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motivés par la lutte des deux religions, que le Christianisme n'est responsable de toutes les extravagances des faux mystiques. C'est parce que la théorie platonicienne de l'Unité absolue était très-élevée qu'elle pouvait plus facilement, détournée de son sens légitime, aboutir à l'absurde.

II. Les théories alexandrines sont mises en une lumière nouvelle et parfois régénérées par l'école d'Athènes.

Proclus insiste sur l'Unité absolue du Bien qui réside au delà de l'intelligence et de l'être, et il applique la raême conception à la Providence, dont il propose une théorie originale. Selon lui, la Providence est plus que l'intelligence conservant le monde : sa vraie source est dans l'Unité suprême du bien. L'Un connaît toutes choses d'une connaissance supra-intellectuelle, dans l'unité d'où elles dérivent, c'est-à-dire en lui-même : ainsi, ce qui est divisé et multiple existe et est entendu dans son principe d'une façon indivisible et simple, sous la forme de l'unité; ce qui est indéterminé et incertain est connu d'une manière certaine et déterminée (1). Nos actes libres eux-mêmes, sans cesser d'être libres, sont soumis dans l'Unité à une prévision ineffable. Il y a donc dans l'Un une prédétermination des choses antérieures à la vision de l'intelligence proprement dite: c'est ce qu'exprime le mot de Providence (2).

1. Commentaire du Parménide, VI, 47. 2. De Providentia, I, 15.

CHAPITRE NEUVIÈME

Philosophie chrétienne.

I. MÉTAPHYSIQUE DES PHILOSOPHES CHRÉTIENS.

I. DIEU CONCU COMME BIEN SUPRÊME. Les grands principes de la philosophie platonicienne et aristotélique se trouvent, dans la philosophie chrétienne, élevés à une puissance nouvelle et conciliés avec les autres doctrines grecques et orientales. La Bible, Philon, Plotin et Platon sont les principales sources de la philosophie chrétienne. Analogie de la conception platonicienne du Bien supérieur à l'intelligence et à l'essence avec la conception chrétienne du Père incompréhensible et ineffable. Témoignages de Justin, de Tertullien, de Clément d'Alexandrie, d'Origène, de Grégoire de Nazianze, d'Athanase, de Denys l'Aréopagite et de saint Augustin.

II DIEU CONCU COMME RAISON SUPREME. La méthode d'induction platonicienne et la théorie des idées sont adoptées par les chrétiens. La raison divine ou le Verbe, óyos, contient éminemment les idées de toutes choses. La Raison ou le fils procède du père éternellement, sans qu'il y ait infériorité du fils par rapport au père. III. DIEU CONÇU COMME ESPRIT SUPREME. Platon avait conçu l'àme divine comme intermédiaire entre la Raison divine et le monde. Les chretiens conçoivent cette àme comme égale à la Raison divine et à l'Unité divine." Dieu s'aime lui-même : il est amour ou charité, il est esprit. Dieu aime le monde et le crée par liberté et amour. Progrès accompli dans la théorie de la création. Substitution du bien libre au bien nécessaire.

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I. THEORIE DE LA CHARITÉ.

La charité est l'amour de Dieu et l'amour de tous les hommes en Dieu. La charité est le suprême principe de la morale.

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Elle est le souverain

II. THEORIE DE LA LIBERTÉ.

bien.

La charité est libre en essence. Diffi

cultés nées du rapport de la liberté et de la grâce. Effacement de l'idée

de liberté.

III. THEORIE DE LA SOCIÉTÉ.

- La société fondée sur l'autorité, non sur le droit proprement dit. Question de la liberté religieuse; question de l'esclavage; question de la propriété.

Tous les grands principes de la philosophie platonicienne et aristotélique se retrouvent dans la philosophie chrétienne, élevés à une puissance nouvelle et conciliés avec les autres doctrines grecques ou orientales. Les livres saints, Philon, Plotin et Platon,

sont les principales sources de la philosophie chrétienne. Soit directement, soit indirectement, Platon exerça sur le christianisme l'influence la plus incontestable. Les Pères grecs le proclament eux-mêmes (1). Ce christianisme compréhensif des premiers Pères ne pouvait manquer de fondre en une même doctrine philosophique toutes les vérités éparses chez les anciens philosophes.

I. Dieu conçu comme le Bien suprême. -Le point culminant de la philosophie platonicienne est la conception du Bien suprême identique à l'Unité, supérieur à l'essence et à l'intelligence; telle est aussi la conception la plus élevée de la philosophie chrétienne: Dieu, considéré dans l'absolu de son être, est incompréhensible et ineffable (2).

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1. « Tout ce qui a été enseigné de bon par tous les philosophes nous • appartient, à nous chrétiens, dit saint Justin. (Apologie, I, 51.) Tous les hommes participent au Verbe divin, dont la semence est implantée dans leur âme... C'est en vertu de cette raison séminale, dérivant du Verbe, que les anciens sages ont pu, de temps à autre, enseigner de belles vé• rités... Car tout ce que les philosophes ou les législateurs ont dit ou trouvé de bon, ils le devaient à une vue ou connaissance partielle du Verbe. Socrate, par exemple, connaissait le Christ d'une certaine manière, parce que le Verbe pénètre toute chose de son influence... Voilà pourquoi les doctrines de Platon ne sont pas tout à fait contraires à ⚫ celles du Christ, bien qu'elles ne soient pas absolument semblables... Tous ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, bien qu'ils aient été regardés comme athées tels étaient Socrate et Héraclite chez les Grecs, et parmi les barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Elie, ainsi que beaucoup d'autres. » Cf. Saint Clément d'Alex., Strom. I, c. IX, p. 348: Semblables aux bacchantes qui ont dispersé les membres de Penthée, les diverses sectes de philosophie, soit grecque, scit barbare, éparpillent en fragments l'indivisible lumière du Verbe divin. »

2. « Aucun nom, dit saint Justin (Apol., I, 46; II, 8, 10, 13, 14), ne convient au principe suprème de l'univers. Dieu, le Père, le Créateur, le Seigneur, ne sont pas des noms qui définissent son essence, mais de simples qualifications tirées de ses bienfaits et de ses œuvres. » (Apol., I, 44; II, 94.) De mème, pour Tertullien, Dieu en soi est caché et inaccessible; il s'est révélé par le Verbe, comme le soleil, trop éclatant pour être vu dans sa substance mème, se laisse apercevoir dans ses rayons. » (Adv. Prax., p. 14.) C'est la célèbre comparaison du vie livre de la République.« Dieu, dit à son tour saint Clément d'Alexandrie, étant indémontrable, n'est point objet de science. » (Strom. IV, p. 135.) On n'arrive à concevoir cet abime que par abstraction, c'est-à-dire par l'élimination complète de tous les attributs des ètres créés, et particulièrement des attributs physiques. (Ch. V. p. 582.) « De cette façon, si on ne peut dire ce qu'il est, on peut du moins savoir ce qu'il n'est pas. Le nom qui lui convient le mieux, l'Un, ne définit pas son essence, mais exprime seulement la simplicité absolue de sa nature. Les autres dénominations sont toutes empruntées aux rapports que Dieu soutient avec les choses. Lorsqu'on en vient à considérer Dieu sous ce point de vue, on lui attribue la bonté. » (Ibid., I, XVII,

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• Dieu, dit saint Athanase, est au-dessus de toute essence « et de la conception humaine, parce qu'il est la bonté et la << beauté transcendante. Il est bon, ou plutôt il est la source de la « bonté (1). « Fin de toute chose, s'écrie saint Grégoire de << Nazianze, tu es un, tu es tout et tu n'es aucun, n'étant ni un << ni tout. » Saint Augustin, tout nourri de la pensée de Platon et des platoniciens, conçoit l'Unité identique au Bien comme le terme de la pensée. Par cette force intérieure et secrète qui s'appelle la raison, nous divisons et nous unissons pour connaître. «Soit que je divise ou que je réunisse, c'est l'unité que j'aime et que je veux. Quand je divise, c'est pour avoir l'unité pure, et <«< quand je réunis, c'est pour l'avoir totale (2). » Il y a donc une Unité, principe de l'unité en toutes choses et objet suprême de la raison; car les deux procédés de la dialectique, analyse et synthèse, ne sont autre chose que la recherche de l'unité. L'Un et le Bien sont un seul et même principe. « Enlevez tel ou tel bien

particulier, et voyez le Bien même si vous pouvez; ainsi vous « verrez Dieu, qui n'est pas bon par un autre bien, mais qui est « le bien de tout ce qui est bon. Nous ne dirions pas qu'une chose « est meilleure qu'une autre en jugeant avec vérité, si nous « n'avions pas la notion du Bien en soi imprimée dans nos âmes, << sur laquelle nous réglons nos approbations et nos préférences. « Ainsi il faut aimer Dieu, non tel ou tel bien, mais le Bien « même. Il faut chercher pour l'âme un bien autour duquel elle << ne voltige pas pour ainsi dire par la pensée, mais auquel elle « s'attache par l'amour... Ce bien n'est pas loin de chacun de << nous en lui nous vivons, nous nous mouvons et nous << sommes (3). »

369.) Pour Origène comme pour saint Clément, le principe suprême est « l'Unité absolue, incommunicable, incompréhensible, supérieure à toute intelligence, à toute vie, à la vérité, à la sagesse, à l'essence mème et à l'étre defini.» (C. Cels., VII, 38. In sanct. Joh., II, 18. De princ, 1,3,5.) En même temps cette Unité est le Bien. Le bien n'est pas pour Dieu, comme pour la créature, un simple attribut; il est la nature meme de Dieu. Et si Dieu est bon, il est dans un sens supérieur à l'ètre des créatures: car le bien et l'ètre véritable sont identiques, et le mal est la mème chose que le néant. (In sanct. Joh., c. II, p. 7. La créature participe de l'ètre au mème degré que du bien. On reconnait là le principe fondamental du platonisme.

1. C. Gent., 2. De incarn. Verbi, 3. 2. De ordine, I, p. 581 (édit. Gaume). 3. De Trinit.. VIII, 3. Dans les livres du faux Denys l'Areopagite, l'influence platonicienne et mème neoplatonicienne est plus évidente que partout ailleurs. Il n'est aucun des termes les plus hardis de Plotin qui ne

On le voit, la méthode platonicienne d'élimination qui aboutit à la conception d'un Dieu supérieur à la pensée et à l'essence se retrouve tout entière dans la philosophie chrétienne, et s'y combine avec la conception théologique de Dieu le Père, principe ineffable et incompréhensible.

II. Dieu conçu comme la Raison suprême. -La dialectique platonicienne n'est pas une méthode purement négative en même temps qu'elle conçoit Dieu comme la perfection inaccessible en soi, elle le conçoit aussi comme la perfection communicable, où sont éternellement subsistantes et éternellement entendues les raisons de toutes choses. Sous ce rapport, la dialectique a pour terme la Raison universelle, c'est-à-dire le Verbe, le Aiyos. Tel est aussi, dans la philosophie chrétienne, le second aspect sous lequel Dieu apparaît à notre intelligence.

Les Idées platoniciennes sont explicitement dans Clément d'Alexandrie. D'après lui, la nature propre du Verbe est d'être le type de toutes les idées, la raison suprême de toutes les vérités, le centre d'union de toutes les puissances (1). Le Père est l'unité absolue, le Fils est l'unité dans la pluralité; cette pluralité intelligible le rend accessible à la démonstration, tandis que le Père est ineffable (2).

soit accepté par Denys, et mème exagéré encore. D'après lui, Dieu n'est pas seulement ineffable et inintelligible; il est encore supra-ineffable et supra-inintelligible. (De divinis nominibus, II, 4.) Il n'est pas parfait, mais supra-parfait; il n'est pas Dieu, mais archi-Dieu. Il n'est ni puissance, ni vie, ni lumiere. ni essence; il n'est même, à proprement parler, ni unité, ni divinité, ni bonté. (Theol. myst., V, 7.) Dieu est supérieur à toutes les contradictions de la pensée humaine; aussi peut-on l'appeler l'essence inessentielle, l'intelligence inintelligible, la parole ineffable. Il est l'indétermination supra-essentielle (De div. nom., I), l'absence de raison, de pensée, de nom. «< De là vient que les théologiens ont préféré s'élever à Dieu par la voie des locutions négatives. » (De div. nom., XIII.) —Ces négations ne signifient nullement qu'il y ait en Dieu la privation « de ce qu'elles nient, mais au contraire excès et plénitude. En Dieu seul l'absence de substance est la substance infinie, l'absence de vie « est la vie suprème, l'absence de pensée est la suprème sagesse. (De div. nom., IV.) -- « Comme si le marbre renfermait des statues innées: la main de l'artiste n'aurait qu'à enlever ce qui les cache, et dévoilerait «ces beautés cachées en ôtant ce qui n'est pas elles. » On reconnait la pensée qui avait inspiré à Plotin et à Proclus leur distinction de la théologie négative et de la théologie affirmative. Cette distinction devint fondamentale dans la métaphysique chrétienne.

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1. Strom., c. IV, p. 33.

2. Mème doctrine dans Origène. « En Dieu réside un monde d'au<< tant supérieur en variété et en beauté au monde sensible, que la raison « de l'univers, pure de toute matière, l'emporte sur le monde matériel. »

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