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service de leurs majestez. Quelquesfois aussi plus particulièrement, Il me faut aller prendre les instructions de ma negotiation. Entre autres chouses il sera bon d'avoir souvent cela en la bouche, que vous avez quelque depesche à faire, et que le courrier n'attend plus que cela. Et ne faudra oublier de se pleindre quelquesfois de ce qu'on se repose sur vous de tant de depesches, qu'à grand peine trois secretaires y pourroyent fournir. Au reste aussi il faudra prendre garde d'user de mots par lesquels vous faciez penser que vos facultez sont correspondantes au credit que vous avez aupres des grands, et que vous avez d'eux tout ce que vous voulez : et pourtant encore que vous n'eussiez esté monté que sur une haridelle, si faudra il dire que vous estiez monté sur un bon traquenart1, ou sur un double courtaut (selon que requerra le voyage duquel vous parlez) et toutesfois qu'ordinairement vous avez accoustumé de prendre la poste. Et cela sonnera

sur

• Traquenart. « Vn traquenart, Asturco. » Nicot. « Vn traquenard, vna chinea, bacanea. » Hier. Victor. « Traquenar, monture qui va l'amble, qui marche un pas serré, doux, mesuré et vite. Gradarius equus. Tolutarius equus. » Monet. « Traquenard, a racking horse. » Cotgrave. « Traquenard, traccannardo, caval di portante. » Oudin. « Borel dérive ce mot de tricenarius, quod intricet pedes. Saumaise, l'Histoire auguste, p. 246, est du même sentiment. Le P. Labbe, dans ses Etymologies françoises, p. 2, au mot Trac, a dit: Trac vient du bruit que font les chevaux en marchant et le même bruit fait que nous disons, il va son traquenard. » « M. Ménage désapprouve cette étimologie; cependant il est plus vraisemblable que traquenard ait été formé du bruit des chevaux qui marchent ce pas, que de le tirer du latin. » Richelet-Aubert.

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encore bien mieux, et plus haut, si vous adjoustez que ce traquenart, ou ce double courtaut, est un présent que vous a faict un tel seigneur. Et suyvant ceci vous souviendra de faire penser par vos propos que vous tenez maison, et avez train. tellement qu'il ne faudra pas dire, J'ay commandé à mon valet, ou, à mon laquais: mais, J'ay commandé à mes gens. Aussi ne faudra pas dire Mon cheval, ou Ma monture : mais Mes chevaux, ou Mes montures (comme aussi en plusieurs autres chouses il vaudra mieux pluralizer) voire quelquesfois (selon les personnes ausquelles vous parlerez) pourrez bien prendre la hardiesse de dire Mon escuyrie. CELT. Mais encore qu'un personnage n'eust aucune des choses que vous avez dictes, voudriez-vous que par ses propos il fist semblant de les avoir? PHIL. Pourquoy non? CEL. Pourceque premierement il ne seroit pas (peut-estre) assez impudent pour ce faire secondement, il pourroit estre incontinent découvert, quand on le verroit n'estre accompagné d'aucun serviteur, ne se retirer en aucune certaine maison et aller souvent à pied où besoin seroit d'aller à cheval. PHIL. Je presuppose que celuy qui se voudra gouverner selon ces enseignemens, soit homme d'esprit, et prompt à trouver ses excuses où elles seront requises. Et quand il se trouvera en lieu où les autres seront accompagnez, luy non, il pourra dire qu'il a envoyé tous ses gens, l'un deça, l'autre dela : et faire bien du fasché de ce qu'aucun d'eux ne

retourne, et monstrer qu'il a grande envie de descharger sa cholere sur quelcun d'eux. Ou bien il pourra dire que ses valets l'ont quitté depuis quelques jours, et qu'il est apres à en cercher. CELT. Et quant à la maison? PHIL. L'excuse est encore plus facile, car il pourra dire qu'il a une maison fort commode et plaisante, mais un peu esloignee du chasteau : et outre cela, qu'il a tant à negotier (et mesmes pour aucuns des grands) qu'ordinairement il seret plus de minuict devant qu'il s'y pust retirer. CEL. Quant à ce qu'on le verroit aller à pied où il seroit requis d'aller à cheval, qu'allegueroit-il ? PHI. Si ce n'estet pas loing, il diret qu'il fait cest exercice par le conseil des medecins si c'estet un peu loing, il faudret, pour faire bien la mine cheminer tout botté et esperonné, et dire qu'en la fin il rencontrera ses gens, qui amènent ses montures, et le cerchent par tout. Ou bien que quand il a pensé monter, tous ses chevaux se sont trouvez blessez mais il a mandé ses gens en diligence en un lieu qui n'est pas loing, d'où on luy doit venir au devant avec deux ou trois bonnes montures. CELT. Vous avez beau dire il est impossible qu'on puisse jouer long temps une telle farce, sans qu'on s'en apperçoive. PHIL. Je vous confesse bien que si on se trouvet ordinairement avec les mesmes personnes, on seret descouvert en peu de jours: mais il se faut garder de cela et sur tout, faire en sorte qu'on soit bien en conche, comme on parle aujour

d'huy. car cela est bien le principal: et n'est possible de faire bien la piafe1, si on n'est bien en conche. Et notez que si vous estes brave en habits (car je me veux adresser à vous aussi bien en la fin de ma leçon, qu'en tout le precedent) il le faut estre encore plus en propos et vous mesler quelquesfois de discourir des chouses mesmement où vous n'entendez rien pourveu que ce soit devant gens qui n'y peuvent entendre guere d'avantage : et jamais ne demeurer court de response, encore que vous sçachiez bien qu'il 'n'y a ni ryme ni raison en ce que vous respondez. Car pour le moins vous pourrez dire comme l'autre, O parlato pur. Et les auditeurs, encore qu'ils ne trouvent pas grande raison en vostre response, toutesfois à cause de leur insuffisance, n'en oseront pas faire jugement: et quelquesfois penseront ne vous avoir pas bien entendu. Mais

1 Piafe. Le songe de la Piaffe, par le seigneur de Boissereau, P., 1574, est une satire assez obscure dirigée contre les gens de guerre qui, à la faveur des troubles civils, se livraient partout au pillage. Les maraudeurs, ceux qui avaient «< picoré », qui avaient dévalisé le « gaffy » ou marchand, se croyaient le droit d'être insolents envers le pauvre peuple, tout en vivant grassement du produit de leurs rapines: c'est ce qu'on appelait faire la «piaffe ». Le poète met en scène un de ces soldats voleurs et fanfarons. Son opuscnle, dont la rareté est extrême, car Brunet ne le cite que d'après La Croix du Maine (art. Corbin) et du Verdier (art. Boissereau), paraît avoir fourni à Gabriel Bounyn l'idée de la tragédie intitulée : Tragédie sur la defaite et occision de la Piaffe et la Picquorée et bannissement de Mars, à l'introduction de Paix sainte et sainte Justice (Paris, Mestayer, 1579, in-4o). M. Lacroix (Recherches bibliographiques) cite le Songe de la Piaffe parmi les livres perdus. Voy. Cat. Rothschild, I, 503.

devant ceux que vous craindrez qu'ils ne soyent gens d'esprit et entendement, vous parlerez le moins que vous pourrez. Car je vous adverti que maintenant il y a des esprits merveilleux pour descouvrir un homme si tost qu'ils peuvent entrer en discours avec luy. CELT. Comment peut-on eviter cela? PHIL. Ce n'est pas vous qui devez demander cela, monsieur Celtophile. car jamais vous n'auriez peur de demeurer court. mais pour les autres qui ont un remords de conscience touchant leur insuffisance et incapacité, il y a de bons moyens. CELT. Quels? PHIL. Il faut prendre garde si quelque chouse surviendra point qui puisse faire changer de propos. Et à faute de cela, dire qu'on voit passer quelcun auquel on a à faire. Ou s'il advient alors que l'horloge sonne, dire Vous me pardonnerez : (ou, Vous me donnerez congé, s'il vous plaist) voyla l'heure qui m'appelle à une assignation. Ou bien (encore que l'horloge ne sonne point) vous excuser de ce que vous ne poursuyvez le propos, pource qu'il vous est souvenu subitement qu'il vous falet aller trouver un certain seigneur, auquel vous faut rendre response de quelque chouse qu'avez negotiee pour luy. Et si vous voulez alors italianizer gros comme le bras (si d'avanture vous prenez plus grand plaisir aux italianismes alors que maintenant) vous pourrez dire, Je dismentiguois d'aller en un tel lieu. il m'y faut aller en frette: ce sera avec licence de vostre sei

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