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de dessin et de gravure, a été reproduit, en 1849, avec un soin rare et une grande habileté par M. Loedel, de Göttingen.

Un éditeur aujourd'hui bien connu et fort apprécié des bibliophiles parisiens, M. Edwin Tross, vient de faire, des bois gravés par M. Loedel, l'objet d'un livre digne des Simulacres de Trechsel. C'est un petit volume publié par les soins de M. de Montaiglon, et qui, sous le titre de l'Alphabet de la mort, contient les vingt-quatre initiales de Holbein. Chacune d'elles est accom

pagnée d'une sentence latine et d'un quatrain français, qui complètent la page, entourée en outre d'encadrements empruntés au livre d'Heures de Simon Vostre. L'alphabet est suivi de cinq versions diverses de la légende des Trois Morts et des Trois Vifs, qui partageait, avec la Danse macabre, les admirations du moyen âge. M. Tross a publié en même temps une édition anglaise, puis une édition italienne de ce charmant opuscule. Grâce à son obligeance, nous pouvons offrir à nos lecteurs un specimen des initiales de Holbein, bien que les conditions défavorables dans lesquelles nous sommes placés pour un tel tirage, doive quelque peu défigurer de si délicates gravures.

LA FAMILLE BARNACLE.

H. L. B.

Extrait de Little Dorrit, par DICKENS. Quelques-uns des lecteurs de l'ancien Athenæum français se souviennent peut-être du ministère des circonlocutions et de la famille Barnacle, cette incarnation de la bureaucratie anglaise. Les Barnacle ont reparu dans la dernière livraison de Little Dorrit. Hâtons-nous de les présenter de nouveau au public avant qu'un spéculateur n'ait défiguré, sous prétexte de le traduire, le nouvel ouvrage de Dickens.

Un jeune homme de cette tribu est descendu de l'administration à la peinture. Il déroge jusqu'à épouser une charmante fille qui l'aime; mais il sent bien qu'un Barnacle était fait pour une plus haute destinée : il est désappointé. Toutefois, comme il n'a ni talent, ni position, ni avenir, mais en revanche beaucoup de dettes, sa mère consent à se laisser forcer la main et va chercher pour cette mésalliance l'approbation de la femme d'un riche spéculateur.

"Quand un homme se marie, lui dit celle-ci, la société exige qu'il refasse sa fortune par son mariage. La société exige qu'il gagne à son mariage. La société exige que son mariage lui fasse avoir une bonne maison. Autrement, la société ne comprend pas pourquoi il songe au mariage. Si un homme n'est ni jeune, ni élégant, mais qu'il soit riche et qu'il ait déjà une bonne maison, alors... » Elle leva ses blanches épaules et retint une petite toux, comme pour dire : « Pourquoi alors, ma chère, un homme songerait-il à pareille chose? - Ce sont là, ajouta-t-elle, des sentiments bien mondains, n'estce pas ? Mais la société a, sur ce point, des idées arrêtées, et il n'y a pas à aller contre. Fort bien, si nous étions à l'état de nature, et si, au lieu de vivre d'un compte-courant avec le banquier, nous vivions sous des toits de feuillage et du produit de nos troupeaux; ce serait délicieux, ma chère; moi, je suis pour la vie pastorale. Mais nous ne vivons pas sous des toits de feuillage et du produit de nos troupeaux. »

Le jour du mariage arrive, et avec lui « tout un ban de Barnacle. »

» Réunir la famille Barnacle tout entière eût été impossible pour deux raisons: la première, c'est qu'aucun édifice ne serait assez vaste pour contenir tous les membres et alliés de cette illustre maison; la seconde; c'est que l'Angleterre n'a nulle part, sous le soleil ou sous la lune, une toise carrée de terre, et sur cette terre, un poste quelconque, sans qu'un Barnacle ne soit attaché à ce poste. Lorsqu'un navigateur intrépide plante son pavillon sur un point du globe et en prend possession au nom de l'Angleterre, le ministère des circonlocutions, aussitôt la découverte connue, y expédie un Barnacle et une caisse de dépêches. C'est ainsi que les Barnacle s'étendent sur le monde, expédiant des dépêches dans toutes les directions.

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lente la venue du jour des appointements, et les trois demoiselles Barnacle, bourrées de talents comme un fusil à double charge, qui va partir et pourtant ne part pas avec le bruit et l'éclat qu'on attend, mais qui fait long feu. C'était Barnacle Junior, du ministère des circonlocutions, laissant pour un moment la navigation anglaise, qu'il était supposé protéger, se tirer d'affaire toute seule, et à vrai dire, la protégeant d'autant mieux qu'il s'en occupait moins. C'était aussi un aimable jeune homme qui représentait le côté brillant de la famille. Il se prêtait avec grâce à la circonstance, et la traitait comme une des formalités de la division des cultes au ministère des circonlocutions. C'étaient encore trois jeunes Barnacle remplissant trois autres fonctions, gens parfaitement insipides et ayant grand besoin d'assaisonnement. Ils assistaient au mariage comme ils auraient vu le Nil, la vieille Rome, la cantatrice nouvelle, ou Jérusalem.

«Mais il y avait mieux que cela : c'était lord Decimus Tite Barnacle lui-même, respirant une odeur de circonlocution et le parfum d'une caisse de dépêches. C'était bien lui, lord Decimus Tite Barnacle, lui qui s'est élevé jusqu'aux grandeurs du monde officiel sur les ailes d'une idée inspirée par l'indignation, et cette idée, la voilà: Lorsqu'un membre mal avisé de la chambre des lords tente de faire quelque chose et propose un bill à cet effet, lord Decimus Tite Barnacle se lève, et rugissant avec une majestueuse indignation, tandis qu'autour de lui éclatent les applaudissements des circonlocutionistes; il dit : Mylords, en suis-je encore à apprendre qu'il convient à un ministre de ce pays libre de mettre des bornes à la philanthropie, de restreindre la charité, d'enchaîner l'esprit public, de diminuer l'indépendance de la nation. " La découverte de cette convenance est en politique ce que serait en mécanique celle du mouvement perpétuel, car jamais une telle machine ne s'use, quoi qu'elle fonctionne dans tous les ministères sans jamais s'arrêter.

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"Il y avait aussi William Barnacle, qui possède une recette à lui pour empêcher de faire quoi que ce soit. Tantôt il frappe un coup sur le président, pour faire glisser entre ses doigts quelque mesure, et il lui dit : « Avant tout, je vous prierai, monsieur, de faire connaître à la chambre les précédents qui pourraient exister en faveur de la voie dans laquelle l'honorable préopinant veut nous

précipiter.

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Tantôt, il s'engage à chercher luimême un précédent; souvent, il abat du coup un honorable collègue en lui disant qu'il n'y a point de précédent. Les précédents et la précipitation sont les deux chevaux de bataille de ce circonlocutioniste distingué. En vain, pendant vingtcinq ans, l'honorable gentleman aura tenté d'entraîner William Barnacle à une mesure précipitée: William Barnacle demandera à la chambre s'il doit se laisser précipiter dans cette voie. En vain il sera impossible que dans l'affaire en question, le malheureux gentleman ait un seul précédent à citer William Barnacle remerciera l'honorable gentleman de ses applaudissements ironiques, lui affirmera à sa barbe qu'il n'y a point de précédent, et par là il mettra fin à la discussion. Avec la sagesse de William Barnacle, la terre n'eût point été créée, faute de précédent; ou bien, si dans un moment de précipitation on l'eût fait par méprise sortir du néant, elle serait restée vide et à l'état de chaos.

» Il y avait aussi un Barnacle qui sauta vingt fois d'une place sur l'autre, et en occupe toujours deux ou trois en même temps; jeune homme fort estimé comme l'inventeur d'un art qu'il pratique avec un succès brillant lorsqu'au parlement on l'interpelle sur une question, il répond habituellement sur une autre; ce qui a rendu d'immenses services et l'a mis en grande estime dans le ministère des circonlocutions.

» Il y avait enfin quelques échantillons moins distingués de Barnacle, qui faisaient leur stage au parlement et n'avaient encore rien attrapé. Ils perchent dans les escaliers du parlement et se cachent dans les couloirs, attendant un ordre pour faire ou pour empêcher que la chambre soit en nombre. Ils crient: Écoutez! Ils font des Oh! Ils applaudissent et ils aboient sous la direction des chefs de la famille. Ils jettent une motion dans les jambes de quiconque a une motion à faire. Ils font traîner les questions désagréables jusque bien avant dans la nuit et dans la session, et alors ils s'écrient, en bons patriotes, qu'il est trop tard. Ils courent la province pour y jurer que lord Decimus a ravivé le commerce et l'a sauvé d'une crise, qu'il a doublé la récolte des céréales, quadruplé celle des foins, et empêché l'or de sortir de la banque en quantité illimitée. Ils sont les basses cartes avec lesquelles jouent les chefs de la famille dans

les meetings et les dîners politiques. Au premier ordre ils se présentent à une élection quelconque, ou bien ils donnent leur démission pour faire place à d'autres. Ils pillent et rapportent comme un chien, ils piquent et lancent du venin, ils corrompent et mangent de la boue : ils sont infatigables pour servir l'État. Il n'y a pas au ministère une liste de places à vaquer n'importe où d'ici à un demi-siècle, depuis un consulat en Chine jusqu'au gouvernement général des Indes, sans qu'un de ces affamés n'y soit inscrit comme postulant.

"Il n'y avait sans doute au mariage qu'un échantillon de chaque espèce de Barnacle, car ils n'étaient en tout qu'une quarantaine, et qu'est-ce que cela sur une légion! Mais pour le cottage de Twickenham, cet échantillon était un essaim, qui le remplit. Un Barnacle, assisté d'un Barnacle, maria le jeune couple, et il parut convenable à lord Decimus Tite Barnacle lui-même d'offrir son bras à la mère de la mariée jusqu'à la table où l'on déjeûna.

Bientôt après, tout ce monde officiel se hâte de quitter le modeste cottage. « Les principaux Barnacle étaient un peu pressés. Il leur fallait expédier un ou deux paquebots, qui sans leur concours eussent été en danger d'aller tout droit à leur destination. Ils avaient aussi à chercher des expédients pour arrêter bon nombre d'affaires qui couraient risque d'arriver à fin. »

CH. DU BOUZET.

NOTE SUR L'ETYMOLOGIE DU MOT SAUVAGE. C'était un singulier original que ce La Leu, dont Tallemant des Réaux a écrit l'historiette (1). Il faisait de splendides raisonnements, mais ses étymologies étaient plus belles encore. « Il disait que cheminée était chemin aux nièces; chapeau, échapp' eau; pourpoint, pour le poing, parce que c'est le poing qui y entre le premier; chemise, quasi sur chair mise. » Il était loin, on le voit, de s'assujettir aux règles de sage réserve et de prudente érudition, qu'il est bon de rappeler à tous ceux qui ne voient pas dans les étymologies un simple jeu d'esprit, mais un moyen de pénétrer plus intimement dans l'histoire de l'homme et des sociétés civiles par l'étude comparative des langues (2). Nous avons déjà présenté, dans

(1) T. V de l'édition de Monmerqué et P. Paris. (2) Voy. l'article Étymologie, dans l'Encyclopédie moderne de M. Firmin Didot, t. XV, p. 703 et suivantes.

d'autres recueils, quelques notes relatives à cette étude : voici, sur l'étymologie du mot sauvage, une conjecture que nous proposons à l'examen des lecteurs de la Correspondance littéraire.

Les étymologistes tirent communément le mot sauvage du latin sylvaticus, converti d'abord en salvaticus, puis en salvagius, d'où l'italien salvaggio et le français sauvaige et sauvage. Du Cange est explicite sur ce point, et dans son Glossaire il cite, entre autres, un exemple où la différence est établie entre les oiseaux sauvages et ceux qui sont élevés à la maison, par ces mots : aves salvaticæ et aves domipasta (1). Tout se suit parfaitement dans cette filiation: sauvage, salvaggio, salvagius. Mais ici un embarras se présente de salvagius à salvaticus la route cesse d'être aussi facile. Que sylvaticus produise salvaticus c'est tout simple. Ménage a fait observer avec justesse que l'y grec de xuv, xuvòc s'est changé en a pour produire canis, que de xúlığ on a calix, de vôáw, madeo, que l'i du latin coffinus est devenu un a dans l'italien coffano, que de Hieronymus on a fait Girolamo : Sylvaticus devient donc aisément salvaticus (2).

Mais le passage de salvaticus à salvagius et à salvaggio est vraiment peu commode. Fanaticus a produit fanatico en italien, et non fanaggio; fanatique en français et non fanage; monasticus donne, en italien, monastico, et en français monastique, etc. Nous devrions donc, par analogie, de salvaticus avoir salvativo et salvatique, et non point sauvage. D'où suit cette question : salvagius vient-il de salvaticus, ou, ce qui revient au même, de sylvaticus? Le point est douteux. Mais si salvagius ne vient pas de salvaticus, d'où vient-il? C'est là qu'est la difficulté. Il s'agit donc de chercher, dans la langue latine, un mot dont salvaggio et sauvage puissent se tirer sans peine et sans violence.

Or, nous lisons dans Cicéron, d'une part (3): Itaque nisi ea virtus, quæ constat ex hominibus tuendis, id est, ex societate generis humani, attin

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(1) Voy. du Cange, Gloss., à l'article Salvagius. (2) Ménage, Origines, première partie : Exemples de la conversion des lettres.

(3) Cic., De officiis, lib. I, c. XLIV, § 157. Quelques lignes plus haut, Cicéron parle de la sociabilité des abeilles qui ne se rassemblent pas seulement pour faire des rayons séparés, mais des cellules où elles habitent en commun.

gat cognitionem rerum, solivaga cognitio et jejuna videatur. » C'est-à-dire : « Si la vertu qui a pour objet le lien des hommes, n'influe sur l'amour des connaissances, ce n'est plus qu'une curiosité égoïste et creuse. » Et d'autre part (1): « Namque alias bestias nantes, aquarum incolas esse (natura) voluit; alias volucres, cœlo frui libero; serpentes quasdam; quasdam esse gradientes: earum ipsarum partim solivagas, partim congregatas; immanes alias, quasdam autem cicures; nonnullas abditas terraque tectas. » En français : « Car c'est le vœu de la nature que ceux des animaux qui sont faits pour nager habitent les eaux, et que ceux qui sont nés pour voler planent librement dans le ciel : quelques-uns rampent à terre; d'autres marchent sur le sol parmi ceux-ci, les uns errent seuls, les autres se réunissent en groupes; quelques-uns sont féroces, d'autres apprivoisés; enfin il en est qui vivent cachés et enfouis dans la terre. »

Ces passages nous semblent très-significatifs. Qu'est-ce que cognitio solivaga? C'est une curiosité égoïste. Qu'est-ce bestiæ solivage? Ce sont des bêtes qui errent seules. Et qu'est-ce qu'un être sauvage ? C'est celui qui vit seul, un égoïste, étranger à tout instinct sociable, à tout sentiment de communauté. Ainsi pour le sens, point de doute.

Nous tenons là un terme expressif, comme celui de sanglier, c'est-à-dire, suivant Roquefort (2), un gros marcassin qui va seul, du mot latin singularis, d'où l'italien cinghiale et notre mot français. Les Grecs avaient, du reste, remarqué ces habitudes solitaires du sanglier, puisqu'ils l'appelaient uóvios, qui va seul, en latin solivagus.

Solivagus! N'est-ce point, par hasard, le vrai père de sauvage? Du Cange n'y semble pas répugner, au moins d'après la citation qu'il fait au mot solivagi. Il nous le montre opposé à conjugati dans une vieille charte citée par Gélénius : « Sive solivagi, sive conjugati, in tempore messis debent colligere messes, etc. "

Les dictionnaires latin-français sont encore plus nets sur ce point. Je lis dans celui de Freund (3), solivagus: qui erre seul, isolé, sauvage. Voilà qui

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est catégorique. Pas de doute, encore un coup pour la signification.

Reste la forme. Eh bien! croit-on qu'il soit plus difficile de passer de solivagus à salvagius, que de salvaticus à ce dernier mot? L'a se substitue à l'o tout aussi bien qu'à l'i et à l'y. Outre que de 66oxw on tire pasco, le latin solidus produit saldo en italien, sans aucune violence. Subtilis fait de même, dans notre vieux français, soutius, souton, et sauton. Souvigny, Sauvigny et Savigny sont le même nom de famille et de localité.

De nos jours, par une altération analogue dans le son des lettres, nous disons une sabotière au lieu d'une sorbetière. Que nous faut-il de plus? De solivagus, n'avons nous pas tout naturellement salivagus, salivagius, salvagius, salvaggio, salvaige, sauvaige et enfin sauvage? C'est ce que nous voulions démontrer. EUGÈNE TALBOT.

NOUVELLES LITTÉRAIRES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

Monsieur le directeur,

Mon petit bulletin mensuel aura aujourd'hui, j'en ai bien peur, la nuance d'une chronique scandaleuse, et touchera aux frontières de l'improper, du shocking... Vous savez ce que valent ces deux expressions de ce côté-ci du détroit. Depuis déjà trois semaines les salons anglais sont aux abois, les jeunes miss rougissent sans désemparer derrière leurs éventails, et on discute fort sérieusement la question d'intenter au coupable ou plutôt à la coupable un procès en diffamation. Car l'auteur du livre incriminé est une lady, lady Bulwer Lytton, et je vous assure qu'elle appelle

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Un chat un chat et Rolet un fripon. Allez vous marier à une femme-homme-delettres pour voir ensuite le linge sale du domicile conjugal lavé en trois volumes in-8 par devant le public des cabinets de lecture! Que n'a-t-on pas dit de Mme Sand, de ses romans immoraux, et de ses déclamations contre les institutions sociales! On ne l'a

jamais vue, du moins, comme lady Bulwer Lytton, faire de la littérature une question de personnalités, ni demander à l'art des moyens de vengeance. Le nouveau roman (1) de l'auteur de Cheveley n'a aucune valeur au point de vue de l'intrigue;

(1) Very successful, a novel, by lady Bulwer Lytton. 3 vols. Wittaker.

ce n'est qu'une série de tableaux dont quelquesuns sont dessinés avec assez de vigueur, mais où l'on croit entendre les accents de la rage la plus forcenée. M. B. d'Israeli avait, il y a trente ans, donné, dans Vivian Grey, le modèle du roman satirico-politique; lady Lytton, en inaugurant le roman satirico-domestique, s'est trompée de chemin. Ce qui est plus grave, elle a commis une mauvaise action. Toutefois, ainsi qu'on l'a fort bien remarqué, l'éditeur qui publie des ouvrages aussi odieux doit avoir sa part dans les reproches. Il n'est permis à personne de spéculer sur le scandale.

L'honorable baronnet ne paraît pas, du reste, se préoccuper beaucoup des calomnies qu'entasse contre lui une femme sans vergogne. Récemment nommé lord Recteur de l'université de Glasgow, il a pris possession du fauteuil académique avec tout l'éclat que l'on devait attendre de l'auteur de Pelham et d'Eugène Aram; son discours d'ouverture est un morceau de vive éloquence, et, quoique l'on puisse y remarquer contre la France du XVIIIe siècle deux ou trois phrases à effet dont le mauvais goût a réjoui sir Archibald Alison l'historien tory - des speeches comme celui-là se comptent.

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Puisque j'en suis au chapitre des discours, je ne veux pas omettre les quatre fameuses lectures (c'est ainsi que l'on s'exprime en anglais) du célèbre romancier M. Thackeray. Cet écrivain, le premier humoriste de notre temps, et, sans contredit, un des plus grands peintres de mœurs que nous ayons, a lu à Glasgow, à Edimbourg et à Londres même, une série d'essais ou de harangues ayant pour sujet les quatre rois du nom de George qui ont régné en Angleterre. Lorsque l'on connaît tant soit peu le caractère de George III et principalement celui de son successeur, il est évident que l'on ne saurait en dire beaucoup de bien, à moins de fausser entièrement l'histoire. M. Thackeray aurait donc mieux fait, peut-être, de traiter un autre sujet; mais l'ayant choisi, lui était impossible de déployer plus d'indulgence. On a longtemps persisté à appeler George IV le premier gentleman de l'Europe; M. Thackeray n'est pas le seul qui ait reconnu combien ce sobri

| sait le prince Régent, et son appréciation a produit en haut lieu, dit-on, un certain esclandre. Les lectures de l'auteur de Pendennis sont écrites avec beaucoup de finesse et petillent de verve ; mais il ne faut y chercher ni éloquence ni chaleur. On les goûtera mieux lorsqu'elles seront imprimées.

M. Carlyle fait paraître en ce moment une édition (1) à bon marché de ses ouvrages. Le premier volume, contenant la fameuse Histoire de la Révolution française, est sous nos yeux, et nous nous sommes donné le plaisir de relire cette production extraordinaire, où l'originalité du style traduit si bien la hardiesse des idées. Il ne faudrait pas demander au penseur écossais une narration suivie, pareille à celles de MM. Thiers et Mignet. M. Carlyle s'adresse à des lecteurs qui connaissent déjà les annales de la Révolution, et il prend les principaux faits comme un texte pour ses commentaires; il s'en sert pour justifier ses vues sur les institutions sociales et sur le problème de la destinée de l'homme. Ne croyez pas que le style de M. Carlyle, tout singulier qu'il puisse paraître, soit un style affecté; notre historien a une manière, mais voilà tout; et les intérêts qu'il défend sont trop graves, ses convictions sont trop profondes pour qu'on doive l'accuser de venir de cœur joie, danser sur la corde et faire des tours de force d'écrivain, afin d'amuser un instant le public blasé.

Un des critiques de la Revue des Deux-Mondes exprimait naguère le vœu que l'on traduisît en français l'Histoire de la Révolution. Ce serait là, disons-le, une tâche extrêmement difficile. La langue, en effet, n'est pas celle de l'histoire; ce n'est pas non plus la phrase claire et unie de la philosophie anglaise; quelquefois on y trouve le véritable ton du poëme épique, plus loin la verve acerbe d'un pamphlétaire ou toute la fougue du dithyrambe. Et puis les titres! Jugez plutôt. L'étid'un quette d'un chapitre est Sacs à vent; autre: En queue; il d'un troisième: Patrouillotisme, etc., etc.

quet était mal placé; il a tout simplement expliqué, devant deux mille personnes, qu'un gentleman ne se conduit pas avec ce débraillé qui caractéri

J'en passe,

et des meilleurs.

Je regrette d'avoir à terminer ma lettre par une phrase lugubre. M. Hugh Miller, géologue célèbre

(1) The Works of Thomas Carlyle, a cheap edition. Vol. I. London, published by Chapman and Hall.

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