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Et F*** luy-même avancera sa chute,

Ainsi qu'un petit Prince affamé de renom
Qui détruit ses Etats pour s'établir un nom,

Et n'a point de regret, quand sa fortune expire,
D'aller à l'Hospital allié de l'Empire.

Quand du plus grand des Rois, moins occupé de Mars,

La Scène, plus heureuse, attiroit les regards,

Nous l'avons veu cent fois, à nos Muses propice,

Ou par bonté se taire, ou louer par justice,
Prompt à se déclarer, s'il falloit estimer,

Et ne decidant point quand il falloit blâmer,
Seur dans ses jugemens, d'un goût dont l'excellence
Sur les mortels l'éleve autant que sa puissance.

Charmante modestie, adorable talent,

Qui des autres vertus rend l'éclat plus brillant,
LE PETIT-MAISTRE en vain te proscrit et te chasse!
Console-t'en, Louis sur son trône te place.

Mais ce qui me paroist encor plus odieux,
C'est que des préjugez foibles, capricieux,
Les sentimens d'un fou, sans fonds et sans étude,
Entraînent après eux la sotte multitude.
Un esprit du bas ordre, à servir destiné,
N'oseroit appeller d'un Juge galonné,

Et, rebelle au bon goût dont la voix le redresse,
Condamne la Nature aux fers de la Noblesse.

L'ame est une harmonie et s'unit à nos corps,
Pleine de notions des célestes accords,
Et, bien qu'épaissement d'argile enveloppée,
Souvent elle y répond quand elle en est frappée.
C'est ainsi que deux luts, montez à l'unisson,
Bien qu'on n'en touche qu'un rendent le même son,

Et de secrets ressorts chaque corde assortie
Par son tremoussement marque sa sympathie.

Vois ce jeune Ecolier, qui du pays des Loix
Descend à l'Opéra pour la premiere fois :

Il est charmé, son ame est toute dans l'oreille,
Elle y boit d'un seul trait Charpentier et Corneille;
Mais, si dans quelque endroit son admiration
Ose ouvrir un passage à l'exclamation:

« Tu l'entends (dit un sot), mon cher, et j'en atteste La grimace que fait le Marquis De Foneste. »

– Quel est donc ce Marquis ? Tu ne le connois pas ?
Comment! c'est un esprit qui fait icy fracas :
Des ouvrages galants c'est le grand Rhadamante,
Qui touche un clavesin, qui récite, qui chante,
Connoisseur, décisif, profond... qui parle au Roy...,
Enfin qui n'est en France inconnu que de toy.
LE PETIT-MAISTRE en foule à ses avis se range,
Soumis comme la Ligue est au Prince d'Orange. »
A ces mots, le respect enchaînant la raison,
L'Ecolier pour Medée est un autre Jason:

Dans les plus beaux endroits, aussi sourd qu'une roche,
Il est prest de tirer un sifflet de sa poche;

Il s'ennuye, il s'agite, et se laisse saisir
D'un repentir cuisant d'avoir pris du plaisir.

Doucement, dira-t'on, je vous trouve terrible,
Le sens avec le rang est-il incompatible?

Rien moins, plus d'équité se répand dans mes Vers:
J'ay connu Montausier, et je connois Nevers.

Lors qu'un Grand dès l'enfance est ardent à s'instruire,
Qu'à de sages conseils il se laisse conduire,

Par les secours, présens, la dépense, et le soin,
Il fait autant qu'un autre, il va même plus loin.
Mais quel est le Seigneur dont l'ardente jeunesse
Fléchisse sous le joug de l'austere sagesse,

Et, du mauvais exemple évitant le poison,
A ses sens corrompus ne livre sa raison?
A s'enrichir l'esprit trouvez-m'en qui s'adonne,
Et je vais vous trouver un dévot qui pardonne.

Tels qu'ils sont, toutefois, ignorants, dissipez,
Sans goût, sans jugement, foibles, préoccupez,
On respecte leur voix, et c'est d'un tel oracle
Que dépend aujourd'huy le destin d'un spectacle.

Boileau, Toy que le Ciel, dans tes plus jeunes ans,
Commit pour gourmander les sottises du tems,
A cette mission donne plus d'étendue :
Une noble victime à ta Satire est due;

Aux Perrains, aux Corras marque un juste mépris,
Bannis ces noms ingrats de tes nobles Ecrits,
Mais pousse sans quartier nos Censeurs temeraires,
Du haut de ton esprit tombe sur ces Corsaires !
Pour en purger nos mers livre un illustre assaut,
Et parmi les Cotins ne place point Perrault.

(Les Petits-Maistres, 1694.)

JEAN-FRANÇOIS REGNARD

Jean-François Regnard naquit à Paris, le 8 février 1655, sous les piliers des Halles, près de la maison où Molière était né trentetrois ans plus tôt. Encore en bas âge, il perdit son père et fut élevé par sa mère et ses sœurs. Après des études incomplètes, le jeune homme, riche d'une part de succession considérable, fut pris du désir de voyager : il poussa jusqu'à Constantinople et revint jouer gros jeu en Italie. En 1676, accompagné d'un gentilhomme picard du même âge que lui, M. de Fercourt, il parcourut de nouveau l'Italie pendant deux ans. C'est en ce voyage qu'il rencontra, à Bologne et à Naples, M. de Prade et sa femme, dont il devait faire l'héroïne de son petit roman de La Provençale. Ayant résolu de visiter Marseille, en attendant l'occasion de passer dans le Levant, les deux compagnons s'embarquèrent à Gênes sur un navire anglais, où par un curieux hasard ils se retrouvèrent avec M. et Mme de Prade. Le navire fut attaqué par deux corsaires algériens, à la hauteur des îles d'Hyères, et les passagers furent vendus sur le marché d'Alger, après deux mois de course. Après huit autres mois de captivité, Regnard et Fercourt, achetés par le même marchand, furent délivrés moyennant une rançon de 10.000 livres. Rentrés en France, les deux voyageurs ressentirent bientôt cette « ardeur de courir » qui venait de leur valoir la chaîne et l'esclavage. Le 21 avril 1681, accompagnés d'un nommé Nicolas de Corberon, ils partirent pour le Nord, parcoururent les Pays-Bas, le Danemark et la Suède et poussèrent jusqu'en Laponie, voyage dont Regnard a laissé une intéressante relation. De retour à Stockholm, ils se rendirent en Pologne pour être présentés à Jean Sobieski, et, prenant par la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne, ils furent à Paris au commencement de 1682. L'année suivante, Regnard acheta une charge de trésorier au Bureau des Finances et profita de ses loisirs pour s'adonner à la poésie dramatique. Ignorant encore son véritable génie, il débuta par la tragédie de Sapor, qui fut reçue mais non représentée.

Heureusement, dégoûté du tragique, il écrivit pour les Comédiens italiens, seul ou avec Dufresny, des farces comme Le Divorce, La Descente de Mezzetin aux Enfers, Arlequin, homme à bonnes fortunes, Les Chinois, La Foire Saint-Germain, etc. Mais les pièces qui l'ont rendu célèbre sont, avec le Joueur et le Légataire universel, Le Distrait, inspiré par le portrait de Ménalque dans La Bruyère, Démocrite amoureux, Le Retour Imprévu, Les Folies amoureuses et les Ménechmes. Le Légataire universel est de janvier 1708. Quoi qu'on en ait dit, le sujet n'est pas pris à la réalité, mais à une nouvelle de Marco Cadamosto de Lodi.

Au temps que Boileau avait fait paraître sa Satire X, contre les Femmes, Regnard riposta par une satire contre les Maris où il traitait Boileau de critique affaibli par les ans. Celui-ci s'en vengea en insérant le nom de Regnard dans l'Epitre X de 1695, côté des noms de Sanlecque et de Bellocq. C'est alors que Regnard écrivit le Tombeau de M. Boileau-Despréaux, qui ne fut pas publié du vivant des deux poètes. On les réconcilia: Boileau supprima lc nom de Regnard de son épître et Regnard lui dédia les Ménechmes:

Et pour disciple enfin si tu veux m'avouer,
C'est par cet endroit seul qu'on pourra me louer.

« Il n'est pas médiocrement gai», disait Boileau, à quelqu'un qui traitait devant lui Regnard de poète médiocre.

L'auteur du Légataire mourut le 4 septembre 1709, au château de Crillon, qu'il avait acquis avec les titres de capitaine du château de Dourdan et de bailli d'épée de Hurepoix. Il faut le dire, ses quelques satires, auxquelles l'on croit que Gacon a collaboré, s'il ne les a pas faites, ne donnent pas une très haute idée de celui que Voltaire considérait comme notre second auteur comique, et si le Légataire universel eût été écrit de la même encre, il n'eût pas rendu son auteur plus célèbre que Sanlecque et Bellocq, à côté desquels Boileau le voulait ranger dans un moment d'humeur.

BIBLIOGRAPHIE. Euvres, Paris, 1708, 2 vol. in-12; Euvres complètes, Paris, 1789-1790, 6 vol. in-8; Euvres, Paris, Lequien, 1819-1820, 5 vol. in-12; Euvres, Paris, Crapelet, 1822, 6 vol. in-8;- Théâtre et Euvres choisies, Paris, librairie Garnier, éd. Fournier, 2 vol. in-18, et Louis Moland, 1 vol. in-18, s. d.

A CONSULTER.

XXI.

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BEFFARA, Recherches sur la naissance et la mort de J.-Fr. Regnard. COMPAIGNON De MarchévillE, Bibliographie et Iconographie des Euvres de REGNARD, Paris, 1877. — D.-L. GILBERT, Eloge de REGNARD, Paris, 1859. SAINTE-BEUVE, Causeries du

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