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mêmes leur voie, en tirant d'elles-mêmes leur | problèmes transcendants, il s'éblouissait lui-même, élan et leur direction. Que si M. Cousin prétendait et quand il revenait aux choses réelles, il n'y porleur apporter des entraves, il n'y aurait qu'une tait qu'un regard las et troublé. réponse à lui faire : Vous avez été jeune, permettez-nous de l'être à notre tour, et rappelez-vous comment vous en agissiez avec Laromiguière, Tracy, Condillac et Locke.

M. Taine qui juge si sévèrement Maine de Biran, Royer-Collard et M. Cousin, a été traité d'outrecuidant. Il cuide aller outre ces maîtres. Cette ambition est-elle interdite? S'il en était ainsi il faudrait jeter bas l'échelle qui monte degré par degré des bas-fonds de l'ignorance barbare vers les régions de la lumière et de la vérité. Toute la question est de savoir si M. Taine aura le pied assez ferme pour atteindre les échelons où n'ont pu parvenir ses devanciers. Il faut encourager la jeunesse et ne pas présumer d'elle. M. Taine a du talent, beaucoup de talent, cela est incontestable; dès son début il s'est placé aux premiers rangs de la jeune génération littéraire. Il est passionné pour l'étude et pour la méthode d'observation qui est la seule vraie méthode. Il s'est voué à la psychologie qui est la source de toute la philosophie morale. Il est attentif, pénétrant, hardi, opiniâtre et amoureux de l'exactitude. A ces graves qualités,

il joint une imagination vive, brusque, originale, éclatant sans cesse en traits subits, brillants et incisifs. Voilà bien des dons, voilà bien des se

mences dans ce terroir neuf. Toutes ces semences germeront-elles, et en verrons-nous sortir une végétation puissante et des fruits succulents? Nous le souhaitons sincèrement. Si nos espérances sont trompées, si les promesses que donne M. Taine viennent à avorter, eh bien ! nous nous rangerons alors, mais seulement alors, avec ceux qu'offense son ton tranchant et contempteur, et nous raillerons son outrecuidance. Jusque-là nous passerons quelque chose à la verdeur fougueuse de la jeu

nesse.

Jouffroy n'eut aucun des défauts qui dérivent d'une exubérance juvénile. Toujours calme, froid, réfléchi, il promenait autour de lui un regard mélancolique, dont l'indifférence était aisément prise pour du dédain. Son grand défaut philosophique fut d'arrêter sa pensée sur lui-même, et de circonscrire ses observations sur une âme noble et pure, mais trop détachée de la réalité. Aussi suspendait-il, sans le savoir, ses théories à ses aspirations. Toujours attaché à la poursuite de

M. Taine censure cette disposition maladive de Jouffroy, mais sa critique est respectueuse et attendrie. Il s'émeut tout à fait et nous communique son émotion quand il nous introduit dans la demeure d'un savant aussi fier que modeste, M. Paul (1), un ancien professeur de Sorbonne, un ancien directeur des études de l'École normale, condamné par sa loyauté politique et philosophique à donner des leçons pour vivre. Quelques figures s'offrent encore au pinceau de M. Taine. Il ne saurait les négliger. Mais j'oublie peut-être qu'il a un autre rôle à remplir que celui de peindre des portraits. Qu'il aborde l'histoire, la grande histoire de l'âme humaine, l'histoire de tous les hommes, de toutes les nations et de tous les temps! ÉD. COURNAULT.

LES POÉSIES DU CHANCELIER MICHEL DE L'HOSPITAL (2). Comme la plupart des savants du XVIe siècle qui se mêlèrent de poésie, L'Hospital écrivit ses vers en latin et ils furent publiés pour la première fois, à Paris, chez Mamert Patisson, en un vo

lume in-f°, 1585, avec une dédicace adressée au roi Henri III, par Michel Hurault de L'Hospital, petit-fils, par sa mère, de l'illustre chancelier. Quoiqu'il dise dans cette dédicace qu'il a recueilli les poésies de son aïeul Michel de L'Hospital, pour les livrer à la publicité, on sait qu'il n'eut pas la plus grande part à cette belle et curieuse édition. Voici, en effet, ce que nous lisons dans les Mémoires de Jacques-Auguste de Thou, ce grand auteur, ce fidèle historien, comme dit Bossuet (3) : « Il faut dire ici que c'est à Pibrac, à de Thou (Jacques-Auguste) et aux soins de Scévole de poésies du fameux chancelier de L'Hospital. Il Sainte-Marthe, que le public est redevable des serait à souhaiter que cet ouvrage eût pu recevoir une plus grande perfection, mais la maladie et la mort de Pibrac ne permirent pas aux autres de suppléer à ce qui y manquait comme il était le

(1) M. Vacherot.

(2) Poésies complètes du chancelier Michel de l'Hospital, première traduct. annotée, par Louis Bandy de Nalèche, avocat à la cour impériale de Paris. Paris, Hachette et C.

(3) Histoire des variations et défense de la même histoire, ch. XXXVIII et XXXIX.

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poésies plus complète que les précédentes, mais sans amélioration pour l'ordre chronologique. M. Dufey (de l'Yonne), en faisant réimprimer les poésies latines du chancelier dans le troisième volume des Euvres complètes de Michel de L'Hospital (Paris, 1824, 5 vol. in-8°), n'a pas non plus cherché à les classer méthodiquement, et il s'est contenté de suivre les éditions antérieures à celle de 1732.

Passons maintenant aux traductions des poésies du chancelier.

maître de ces poésies, qu'il prétendait ranger par | 1732, à Amsterdam, une édition in-8° de ces l'ordre des dates avant que de les faire imprimer, ce qui leur eût donné un grand jour et une grande beauté, ils ne purent pas faire la même chose. De Thou espérait néanmoins qu'il pourrait en venir à bout avec l'aide de Pierre Pithou et de Nicolas Lefèvre, et les augmenter encore d'un tiers (1). » Du Faur de Pibrac, dont vient de parler de Thou, était beau-père de Michel Hurault de L'Hospital, et c'est à cette circonstance probablement qu'il devait d'être maître des poésies du chancelier dont, du reste, il était un des amis les plus intimes. Il mourut le 27 mai 1584, antérieurement à la publication de leur première édition. Il est trèsregrettable qu'il n'ait pas pu réaliser le projet qu'il avait conçu de les ranger par l'ordre des dates, car il aurait épargné par là une grande confusion et répandu une vive lumière sur les événements auxquels il est fait allusion dans les poésies du chancelier et sur les principales circonstances de sa vie. C'est là, en effet, un des grands mérites des épîtres de L'Hospital; en même temps qu'on y apprécie son caractère plein d'élévation, son âme empreinte d'une sage et douce philosophie, on y rencontre une foule de détails historiques et biographiques propres à mieux faire connaître la grande époque où il vécut.

Une nouvelle édition des poésies du chancelier parut, in-8°, avec l'indication de Lyon sur le frontispice (Lugduni, per Hugonem Gazeium) (2), en 1592. Mais cette édition n'est pas plus complète que la première. Le manuscrit de Pibrac ayant passé, on ne sait par quelles circonstances, en Hollande, devint la propriété du grand pensionnaire Jean de Witt, dont un des petits-fils le communiqua à Pierre Vlaming, qui donna, en

1) Mémoires de J. A. de Thou, collection Petitot, première série, vol. xxxvii, p. 61.

(2) Comme à cette époque les livres portant la date de Genève n'étaient pas admis en France, les imprimeurs de cette ville avaient pris le parti de substituer au mot Geneva le mot Lugduni ou ceux Coloniæ Allobrogum (Coulonges, près Genève) dans les livres latins, et celui de Cologny dans les livres français qu'ils publiaient. C'est à Genève que le libraire Hugon Gazé ou Gazei, de Lyon, a fait imprimer cette édition des Poésies de l'Hospital. Nous connaissons des exemplaires de la même édition qui portent les mots Genevæ et Lugduni destinés à être vendus à Genève, et d'autres qui portent les mots Coloniæ Allobrogum substitués au mot Lugduni et qui pouvaient être vendus en France.

Nous devons d'abord signaler quelques fragments de traductions insérés dans la Vie de Michel de L'Hospital, due à Levesque de Pouilly et imprimée à Paris en 1764; ainsi que les morceaux trop rares mais rendus d'une manière bien autrement brillante par M. Villemain (1). Nous nous arrêterons plus particulièrement aux deux traductions à peu près complètes des poésies de l'illustre chancelier.

En 1778, l'abbé J.-M.-L. Coupé publia à Paris, sous le voile de l'anonyme, deux volumes in-8°, intitulés Essai de traductions de quelques épîtres et autres poésies latines de Michel de L'Hospital, chancelier de France, avec des éclaircissements sur sa vie et son caractère.

Cet essai de traduction est fort médiocre. Il est facile d'y reconnaître que l'auteur a plutôt cherché à imiter qu'à traduire son modèle. Les contre-sens sont nombreux, et le traducteur a passé sous silence les morceaux qu'il ne pouvait comprendre. Une nouvelle traduction des poésies de L'Hospital était donc à désirer.

Celle que vient de publier M. Bandy de Nalèche atteint-elle le but que le traducteur s'est proposé? Nous n'oserions l'affirmer, du moins sans quelques restrictions. Sans doute son travail est fort préférable à celui de l'abbé Coupé. Mais il nous paraît laisser encore beaucoup à désirer.

D'abord nous n'aimons pas le tutoiement que le nouveau traducteur met dans la bouche du chancelier lorsqu'il s'adresse aux personnes même les plus élevées avec lesquelles il était en relation. Nous savons bien que ce tutoiement était de règle dans la langue latine, mais il ne nous paraît pas rendre la pensée de l'auteur original lorsqu'on le fait passer du latin en français.

(1) Vie de l'Hôpital, dans les Études d'histoire moderne.

Ainsi la belle épître par laquelle le chancelier remercie Anne d'Est d'avoir sauvé sa fille Madeleine du massacre de la Saint-Barthélemy, commence par ces vers:

Anna, mihi natis hæc de tribus una superstes
Vivit adhuc, vivitque tuo servata recenti
Munere, dum tota cædes flagraret in urbe...

M. de Nalèche traduit ce passage de cette manière :

« Ma fille, la seule sur trois qui ait survécu, elle vit encore, elle vit, grâce à toi, Anne d'Est, car tu l'as sauvée du massacre dont Paris était l'épou

vantable théâtre; sans toi, elle était perdue.

"

Ce ton familier ne rend pas bien, suivant nous, la pensée du poëte, adressant le témoignage de sa reconnaissance à une princesse, petite-fille du roi Louis XII. Coupé était tombé dans l'excès opposé. Voici avec quelle emphase il traduisait le même passage:

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Madame, elle vit encore cette enfant, l'unique de trois dont je m'étais vu père; elle vit, et sa conservation est l'ouvrage de votre sensibilité, etc. "

Veut-on savoir comment un maître a traduit ce

morceau? Écoutons M. Villemain "Cet unique enfant qui me restait de trois enfants que j'ai eus, vit encore: elle vit, sauvée par votre bienfait, tandis que le meurtre désolait Paris, et qu'il ne s'offrait aucun autre salut pour elle. »

Après avoir parlé du style, voyons maintenant comment le nouveau traducteur s'est tiré de certaines difficultés résultant de détails peu connus de la vie de L'Hospital, auxquels il est fait allusion dans ses poésies.

Une épître adressée à Barthélemy Faye, président aux enquêtes, commence ainsi :

Sperabam, dilecte mihi, septembribus horis
Hic aliquot te posse dies traducere mecum,
Officiis, operisque solutum : at tristia bella
Invidere tibi requiem, mihi gaudia, læto

Jam prærepta animo. Necdum tamen excidit omnis
Spes, seu vitriferi colles, et prata Givisi,
Seu riguum veniam passim manantibus undis
Vallegradum : brevis est utroque excursus ab urbe.

Quid enim post tonsa novalia late
Belsia, nudus ager, sine silva, fontibus, herbis...
Il y a là deux noms de lieux passés sous si-
lence, ou mal traduits par Coupé et M. de Nalèche.

Vallegradum n'a pas été du tout rendu par le premier de ces traducteurs qui n'a pas su probablement ce qu'il voulait dire, et le second l'a rendu par l'Oise, dont il n'est pas question dans l'épître du chancelier.

Vallegradum signifie Valgrand, aujourd'hui Vert-le-Grand, village du canton d'Arpajon, arrondissement de Corbeil (Seine-et-Oise). L'Hospital, ainsi que nous l'apprend l'abbé Lebeuf (1), avait acheté la terre de Valgrand en 1568. Il y résidait quelque fois lorsqu'il quittait son autre terre du Vignay, et il s'y réfugia notamment après la Saint-Barthélemy, fait ignoré de tous ses biographes, mais qui est attesté par MTM DuplessisMornay qui voulut aller l'y trouver en fuyant Paris après cette épouvantable catastrophe (2).

C'est donc à Valgrand que L'Hospital invitait son ami Barthélemy Faye à aller passer les vacances. Quant aux coteaux et aux prairies de Juvisy, le chancelier en parle parce que son gendre, Robert Hurault, possédait cette terre et qu'il espérait y voir le président Faye.

Le mot Belsia est traduit par Coupé et par M. de Nalèche comme voulant dire la Brie. Il est difficile de comprendre comment ces deux traducteurs ont confondu la Brie avec la Beauce. Soit que dans le vers Belsia nudus ager... L'Hospital ait voulu parler du Vignay, qui était bien en Beauce, soit qu'il ait fait allusion à Valgrand qui était en Hurepoix, mais sur les confins de la Beauce, toujours est-il certain qu'il n'a pas le moins du monde songé à la Brie, située sur la rive opposée de la Seine.

Les vers consacrés par L'Hospital à dépeindre la Beauce nous ont rappelé ce distique latin en vers léonins:

Belsia triste solum, cui desunt bis tria tantum,
Colles, prata, nemus, fontes, arbusta, racemus,
Qu'Andrieux a imité ainsi :

Le triste pays que la Beauce!
Car il ne baisse, ni ne hausse;
Et de six choses d'un grand prix,
Collines, fontaines, ombrages,
Vendanges, bois et paturages,
En Beauce il n'en manque que six.

A. TAILLANDIER.

(1) Histoire du diocèse de Paris, t. XI, p. 59. (2) Mémoires et correspondance du Duplessis-Mornay, t, I,

P. 67%.

LES DERNIÈRES PUBLICATIONS DE LA BIBLIOTHÈQUE

ELZEVIRIENNE.

J'ai entendu récemment quelques esprits chagrins se plaindre du goût qui porte actuellement le public à favoriser la publication de documents inédits et la réimpression de nos vieux auteurs. J'avoue ne point approuver leurs récriminations. Le travail qui se fait en ce moment n'est point sans précédents dans notre histoire littéraire. Si au XVIe siècle les grands travaux de philologie et d'érudition sur l'antiquité classique ont préparé les magnifiques œuvres du siècle suivant, les savants travaux historiques de Du Cange, des Bénédictins et de tant d'autres, ont permis au XVIII siècle de généraliser et de mettre en circulation les idées qui ont eu alors une si grande inflence sur le mouvement politique et philosophique. Nous vivons en un temps où les œuvres originales sont malheureusement trop rares pour absorber uniquement l'attention du monde littéraire; profitons de cet instant de calme et de repos, et faisons à notre tour, pour les générations qui nous suivront, le travail de préparation exécuté par les générations qui nous ont précédés. Soyons-en sûrs, tôt ou tard il portera ses fruits; et quand aujourd'hui il n'aurait d'autres résultats que de nous fournir les renseignements les plus précieux et les plus variés sur la langue, l'histoire, la littérature, les mœurs, les hommes et les choses des siècles passés, il me semble que l'on aurait tort de se plaindre.

Pour ne parler ici que de la collection publiée par M. Jannet, et en laissant de côté, si l'on veut, certains volumes propres seulement à piquer la curiosité des bibliophiles et qui ont bien aussi leur mérite, je la crois appelée à rendre les plus grands services. - C'est un fait incontestable aujourd'hui, que la rareté et le haut prix des anciennes éditions de nos poëtes, historiens, chroniqueurs ou romanciers, les rendent à peu près inabordables pour le commun des travailleurs. Il fallait y remédier, et l'éditeur l'a très-bien compris. D'ailleurs il y a une foule d'écrits qui, fort compréhensibles à l'époque même où ils ont paru, sont pour nous d'une très-grande obscurité, et dont la difficulté est augmentée encore par la défectuosité des textes, imprimés souvent avec une déplorable incorrection. De là nécessité de nouvelles éditions, complétées souvent par des pièces inédites, revues sur les éditions princeps

ou sur les manuscrits, accompagnées de notes, de variantes, de glossaires, qui épargnent autant que possible, aux lecteurs, le travail et les recherches. La Bibliothèque elzévirienne a été si bien accueillie du public, que soixante-dix volumes ont paru jusqu'ici, et que quelques-uns d'entre eux sont déjà épuisés. Je ne dirai pas que tous ont une égale valeur : sunt bona, sunt mediocria; mais enfin le bon l'emporte, et de beaucoup.

Parmi les derniers volumes récemment mis au jour, je signalerai l'Histoire amoureuse des Gaules, qui est certainement l'une des meilleures réimpressions données dans la collection. Nonseulement l'éditeur, M. Paul Boiteau, est un homme qui connaît à fond son XVIIe siècle, les grandes et les petites aventures, les grands et petits personnages, mais c'est encore un écrivain plein de goût et d'esprit. Aussi, chose bien rare chez un commentateur, ses notes remplies de faits, d'anecdotes et de renseignements, écrites avec une légèreté et un enjouement souvent pleins de malice, se lisent avec un vif plaisir; si l'on veut bien me pardonner une métaphore, je dirai que la suivante est presque aussi jolie que la maîtresse. Il ne s'y est, du reste, guère épargné, car il a plus que blé l'étendue du volume de Bussy. Il a remis à sa vraie place l'Histoire amoureuse, qui dégagée des interpolations licencieuses que des libraires cupides y avaient fourrées, reste un livre scandaleux, j'en conviens, mais un livre, comme il le dit fort bien, qui a son charme et sa fine fleur littéraire. » C'est, de plus, un tableau fort exact et fort précieux des mœurs du temps, et enfin, comme M. Boiteau le prouve surabondamment, « un mémoire très-utile à consulter pour l'histoire politique du ministère de Mazarin. » J'ajouterai : surtout maintenant qu'il l'a annoté.

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dou

Le volume est terminé par les Maximes d'amour, insérées dans les Mémoires de Bussy, qui raconte en avoir fait lecture chez Monsieur, devant plusieurs dames, et entre autres devant Mãe de Montespan, et par la Carte du pays de Braquerie, satire plus que vive des dames galantes de la

cour.

Je regretterai seulement que M. Boiteau ne nous ait pas donné un sommaire des subdivisions du livre et une table alphabétique des matières, que nous fera attendre trop longtemps la publication des suites du pamphlet de Bussy.

Les notes sont aussi très - nombreuses dans le Roman comique, édité par M. Victor Fournel (1). Peut-être le sont-elles trop; l'on pourrait lui reprocher de ne s'être pas assez souvenu que le chef-d'œuvre de Scarron est avant tout une œuvre légère et littéraire destinée à être lue couramment, comme elle l'a toujours été, car elle n'offre pas de difficultés tant soit peu sérieuses. Cette réserve faite, je louerai très-volontiers les commentaires de M. Fournel. Ils prouyent qu'il connaît bien l'histoire littéraire de la première moitié du XVIIe siècle, et il nous l'a encore mieux montré dans sa très-savante et très-instructive introduction (2), qui est une véritable étude sur le roman pendant la première moitié du XVIIe siècle. Je citerai, entre autres, les pages où il a fort soigneusement analysé quelques livres de Sorel, le Francion et le Berger extravagant, œuvres assez plates en général, et que quelques qualités n'ont pu sauver de l'oubli, mais que les érudits pourront lire encore, sinon pour se réjouir, au moins pour y retrouver quelque curieux détail sur la vie littéraire d'il y a deux cents ans. La partie relative au Roman | comique lui-même est très-consciencieusement étudiée. A force de recherches et à l'aide d'un savant très au courant de l'ancienne littérature espagnole, M. de Puibusque, M. Fournel est parvenu à découvrir à peu près toutes les sources où Scarron a puisé, toutes les imitations qu'il s'est permises, et qui, pour la plupart, n'avaient point encore été signalées; et comme en fin de compte, sauf quatre nouvelles épisodiques insérées dans le Roman comique, ces imitations sont peu de chose; il a eu raison de conclure que ce roman " est bien une composition originale dont on n'est pas en droit de ravir la gloire à Scarron. » Je ne crois pas, du reste, que l'on y ait jamais bien sérieusement songé.

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Ce n'est pas le luxe de commentaires que l'on peut reprocher au Gérard de Roussillon, édité par M. Francisque Michel, qui nous en donne deux textes, l'un en provençal, l'autre en français. Son livre contient une vingtaine de notes, éparses dans la préface, mais pas une ligne de glossaire, et à la fin seulement, sept pages de leçons

(1) Le premier volume seul a paru.

(2) Elle n'occupe pas moins de quatre-vingt-quatre

pages.

et corrections. Quant à la préface, elle nous fournit peu ou point d'éclaircissement sur le roman. L'éditeur s'est contenté de nous renvoyer à diverses notices de MM. Fauriel, Raynouard, et de Terrebasse, et quoique le sujet pût encore «< fournir aisément matière, sinon à un volume, au moins à un mémoire d'une certaine étendue, » à nous faire espérer qu'il se livrera quelque jour à ce travail, et mettra en œuvre les nombreuses notes qu'il a rassemblées; ce n'est vraiment pas assez. Du reste, l'année est féconde en éditions de Gérard de Roussillon. Nous avons déjà parlé de celle qui a été publiée à Berlin par M. Mahn (1); nous reviendrons prochainement sur celle qu'un savant bibliophile, M. de Terrebasse, a récemment mise au jour.

Un autre volume, le premier tome des Courriers de la Fronde en vers burlesques, par SaintJulien, et dont l'éditeur est M. C. Moreau, nous ramène au XVIIe siècle. L'histoire de ce pamphlet ou de cette gazette en vers, comme on voudra l'appeler, est assez curieuse et peu connue. Quand le roi sortit de Paris au mois de janvier 1649, Renaudot, le fondateur de la Gazette de France, le suivit à Saint-Germain avec son journal, et fut chargé de diriger l'imprimerie que Mazarin avait emportée avec lui. Mais en homme bien avisé, il laissa ses fils à Paris, en leur recommandant de publier une gazette pour le parlement. Ils lui obéirent si bien, et leur Courrier françois, qui parut dès la première semaine du blocus, eut un tel succès, qu'ils voulurent la continuer, même après la paix, et que pour réprimer cette concurrence parricide, Renaudot dut recourir aux voies judiciaires. Ils furent obligés alors de reprendre dans le bureau de la gazette la place qu'ils avaient désertée (2).

Le succès du Courrier françois avait été assez grand pour provoquer des contrefaçons et des imitations. Un sieur Saint-Julien, attaché au marquis d'Alluye, fut plus habile. Il imagina de traduire le Courrier en vers burlesques, qui, « aussi exacts que la prose de Renaudot, sont beaucoup plus gais et plus amusants. »

M. Moreau fait un assez grand cas, au point de vue historique et même littéraire, de l'œuvre de

(1) Voy. p. 000. Le texte est différent de celui que M. Michel a donné.

(2) Voy. la préface, p. xxiv.

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