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tousjours entendu ces mots en l'autre signification. Et sçay bien qu'on souloit dire, Il ne boit que du bon et pareillement, Il ne mange que du bon. PHIL. Je ne vous ay pas dict que tous parloyent ainsi, mais vous ay dict quelques-uns seulement. CEL. Or-çà, à propos de ce qu'on dit des Italiens, Ventre de bureau, 'et dos de velours1, puis que les François (principalement les gentilshommes) au contraire font tous les deux de velours, il ne faut pas douter que plusieurs ne tombent en ces dangers que dit Juvenal. PHIL. Il y a desja longtemps qu'ils faisoyent tous les deux de velours: ce n'estet rien toutesfois à comparaison de ce qui est maintenant et pourtant vous pouvez bien penser quant à ces dangers, comment il en va suyvant ce que je vous dises hier, qu'aucuns portent sur eux leurs prez, leurs vignes, leurs terres, voire quelquesfois leurs maisons aussi. CELT. A ce que je puis penser par vos paroles, d'autant qu'ils cedent aux anciens Rommains en la somptuosité des banquets, d'autant les surmontent-ils en ceste autre sorte d'exces, qui est en habits pompeux. PHIL. Il y a ja long temps qu'ils ont commencé à les surmonter mais maintenant ils se surmontent eux mesmes de beaucoup en tels exces. Et quant aux

1 Ventre de bureau et dos de velours. Cotgrave dit: ventre de velours robbe de bureau. Oudin, Cur. : « ventre de veloux robbe de foin, i. bonne chere et mauvais habit. Le contraire est ventre de foin. » Nous disons: habit de velours, ventre de son.

Rommains, je ne trouve pas qu'ils ayent esté repris de cest exces, comme de l'autre, par les poetes satyriques. Au contraire Juvenal dit que les Rommains avoyent quelque consideration, mais leurs femmes point. car voyci ses paroles, Multis res angusta domi est : sed nulla pudorem Paupertatis habet, nec se metitur ad illum Quem dedit hæc posuitque modum. tamen utile quid sit

Prospiciunt aliquando viri, friguque famemque Formica tandem quidam expavere magistra: Prodiga non sentit pereuntem, fœmina censum Ac, velut exhausta redivivus pullulet arca Nummus, et è pleno semper tollatur acervo, Non unquam reputant quanti sibi gaudia constent. CEL. Je croy que ça esté depuis que le monde est monde que les femmes ont esté plus addonees à telle somptuosité, et ont aimé la bragardise plus que les hommes. Et mesmement vous lisez qu'aucunes ont esté tant aveuglees du desir de se voir parees de quelques beaux joyaux, ou de quelque belle robbe, qu'elles ont trahi les unes leur mari, les autres leur frere, ou leur pere: et ont esté cause de leur mort, pour avoir tels presens. Et volontiers Eriphyle est mise des premieres en ce reng, de laquelle, ou plustost à laquelle dit Properce2 (s'adressant à elle par la figure qui s'appelle apostrophe)

1 Juvénal, Sat. VI, v. 357.
2 Properce, El., III, 13, 57.

Tu quoque ut auratos gereres Eriphyla lacertos, Dilapsis nusquam est Amphiaraus equis.

Et en un autre endroit

Creuse aussi, il dit,

parlant d'elle et de

Aspice quid donis Eryphile invenit amaris,
Arserit et quantis nupta Creusa malis.

Et Ovide 2 aussi dit d'Eriphyle,

Si scelere Oeclides Talaonia Eriphiles

Vivus et in vivis ad styga venit equis.

Et ceste Eriphyle fut cause par sa meschanceté d'un acte autant ou plus meschant, perpetré contre elle. car son fils voulut par la mort d'elle venger celle de son pere; comme tesmoigne ce mesme poete 3 en un autre lieu où il dit,

Ex quibus exierat trajecit viscera ferro
Filius: et pænæ causa monile fuit.

A ce mesme propos, la meschanceté aussi de la Rommaine nommee Tarpeia, fille vestale, n'a pas esté oubliee es croniques des Rommains : comme aussi un acte si notable meritoit bien d'estre mis en perpetuelle memoire. Car c'est grand cas que le desir des brasselets d'or que les ennemis portoyent, fut la premiere chose qui l'incita à leur livrer le lieu qui depuis fut nommé le Capitole. Je di que ce fut la premiere chose. car je sçay bien que depuis elle s'amouracha de

1 Prop., El., II, 16, 29. 2 Ovide, A. A., III, 13. 3 Ov., Amor, I, 10, 71.

leur coronel, Tatius. Mais combien qu'elle fist acheter ces brasselets (ou plustost le desir d'iceux) bien cherement à sa patrie, si est-ce qu'elle les acheta encore plus cher. car ils luy cousterent la vie (chose bien contraire à ce qu'elle esperoit, mais chose toutesfois qu'elle meritoit) Car la premiere besongne que les ennemis firent apres que la place leur fut rendue, ce fut de l'assommer de leurs boucliers. Voyla pourquoy Ovide dit,

Non fuit armillas tanti pepigisse Sabinas,

Ut premerent sacræ virginis arma caput.

Et en sa Metamorphose 2.

-arcisque via Tarpeia reclusa

Dignam animam pæna congestis exuit armis. PHIL. Ce qui advint à ceste traistresse, monstra des lors que plusieurs ont esté de mesme opinion que fust depuis Cesar Auguste 3, d'aimer la trahison laquelle estet faicte à son proufit, mais toutesfois ne louet pas le traistre. Et ce qu'on racomte du roy Antigone avet bien aussi bonne grace, qu'il aimet bien les traitres ce pendant qu'ils faisoyent la trahison : depuis qu'ils l'avoyent faicte, qu'il les hayet. Mais ceci soit dict par parenthese, sans interrompre vostre propos. CELT.

1 Ovide, Amor., I, 10, 69.

2 Ov., Met., XIV, 776.

3 Auguste, voy. Plut., Apophth. Rom., XX.

El tradiment po piasè,

Ma al traditor tücc i bestemia adrẻ.

Tosc. Tradimento piace assai,

Traditor non piacque mai.

(Samarani, Proverbi Lombardi, Milano, 1860, p. 116.)

I

Je voulois vous amener quelques autres exemples. PHIL. Je ne doute point que vous n'en puissiez amener, voire de la Bible mesmement, pour prouver ce que vous avez dict, que ç'a esté depuis que le monde est monde que les femmes ont esté plus addonnees à tels excez, et ont plus aimé la bragardise que les hommes. Mais ce n'est pas à moy qu'il faut alleguer des exemples de telles chouses. car j'en ay remarqué en lisant divers autheurs. CELT. Je voulois aussi vous dire que j'ay opinion que les femmes qui ont esté devant ce siecle, mesuroyent beaucoup mieux leur somptuosité, leurs pompes et excez, à la mesure de leurs facultez, et notamment de leur estat. Car il me souvient que Froissard descrivant comme un roy d'Angleterre, nommé Edouard, auret festoyé par plusieurs jours un grand nombre de seigneurs et dames de divers pays, qu'il avet mandez expressément, dit entre autres choses, que toutes les dames et damoiselles furent de si riche atour qu'estre pourroyent: mais il adjouste, Chacune selon son estat. PHIL. Vous avez bien eu raison de prendre garde à ces mots, Chacune selon son estat. car ils sont vrayement remarquables. Mais maintenant il faudret qu'un historien qui voudret escrire la verité, dist, Chacune plus que ne portet son estat. Et toutesfois, quand je pense, d'autre part, la grande confusion qui est en telles chouses

1 Froissard, liv. I, § 182.

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