danger où elle se voyoit. PHIL. Je le plain du martyre qu'il enduret : lequel devet estre grand, veu que seulement pour avoir occasion de voir ceste dame il prit tant de peine, et en fit prendre tant à un si grand nombre de seigneurs et d'autres dames, de divers pays. CEL. Quant au martyre, à son dam. car pourquoy s'addressoit-il où il ne faloit pas ? quant à ce que vous dites qu'il prenoit tant de peine, et qu'aussi il en faisoit prendre tant aux autres, je vous con

1 Voy. Virgile, Æn., IV, 3.

2 Parodiae morales H. Stephani in poetarum vet. sententias celebriores totidem versibus Gr. ab eo redditas... Centonum veterum et parodiarum utriusque linguae exempla. Anno MDLXXV exc. H. Stephanus cum privil. Cæs. Majest. in decennium, pet. in-8°. Henri écrit qu'il composa ces vers ad fallendum itineris tædium. Il était effectivement revenu depuis peu de Vienne en Autriche et on sait qu'il avait l'habitude de composer, surtout des vers, inter equitandum.

fesse le second, mais non pas le premier. Car quelle peine lui estoit-ce de mander tant de seigneurs et de dames? au contraire ce luy estoit un grand plaisir de se voir ainsi obey: et experimenter ce que dit le proverbe ancien, pris d'Herodote, longas regibus esse manus. PHIL. Vous y allez bien rudement: et j'ay pensé dire que vous estiez bien rude aux povres gens : suivant ce que j'ay tantost dict Ce povre roy. Vous parlez comme un homme qui ne sçait que c'est de la violence et du tourment d'amour, en plaignant si peu ce povre roy. Et toutesfois à le prendre au pire) encore plaignons nous un homme que nous voyons endurer quelque supplice pour ses mesfaits. Au reste, il me semble que vous abusez de ce proverbe ancien, lequel vous alleguez. car on n'a pas dict que les roys eussent les mains longues pource qu'ils faisoyent venir de bien loing ceux qu'ils mandoyent pour les festoyer, mais pource qu'ils pouvoyent faire venir de bien loing ceux qu'il leur plaiset, encore que ce ne fust pour leur prouffit, mais plustost pour leur dommage: voir aucuns pour y laisser la vie ou bien, sans les faire venir, avoir leur raison d'eux au lieu où ils estoyent, encore qu'il fust lointain. CELT. Je ne pensois pas que vous

I Hérodote, VIII, 140. Cf. Ovide, Her., XVII, 166. Les Grecs disaient de même proverbialement : Μακραὶ τυράννων Xεipes. Voy. Apostolius, Cent., XI, 7a, dans le Corpus parœmiographorum de Leutsch; cf. Arsenius, XXXV, 19. « Les princes ont les mains bien longues, i. leur pouvoir s'estend fort loing. » Oudin, Cur.

deussiez prendre garde de si pres à l'usage de ce proverbe. Mais je voy bien que c'est vous faites tout ce que vous pouvez pour soustenir ce roy d'Angleterre. Et quant à moy, je di qu'il n'estoit pas sage de faire venir ceste dame, puis qu'elle luy devoit renouveller sa playe. Il devoit penser, suivant ce que disent les Perses, en Herodote 1 au commancement de sa Terpsichore, que ceste belle dame luy feroit mal aux yeux. PHIL. N'estoyent-ils pas de grands resveurs, de dire que la beauté faiset mal aux yeux? CELT. Vous n'estes pas le premier qui les a repris de ceste parole: mais il me semble que je les defendrois bien, si je l'avois entrepris. PHIL. Je vous prierai un jour d'entendre ceste defense: maintenant je desire fort savoir l'issue de l'inamourement de ce roy d'Angleterre. Depuis n'usa il plus de tel langage à ceste dame? CELT. Si fit, après avoir eu long temps un grand combat en soy-mesme. Car aucunesfois il se reduisoit (pour user des mots de l'historien) qu'honneur et loyauté luy defendoit de mettre son cœur en telle fausseté, pour deshonorer une si vaillante dame, et si vaillant et loyal chevalier, comme son mari estoit : qui tousjours l'avoit tant bien servi: d'autre part amour le contraignoit si fort, qu'elle surmontoit honneur et loyauté. Ainsi se debattit en soymesme tout le jour et toute la nuit. Or en la fin prenant congé de la dame le matin, il luy dit,

1 Hérodote, V, 18.

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