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ceux qui vivent en la cour, et de la cour, estudient bien mieux la leçon du courtisanisme que du Christianisme : et ont ceste maxime de ne se formalizer d'aucune chouse qui le concerne. CEL. Voyla une merveilleuse maxime : elle semble estre Machiavellique. PHIL. Elle le seret si Machiavel instruiset non seulement les princes, mais aussi les simples gentilshommes. CELT. Pensés-vous qu'ils ne se vueillent pas aider d'une partie des preceptes donnez aux princes? PHIL. Je ne sçay pas si on y trouveret ce precepte formellement mais cela sçay je bien, que celuy qui suivra la doctrine de Machiavel, il sera bien difficile qu'il ne face le saut. CELT. Qu'appelez vous faire le saut? PHIL. On dit aujourdhuy Faire le saut, ou Franchir le saut, de ceux qui passent outre les limites de la Chrestienté : c'est à dire, qui ne se soucient plus de la religion Chrestienne. CELT. De quelle religion donc font-ils profession? PHIL. Au contraire, aucuns d'eux (car à Dieu ne plaise que je parle de tous) se moquent de toute religion, et de ceux qui se formalizent pour aucune : mais nommément de ceux qu'ils voyent se formalizer, voire se tourmenter, pour la religion Chrestienne. CELT. A ce que je voy, ces moqueurs sont de la confrairie de ceux qu'on appelle Athees, ou Atheistes. Et ces mots de Lucain, -exeat aula Qui vult esse pius, viendroyent bien à propos de ce que vous dites. PHIL. Ouy, si je vous voules permettre de les interpreter à la façon de ceux qui en abusent: mais outre ce que

parcidevant je vous ay monstré qu'il estet là parlé à celuy qui regnet, et non au courtisan, ce pius ne s'entend pas pius erga deos, ni aussi pius erga parentes, mais appartient à cela mesme à quoy nous voyons appartenir pietas, au commancement de la premiere epistre de Ciceron, entre celles qu'il escrit à ses familiers. CELT. Vous estes bien joyeux de ce que vous pouvez destourner de vos compagnons un si mauvais coup. PHIL. Il est aisé à destourner. car outre ces deux points que j'ay remonstrez, ce propos (quel qu'il soit) est recité par le poete comme sorti de la bouche d'un meschant homme, ainsi que j'ay dict naguere. Il-y-a en ce mesme passage, un peu auparavant, un autre propos, ou une autre sentence qui est aussi touchant ceux qui regnent: de laquelle on se pourret fort esbahir, si on la prenet comme une chouse que l'auteur auret dicte en sa personne et selon son jugement. Veci les mots -mitissima sors est Regnorum sub rege novo. CEL. Il me faudroit ouir le precedent, pour entendre bien le sens de cette sentence. PHI. Je le vous reciteray mais vous advertissant premierement qu'il introduit un qui conseille à Pompee de se retirer vers Ptolemee pour estre en sauveté allegant, entr'autres chouses, que Ptolemee est nouveau roy. Oyez maintenant tout le passage, puisque vous desirez l'ouir,

I Lucain, VIII, 452. Un codex Thuaneus a: tutissima.

Sceptra puer Ptolemeus habet tibi debita, Magne,
Tutela commissa tuæ. quis nominis umbram
Horreat? innocua est atas. nec iura, fidemque,
Respectumque deûm veteris speraveris aulæ.
Nil pudet assuetos sceptris: mitissima sors est
Regnorum sub rege novo.

CELT. Je suis bien de vostre opinion, que Lucain n'auroit jamais dict ceci parlant en sa personne : pource qu'il s'en faut beaucoup que tousjours il se trouve vray. PHIL. Pour le moins il ne se trouve pas vray en Roboam1: qui au commancement de son regne vint à caresser et cherir son peuple par ce beau propos, Mon pere vous a chastiez de verges, mais je vous chastieray de foits qui seront bien plus piquans. CELT. Vous avez trouvé un exemple fort convenable : lequel

1 Roboam, voy. III Rois, 12. Il y a des ouvrages qui disent: je vous châtierai de scorpions. « Le terme hébreu Akrabim signifie véritablement des scorpions et l'on a voulu marquer par ce terme des fouets chargés de pointes et d'épines qui piquent comme les scorpions. La plupart des rabbins prétendent qu'en cet endroit il signifie proprement des branches d'églantier ou de quelque autre arbrisseau hérissé d'épines et chargé de nœuds. Le paraphraste chaldéen traduit akrabim par maragnin, qu'on croit être le même que maragna en grec, qui signifie un fouet fait de courroies de cuir de boeuf. Nous connaissons plusieurs martyrs qui ont été tourmentés par ces sortes de scorpions que S. Isidore décrit ainsi si nodosa vel aculeata virga sit, scorpio rectissimo nomine vocatur, quia arcuato vulnere in corpus infligitur. » La Sainte Bible, avec notes tirées de D. Calmet et de l'a. de Vence, Paris, Boudet, 1768, t. II.

2 Foit. Cette orthographe ne se trouve que chez Estienne. On lit dans Des Acc. Big. : << grossier foite-cul de grammaire latine. >> « Qui a eu dix fois le fouet. >> Nicot. << Fouet, prononcez foit. » Richelet.

je n'eusse pas oublié. car il est notable: comme aussi le vers que nos predecesseurs ont faict de ce roy, et lequel est venu comme en proverbe, doit bien estre noté (estant quant au reste façonné

à la mode de son temps.)

Consilium juvenum Roboamum fecit egenum. PHIL. Ce vers meriteret estre escrit en grosses lettres d'or, en maints lieux que je sçay bien. CEL. Il faudroit que cestuy ci luy fist compagnie, Malum consilium consultori pessimum 1 :

afin qu'il y eust pour faire peur tant à ceux qui reçoivent le mauvais conseil, qu'à ceux qui le donnent. Je ne doute pas que vos compagnons n'en fissent leur proufit. PHI. Quand vous dites mes compagnons, vous entendez les courtisans. Mais il vous plaira avoir memoire de ce que parcidevant je vous ay dict touchant les deux sortes de courtisans. CELT. J'enten bien que vous ne voulez avouer pour compagnons ceux qui n'ont pour le moins quelque once de probité. PHIL. Mais ceux qui n'en ont pour le moins une livre.

Malum consilium... Voy. Aulu-Gelle, IV, 5. Le vers, selon ce critique, était consigné dans le onzième livre des Grandes Annales et dans le premier livre des Faits mémorables de Verrius Flaccus. Il paraît être une imitation d'un vers grec du poète Hésiode, O. et D., 249. Il se retrouve parmi les sentences de Publius Syrus. Cf. Val. Maxime, VII, 2, 5. Liv., Dec., I, 10; Virgile, En., XII; Varron, De re rust., III, 1; Sophocle; Electr., 1047; Plutarch., De audiendis poetis, LV; Esope, Leo, Lupus et Vulpes, 233; Contes indiens et fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, 1778, t. II, p. 87; La Fontaine, VIII, 3. Erasme a un long article sur cet adage, Chil. I. cent. II, 14.

CELT. En trouveroit-on bien en vostre cour qui en fussent si chargez? PHIL. C'est grand cas qu'on ne vous peut persuader qu'il y-ait d'aussi gens de bien qu'ailleurs. et toutesfois je maintien qu'au contraire il faut que ceux qui y sont gens de bien, le soyent plus qu'on ne l'est ailleurs : tant pource qu'il-y-a plus de vices, qu'aussi plus d'amorces, plus d'appast, plus d'allechemens à iceux. tellement que le courtisan qui peut si bien combattre contr'eux qu'en la fin il ait gangné ce point d'estre homme de bien, a une preudhommie asseuree et permanente, et laquelle on peut dire estre à l'espreuve, quelques harquebouzades que les vices luy puissent tirer: tellement qu'en un besoin il pourret aller parmi les diables, et parmi eux conserver sa probité, comme aussi la femme de laquelle la pudicité n'a pu estre expugnee en la cour, se peut bien vanter d'avoir son passeport et saufconduit, en quelque lieu qu'il luy plaise aller, et ne craindre aucuns assaux. CELT. C'est bien à ceste heure que vous usez d'hyperboles encomiastiques. PHIL. J'ay bien pensé que vous m'estimeriez parler hyperboliquement mais je ne pense avoir rien dict de quoy je ne me tienne tout asseuré : excepté ce que j'ay dict touchant la conversation avec les diables. Car je considere maintenant que ce seret se hazarder un peu beaucoup, voire un peu trop. CELT. Mais de l'autre costé ceux qui sont meschans, (dont le nombre est beaucoup plus grand) sont parfaictement meschans veu le

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