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Semblable au camelot quand il a pris son pli,
Cloris oit ces leçons et les met en oubli.

Cette autre que tu vois, couverte d'écarlate,
L'éventail à la main, faire la delicate,

Possede un joli bien; mais sçais-tu bien comment
Son pere luy laissa dequoy vivre aisément?
Voyant que son commerce étoit tout en déroute,
Il prévint son malheur en faisant banqueroute,
Et, se sauvant des mains du triste creancier,
En homme intelligent, il changea de quartier.
Un accommodement fait à son avantage,
Un peu de temps après, retablit son ménage,
Et, retourné chez luy, joyeux et satisfait,
Il jouit en repos du vol qu'il avoit fait.

Je ne finirois pas ces peintures plaisantes,
S'il falloit crayonner les beautés differentes
Que la saison attire en ces endroits charmans,

Moins pour y prendre l'air que pour voir leurs amans.
Que de sujets nouveaux à tourmenter ma bile,
Si, les voyant venir et passer à la file,

Le pinceau dans la main je faisois le tableau
Des vapeurs dont la Noble agite son cerveau ?
Negligemment couchée au fond d'un beau carrosse,
Elle ne peut souffrir qu'un fortuné negoce
Fasse briller comme elle Iris, dont les ayeux
Confondus dans la lie ont rampé dans ces lieux;
Superbe de l'éclat d'une belle naissance,

Le pompeux char d'Iris la chagrine et l'offence.
Croyant qu'il n'apartient qu'à celles de son sang
D'unir l'orgueil du luxe à la splendeur du rang,
Elle fait le procés à cette roturiere

Qu'un magnifique train semble rendre un peu fiere,
Et qui, pour posseder toute chose à foison,
Dans un somptueux lustre entretient sa maison.

Cependant, qui des deux soûtient mieux la dépense?
La bourgeoise, vivant dans la magnificence,
Contente tout le monde, et, le payant comptant,
Fait qu'il se trouve bien de son luxe éclatant,
Au lieu que cette Noble, aussi pauvre que vaine,
Fait perdre à ses marchands leur argent et leur peine.

Il est tems, cher Damon, de quitter ces discours,
Et comme le Soleil, precipitant son cours,
Va dans le sein des eaux éteindre sa lumiere,
Allons, tout promenant, revoir notre taniere.

(Les Agreables Diversitez du Parnasse, s. d 1700.)

PIERRE DE VILLIERS

L'Abbé Pierre de Villiers naquit à Cognac le 10 mai 1648; d'autres biographes disent en 1649 ou 1650. Élevé à Paris, il entra chez les Jésuites en 1666 et se distingua dans l'enseignement. Il acquit plus de renommée dans la prédication quand il prit l'ordre de prêtrise, et le poème sur l'Art de Prêcher témoigne à la fois de sa science d'orateur et de l'attention des fidèles. L'esprit satirique de l'Abbé de Villiers y décoche des traits fleuris qui n'ont pas la violence profanatrice de ceux du P. Sanlecque, mais qui frappent avec justesse et légèreté. Cependant, à cause de son air audacieux et de sa parole impérieuse, Boileau surnomma plaisamment Villiers le Matamore de Cluny ». L'Abbé était entré dans l'Ordre non réformé de Cluny, après avoir appartenu à la Société de Jésus pendant vingt-trois ans. Il mourut Prieur de Saint-Taurin, le 14 octobre 1728. Bien que le style de Pierre de Villiers soit parfois languissant et prosaïque, il n'est pas sans pureté ni délicatesse et mérite une place très honorable dans l'histoire poétique. Le Traité de la Satire doit être médité comme l'un des meilleurs et des plus agréables. Il nous a paru curieux d'extraire des Poèmes et autres Poésies une satire sur les portraits, dont Diderot paraît s'être souvent inspiré en maints endroits de sa critique, et qui nous est un rare témoignage artistique et mondain du temps de la fausse pompe et de l'affectation outrancière. La Bruyère avait déjà dit la même chose.

BIBLIOGRAPHIE. L'art de prêcher, 1682, 1728, in-12 (plus de 30 édit.); De l'amitié, poème satyrique en quatre chants contre les faux amis, Amsterd., 1692, in-12; Entretiens sur les tragédies de ce temps, Paris, 1675, in-12; Conduite chrétienne dans le service de Dieu et de l'Eglise, Paris, 1699, in-16; Traité de la Satire, Paris, 1695, in-12, La Haye, 1716 (faussement attrib. à LOUIS DE SACY); Entretiens sur les Contes de fées et sur quelques ouvrages de ce temps, Paris, 1699, in-12; Pensées et réflexions sur les égarements des hommes dans la voie du salut, 1693, 3 vol. in-12 et 1732;

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Réflexions sur les défauts d'autrui, Paris, 1690, 1691, 1693, 2 vol. in-12; ·Sentiments critiqués sur les Caractères de La Bruyère, Paris, 1701, in-12; Vérités satiriques, en cinquante dialogues, Paris, 1725, in-12; Sur ma vieillesse, stances, 1727, in-12; Poèmes et autres Poésies de ***, Paris, 1712, 1728, in-12; Euvres en vers, 1717, in-12. Ouvrages attribués: Mémoires de la vie du Comte D. avant sa retraite (désavoué; on l'a attrib. à SAINT-EVREMOND), Paris, 1696, 1702, 2 vol. in-12; - Les Moines, Comédie, Berg-op-Zoom, Strélitz, 1709, in-12, s. 1., 1716; Apologie du Célibat chrétien, contre l'ouvrage du chanoine Desforges: Avantages du mariage, Paris, 1762, in-12; Poésies de M. D*** V***. Nouv. éd. augment. d'un nouveau poème (l'Education des rois) et de quelques autres pièces, Nouv. Réflex. sur les défauts d'autrui, Paris, 1697,

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-

Paris, 1728;

2 vol. in-12.

A CONSULTER.

GOUJET, t. III.

· MORERI, Dict. Hist. - BARBIER, Dict. des Anonymes. - L'APOTRE BIBLIOGRAPHE, Bibl. Clericogalante, Paris, 1879; Journal de Verdun, mars, 1729, p. 160-2; QUERARD, France Littér.

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Bibliothèque de la Comp. de Jésus; Bibliogr. de la Cie de Jésus, éd. Carlos Sommervogel, III, 1898. · LACHÈVRE, Bibl. des Rec. Collect. de poés., III, 564.

EPITRE XI

A M. RIGAUD, PEINTRE

Rigaud, cherche le Vray, pein toujours la Nature,
Pein l'homme tel qu'il est quand tu fais sa peinture;
De son visage en vain, prompte à saisir les traits,
Ta docte Main fait vivre et parler tes portraits;

En vain, non moins Savant dans l'art des Drapperies,

Des habits qu'à ton choix tu peins et tu varies,

On se trompe à l'étoffe, et l'on croit que Gautier (1)
Te la fournit brillante au sortir du métier;

(1) Fameux Marchand de Soye.

Si tu ne peins l'esprit, les mœurs, le rang, et l'âge,
Je ne te connois point dans ton plus bel ouvrage :
Je n'y vois qu'un Pinceau des temps toujours vainqueur,
Mais je n'y trouve point ta droiture et ton cœur.

Ennemi du mensonge, abhorrant l'imposture,
Jamais n'a de ton cœur hesité la droiture,
Et pour la verité ton zele impetueux
De ta langue toujours a delié les nœuds.

Inspire à ton pinceau la même hardiesse,
Au mauvais goust du temps oppose ta Sagesse,
Et ne te rend jamais, dans un Portrait flatté,
Complice du mensonge et de la vanité.

Ce n'est point à son Art pour donner plus de lustre,
Pour acquerir un nom plus prompt et plus illustre,
Que de riches habits le Peintre fait le choix,
Et pare de Velours jusqu'aux moindres Bourgeois;
Qu'il change du Marchand le Comptoir, la Boutique,
En table de Porphire, en superbe Portique,
Et que, sur un Carreau de Galon d'Or bordé,

En Robe de Brocart il le tient accoudé.

Le Peintre connoît mieux en quoy son Art consiste,
Il sait que d'une main également artiste

Il feroit un Portrait non moins fort, non moins beau,
Habillant le Bourgeois de simple Drap d'Usseau,
Et peignant au Comptoir, assis auprès d'un Bouge,
Le Marchand en Bonnet, en Camisole rouge.

Tels, avant que l'Orgueil eût confondu les Rangs,
Quand l'Habit annonçoit les états differents,
Distinguoit la Noblesse, et que de la Police
Le Bourgeois plus soumis redoutoit la Justice,

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