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du roy Cyrus, dit à sa mere, que son pere-grand est le plus bel homme entre tous les Medes qu'il ait veu ni par les chemins ni à la cour de son pere. Mais ceux qui avoyent interpreté Xenophon auparavant, n'avoyent pas pris garde que le mot Grec Thyra s'entendet tant là qu'en quelques autres passages du mesme auteur, de la cour du roy. Et quant à cestui-ci duquel je parle, qui est au premier livre de la Cyropedie, celuy qui l'avet traduite en Frances, trouvant estrange que le fils de Cyrus parlast des portes, comme d'un lieu où il avet eu moyen de voir beaucoup de personnes, s'estet advisé d'un expedient, au moins d'une chouse qu'il penset estre un expedient, sçavoir est, des portes, ou de la porte (car c'est un pluriel, qui se peut aussi interpreter par nostre singulier, comme le pluriel Latin Fores) en faire des fenestres. Tellement qu'il fait dire au

An. 1. 2 est in quo Janus Lascaris pro me facit, qui pp. ubi Tas Oúpas Gallicè interpretandum la cour censuit. Sed quid multa? Aulam Turcae hodieque portam nominari notissimum est. Nam quod ad nomem aλhv attinet, vocabulum esse constat quod recentiores scriptores a pastoribus ad reges transtulerint. Ac certè sæpe hæc animum meum cogitatio atque admiratio subiit, qui factum fuerit ut quum reges appellationem Homericam (qua pastores vocabantur) dedignati essent, postea tandem palatia sua aulas id est caulas vocari passi fuerint. Quis enim Latinos ex Græco au caulam suam esse mutuatos ignorat? At auλh cortem etiam significat (objiciet aliquis) et hinc Galli aulam regis la cour du roy (perinde ac si cortem regis dixeris) appellant... Fateor sed nescio quomodo sacrosancti reges... adducunt me ut aulis cum caulis abditum quamdam esse sympathiam credam. »

1 Jacques de Vintemille, Rhodien, Paris, pour Jean Longis, 1549, in-4o; réimp. Lyon, J. de Tournes, 1555, in-4°.

jeune Cyrus, que son grand-pere est le plus bel homme entre tous les Medes qu'il ait peu voir jusques alors aux rues et fenestres. Mais (comme a remonstré depuis Henri Estienne) cestuy là entre autres chouses devet considerer que les Grecs n'appellent pas les fenestres Thyras, mais Thyridas comme qui diret Des petites portes. Bref, il prouve tresbien ce que j'ay dict, que la cour du grand seigneur s'appelle d'un mot semblable (quant à la signification) à celuy duquel estet appelé celle du roy des Perses. CEL. Je ne voudrois pas pour grand' chose que nous ne fussions tombez sur le propos du grand seigneur car je n'eusse pas appris ceci de vous. Mais je pense à celuy qui a interpreté ceste Cyropedie en François, comment des portes il en faisoit des fenestres. PHIL. Il luy semblet que personne ne pourret eschapper mieux à son honneur de ce passage. CEL. Je crois bien qu'il pensoit avoir trouvé la feve au gasteau 1 (comme on dit communément) s'estant avisé de ceste interpretation. PHIL. N'en doutez pas. Or me souvient il d'une hardiesse dont use ce mesme interprete en ce passage: laquelle fut cause un jour de faire bien moquer un certain courtisan en sa presence. On deviset de ceste coustume

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1 La feve au gasteau. Se dit par allusion au gâteau des Rois quand on croit avoir trouvé quelque chose de difficile ou quelque plaisir inespéré. Voyez Jean de Meung, Trésor, ms. p. 228; Bovilli, Proverbia; Eutrapel, XV; Bouchet, Serées, I, 4, 10. Regnier dit : la febve dù gasteau, Sat. VII.

que nous avons en France, et principalement en la cour, de dire Monsieur, au lieu de dire Mon pere, et Madame ou Madamoiselle, en parlant à sa mere. Car (comme vous sçavez) depuis qu'il est question de quelque grandeur, ces mots de Pere et de Mere sont renvoyez bien loin, comme ayans je ne sçay quoy de trop vil et abject. Et notamment cela s'observe où il est question non seulement de grandeur, mais aussi de majesté. car le fils du roy lui dit, (comme vous sçavez) Monsieur, non pas Mon pere, ou Monsieur mon pere et à la roine sa mere il dit, Madame, non pas Ma mere, ou Madame ma mere. Nous donques estans sur ce devis, un certain courtisan, voulant monstrer qu'il avet leu la Cyropedie de Xenophon, allega l'ancienneté : disant que desja Cyrus, fils de Cyrus, parlant à sa mere, ne luy diset pas Ma mere, ains uset d'un mot qui estet correspondant à Madame. Moy, qui me souvenes du passage et du mot Grec luy demanday si Mater signifiet pas Ma mere. Incontinent il me respondit que quant au Grec, il n'y entendet note mais qu'il diset cela in fide parentum, s'en fiant et rapportant à l'interprete, qui avet ainsi traduict. Alors luy fut donné un bon advertissement par un qui avet plus d'autorité que moy, pour se tenir mieux sur ses gardes, quand il allegueret quelque passage d'un auteur qui seret interpreté, d'adjouster, Si l'interprete traduit bien. CELT. L'advertissement estoit bon. Mais je m'esbahi de cest interprete, qu'il ait eu

si peu de consideration que de vouloir, en traduisant ainsi, cacher au lecteur la simplicité et honnesteté ancienne, qui est vrayment naturelle, et mettre en sa place une façon de parler, qui ne peut estre si ancienne qu'elle ne soit nouvelle (à comparaison de l'autre) et en laquelle on use d'un déguisement, ou changement repugnant à nature. PHIL. De ma part, je n'ay point souvenance d'avoir leu en aucun auteur Grec ou Latin, que le pere (quelque grand seigneur qu'il fust) ne fust appelé pere par ses enfans: et la mere aussi, mere, quelque grande dame qu'elle fust. CELT. Ni moy aussi. Et diroy tousjours que le devoir naturel et l'honnesteté naturelle commandent de dire à son pere, Mon pere, et à sa mere. Ma mere: ou bien Monsieur mon perc, et Madame ma mere. PHIL. On vous respondra que ceci seret trop long. CEL. Je repli queray, qu'il n'y a point de devoir naturel qui soit trop long, ni d'honnesteté naturelle qui soit trop longue. PHIL. Il-y-en-a bien (selon la qualité des maisons) où combien que le fils parlant de son pere dit Monsieur mon pere: toutesfois en parlant à luy, il dit Monsieur, sans adjouster Mon pere. car ce monsieur, sans ceste queue, est plus seigneurial, et sent mieux sa grandeur. CELT. Vous dites cela selon leur opinion. PHIL. Vous le pouvez bien penser, et que je n'ay garde d'approuver cela, veu ce que je vous ay desja dict. Et puis je considere autre chouse : c'est que nous voyons mesmement que comme ces noms

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de Pere et de Mere se donnent de nostre temps aux vieilles personnes par les jeunes, qui en cela leur veulent faire honneur, et monstrer la reverence qu'ils portent à vieillesse : ainsi du temps. des anciens les mots correspondans à ceux-ci avoyent cest usage. Et quant à ceci Henri Estienne (duquel il a esté faict mention tantost) eu son Thresor de la langue Greque monstre qu'Homere a ainsi usé du vocatif Grec Pater en quelques endrets. Et en Theocrite aussi, au poeme qui est appellé Adoniazousai 2, il est dict à une vielle femme par deux jeunes, ou pour le moins, qui ne sont pas si aagez, Mater. car vous sçavez que Mater est Grec Dorique, pour Mater. En ce mesme Thresor est monstré l'honneur qui a esté faict au mot Pater encores en quelques autres sortes dont l'une est en ce titre, Pater patriæ3. Mais quant aux jeunes appelans par honneur et reverence les vieux, leurs peres, le reciproque aussi estet en usage: c'est que les vieilles personnes appeloient les jeunes Leurs fils, et Leurs filles où toutefois la reciprocation n'estet pas quant à l'honneur et reverence. car c'estet plustost une demonstration d'amitié et de bonne affection. En ce Thresor est produit Tecos 4,

Pater. Voy. Homère, Od. H, 28; C, 408; P, 2 Adoniazousai. Id., XV, 60.

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3 Sur Pater nomen honoris, voy. Horace, Sat. II, 1, 13; Ep. I, 7, 37; sur Pater patriae, Cicéron, pro Rabirio, 27, et Spanheim, Diss., 12.

4 Tecos, voy. Hom., Il., г, 162; E, 373; I, 437; E, 190; 4, 626. Od., A, 611.

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