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vous confesse qu'Itale a un son moins rude qu'Itaille: mais je di toutesfois que tous deux ne valent guere, voire rien. PHILAUS. Et quoy? voudriez-vous qu'on dist Italie? CELT. En doutezvous? PHILAUS. Je ne doute point qu'il ne faille dire Italie: mais là je ne l'oseres dire. PHILAL. Et ce-pendant vous oseriez bien dire en la cour, que vous employriez le verd et le sec pour sortir des liens de quelcun. PHILAUS. Comment ? vous souvient-il encores de cela? PHILAL. Je n'ay pas si courte memoire que vous pensez. PHILAUS. Je m'esbahi que vous me faites tant la guerre de ce que j'ay ainsi parlé, veu qu'à la cour ceste façon de parler a tant la vogue. PHILAL. Je vous ay dict où elle fut premierement mise en credit: et encores estoit-elle aucunement tolerable en ce lieu-là mais d'en user comme on en use souvent, ou comme vous en avez usé, il n'y a point d'ordre. Car ceste façon de parler est empruntee de ceux qui pour faire bien grand feu, voire le plus grand qu'ils peuvent, ne se contentent pas d'y mettre le bois sec, mais y employent tout ce qu'ils ont de verd aussi bien que de sec. Et pourtant quand vous avez dict que vous employriez le verd et le sec, pour sortir des liens de monsieur Philalethe: si vous eussiez voulu entendre que vous les brusleriez, et que si vous n'aviez assez de bois sec pour faire le feu, vous y employriez du verd, vous eussiez eu quelque raison d'user de ces termes. Je ne nie pas toutesfois que par metaphore on ne puisse appliquer

ceste façon de parler à plusieurs autres choses: mais ainsi que vous en avez usé, elle semble n'estre point en sa place. PHILAUS. Je ne feray point du fin mais vous diray tout rondement que j'ignores dont venet ceste façon de parler : m'asseure que beaucoup de mes compagnons, qui l'ont bien plus souvent que moy en la bouche, me sont compagnons aussi en ceste ignorance. PHILAL. C'est tousjours pour mieux confermer ce que j'ay dict, que plusieurs courtisans parlent comme perroquets en cage.

Mais quoy, monsieur Philausone? voulonsnous laisser nostre propos imparfaict? PHILAUS. Touchant quoy? PHILAL. Touchant ceux de la cour qui doivent avoir voix en chapitre, quant à l'usage du langage François. PHILAUS. Il nous faudra retourner bien en arrière, si nous voulons reprendre ce propos. PHILAL. Si faut-il le reprendre: et pour bien faire, il nous faut user d'une petite recapitulation. PHILAUS. Vous me faites avoir martel in teste touchant la response dernière que j'auray à vous faire. car il me souvient bien que je me trouve desja fort empesché. CELT. Peut estre que maintenant vous pourrez vous aviser de quelque expedient, auquel ne pensiez point alors. PHILAUS. Au pis aller, je donneray cause gangnee à monsieur Philalethe, à la charge que mes compagnons courtisans n'en oyent point le vent 1.

1 N'en oyent point le vent. « Depuis jamais on n'a pu ouir ny vent ny voix de l'espicier. » Straparole, dans Lacurne. << N'ouir ne vent ne voix. » Lancel., f. 2, dans Lacurne.

car ils estimeroyent cela une espece de trahison : tellement que ce seret un commancement de guerre contre moy. CEL. Je vous oy volontiers parler ainsi, sans entremesler du langage estranger. PHILAUS. Quand je pren le loisir de penser à ce que je veux dire, je m'en garde bien : mais quand je parle de quelque chouse à l'improviste, il n'est possible que quelque mot ne m'eschappe. CELT. Vous n'avez donc pas maintenant pris ce loisir car il vous en est eschappé un. PHILAUS. Est-il possible? vrayement je n'en ay rien senti. quel mot est-ce? CELT. Ne vous souvient-il pas avoir dict A l'improviste1? PHILAUS. Vous m'en faites souvenir : mais n'est-ce pas bon Frances? CELT. Ouy, si un mot Italien, pour estre habillé à la Françoise, peut devenir bon François. PHILAUS. Il faut que je vous confesse que la grande accoustumance d'user du Francés desguisé, c'est ce qui m'inganne. CELT. Pendant que vous confessez une faute, vous tombez en une autre, avec vostre inganne. Mais pourquoy dites-vous François desguisé? il faudroit plustost dire Italien desguisé, puisque ce sont mots Italiens qui portent l'accoustrement François : sinon que vouliez dire qu'aucuns portent seulement la livrée françoise. PHILAL. Je vous prie monsieur Celtophile, luy laisser dire lequel il voudra, ou

A l'improviste. C'est la forme italienne; à l'impourvu était la forme française. A l'impourveu est meilleur qu'à l'improviste, dit Marg. Buffet, Obs., p. 67, en 1668. Depuis, à l'impourvu, indigène, a complètement disparu devant à l'improviste, étranger.

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Italien desguisé, ou François desguisé ou bien lequel il voudra de ces deux, François italianizė, ou Italien Françoisé : (car vous trouverez que l'un se rapporte à l'autre) et nous donner un peu d'audience, pendant que nous acheverons ce propos que j'ay dict qu'il nous faloit reprendre. car je ne seray point à mon aise, que ceste dispute-la ne soit vuidee. Pour venir donc à la recapitulation que j'ay dict qu'il nous faloit faire nostre question estoit, si le langage courtisan doit avoir plus de credit et autorité que celuy qu'on parle ailleurs. Vous avez respondu, qu'il ne faloit faire aucune doute de cela. A quoy je vous ay repliqué, qu'autresfois il y eust eu quelque apparence en cela: mais depuis les changemens qui sont advenus en ceste cour, et nommément que la cour est devenue une petite Italie, qu'elle avoit perdu beaucoup de son autorité en cest endroit. Car ayans osté les Italiens de la cour (de peur que les mesmes personnes ne fussent juges et parties) nous avons trouvé que nous avions osté pour le moins la moitié des courtisans et puis avons esté d'accord, qu'il ne seroit pas raisonnable que la moitié de la cour eust autant d'autorité que toute la cour. Mais quand nous sommes venus à examiner ceste moitié qui restoit, il nous a falu jouer encores au rabbat. car nous avons trouvé que nous la devions tenir suspecte, pour le moins une partie d'icelle. tellement qu'il a falu encore oster la moitié de ceste moitié : et ainsi est restee seule

ment la quarte partie des courtisans, le langage desquels peut avoir quelque autorité. Et encores. à la fin n'avez peu garder ceste quarte partie que je vous laissois car vous avez confessé qu'elle n'estoit pas toute de personnes qui eussent tel jugement qu'il est requis d'avoir pour discerner le bon et pur langage, d'avec le mauvais et brouillé. Or apres que vous avez eu osté encore la moitié de ceste quarte partie, il ne vous est demeuré qu'une octave. Voyci encores un autre mal pour vous: c'est que vous n'avez peu celer que ce petit nombre qui nous restoit (après avoir bien tout comté et rabbatu) n'usoit que d'une partie de ces mots nouveaux, en parlant à bon escient, et sans se moquer: et qu'il soit des autres mots contre son gré, plus pour s'accommoder au langage de quelques grands que pour plaisir qu'il y prist. Voyla où nous en sommes demeurez, ayans depuis extravagué. or maintenant la conclusion sera bien-aisee à faire. CEL. La plus aisee du monde. PHILAL. Car au lieu de parler de l'autorité que pouvoit avoir le nombre entier des courtisans, il ne nous faut parler que de l'autorité que peut avoir la huitieme partie d'iceux et non pas autorité quant à toutes les nouvelles inventions de langage, ains quant à la moitié seulement. Bref, pour vuider ce proces, et vous prononcer la sentence en peu de paroles, Nous bannissons dés à present la moitié de ce nouveau langage courtisan, qui se trouve estre sans aveu et quant à l'autre moitié, nous luy

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