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La vache grasse pèse 320 kilog., soit par kilogramme du poids vivant, 0,68, ou 1,23 poids net. C'est environ le prix de vente. La pulpe ressort donc à une valeur inférieure à celle que nous venons de noter tout à l'heure. Cela tient, en grande partie, au prix d'achat trop élevé de la vache maigre.

Les autres procédés d'alimentation qui nous restent à voir sont plus avantageux.

Alimentation avec les fourrages hachés et fermentés. Le mode d'engraissement qui comporte une manutention pour ainsi dire culinaire de la nourriture a été d'abord expérimenté en Allemagne, où il a pris une certaine extension. Quelques en. graisseurs des environs de Lille l'ont adopté, mais c'est chez M. Decrombecque, à Lens (Pas-de-Calais), qu'il est surtout pratiqué en France sur une grande échelle. La méthode dont il s'agit a l'avantage de comporter des mélanges qui permettent de faire manger aux animaux des aliments qu'ils auraient repoussés sans cela, et de leur faire absorber une plus grande masse de substances nutritives, ce qui est surtout important dans la pratique de l'engraissement. Nous emprunterons 'à M. Lefour le résumé qu'il a donné des opérations exécutées à Lens.

« M. Decrombecque, dit-il, a organisé tout un atelier pour la manutention de la nourriture de ses animaux. Il y consacre le rez-de-chaussée et les deux étages d'un petit bâtiment; à l'étage le plus élevé, un hache-paille coupe les pailles et le foin, qui tombent dans un cylindre de tôle métallique à trous d'un millimètre carré, où ils se débarrassent de la poussière. Au premier étage, où est placé ce blutoir, on fait immédiatement le mélange du coupage avec des tourteaux de lin, de colza et d'œillette, moulus et unis ensemble dans la proportion d'un tiers pour chaque espèce. A cet effet, le coupage mis en petits tas est aspergé d'eau tiède, brassé, réuni en un tas plus gros, qu'on brasse encore après l'avoir saupoudré de tourteau; le tout tombe, par une trappe, au rezde-chaussée, dans des cuves à fermentation en briques cimentées de 2 mètres de long sur 1,20 de large, et 1 mètre de profondeur. Le mélange, tassé, puis pressé sous un couvercle, reste quarante huit heures en fermentation.

« On modifie quelquefois ce procédé; on fait un bouillon avec un tiers de farine de graine de lin et deux tiers d'autres farines (de féveroles principalement) bouillies dans environ 10 litres d'eau par kilogramme de farine. L'eau étant portée à l'ébullition, on y jette la farine peu à peu en ayant soin de remuer; on retire le bouillon au bout de quinze à vingt minutes, et on arrose le coupage mêlé de pulpe et préalablement tassé dans les cuves. La ration d'un boeuf de travail est d'environ 1 kilog. de farine et tourteau, 3 kilog. de coupage, 18 à 20 kilog. de pulpe; à l'engrais, il reçoit une ration journalière dans laquelle le tourteau s'élève, du premier au troisième mois, de 1 à 2 kilog.

« Cette méthode, fait observer M. Lefour, a beaucoup d'analogie avec les procédés anglais de Warne, Marshal et autres cultivateurs anglais; préconisée beaucoup en Angleterre par quelques écrivains, elle est repoussée par d'autres, qui lui reprochent l'excédant de travail et de dépense qu'elle occasionne, sans apporter toujours une compensation suffisante dans le résultat.

<< On ne doit pas oublier, toutefois, ajoute l'auteur, que depuis longtemps, en Flandre, on connaît l'usage du brassin, qui a la plus grande analogie avec cette espèce de bouillon; il se composc en effet à peu près des mêmes éléments: paille d'orge hachée, menues pailles de froment, siliques de colza; le tout bouilli dans l'eau et additionné de farine d'orge, de féveroles, de pois, etc. On allonge encore ce bouillon avec des résidus de distillerie. Nous avons vu administrer à une vache à l'engrais une soupe ainsi composée pour une ration journalière : pommes de terre, 5 kilog.; betteraves, 3 kil.; fèves cassées, 1,5; foin haché, 0,50; le tout cuit dans 1 hectolitre d'eau environ. »>

M. Decrombecque estime la ration journalière d'un bœuf à l'engrais du poids vif de 600 kilog., à 1′,30. C'est 0',40 de moins par jour que celle qui a été prise pour type plus haut. Pour un engraissement de 122 jours, comme celui que nous avons cité, c'est donc une économie nette de 48′,80 par bœuf engraissé. Cela mérite d'être pris en considération.

Alimentation avec des matières grasses. L'adjonction de substances dans lesquelles le principe gras domine, à la ration des animaux à l'engrais, est une pratique dont les effets sont trop faciles à comprendre, pour qu'il soit nécessaire de les expliquer ici. On peut donc dire qu'il n'y a pas de ration d'engraissement complète sans que ces substances en fassent partie. Mais il importe à cet égard de se tenir dans de certaines limites, pour deux raisons: la première, c'est que les matières grasses sont de difficile digestion, que l'appareil digestif n'en peut absorber, dans un temps donné, qu'une quantité limitée, et qu'au delà de cette quantité elles fatiguent les organes et détermi nent sûrement une purgation qui s'oppose à l'absorption des autres matières nutritives avec lesquelles elles sont associées; la seconde raison, c'est qu'elles communiquent à la viande une qualité médiocre.

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d'août, qui y sont soumis. On les rafraîchit d'abord en leur faisant consommer sur place des regains, puis à la fin de l'automne ils sont rentrés à l'étable, où ils reçoivent des fourrages secs, des racines, etc. Les bœufs trembleurs des embouches de la Normandie sont également soumis au régime de l'engraissement mixte.

Dans le Limousin, où ce régime est presque général, les bœufs sont mis au mois d'août dans des prairies de bonne qualité, qui ont été fauchées

Dans la composition des rations que nous avons déjà vues, pour le régime de l'étable, les aliments gras ont le plus souvent atteint une proportionen saison, et qui sont en ce moment couvertes qu'il ne serait peut-être pas sage de dépasser, dans la pratique usuelle. Pour les animaux de concours, c'est différent. Voici comme exemple d'une opération de ce genre, le détail des consommations d'une vache engraissée par M. Cousin-Pallet, agriculteur de la région du Nord, et dans lesquelles raves sont remplacées par des farineux, orge,

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Quant à l'emploi des huiles végétales ou animales en nature, il a été essayé et même préconisé; mais il faut considérer cela comme devant rester dans le domaine de l'expérimentation. On s'étonne de trouver dans des ouvrages sérieux le récit fait, et reproduit par quelques journalistes aventureux, de l'usage de l'huile de foie de morue fraiche dans l'engraissement des animaux. Relativement aux huiles végétales, il sera nécessairement toujours plus avantageux d'administrer en nature les graines ou les fruits d'où elles sont extraites. Il y a de la manutention de moins et de la matière alimentaire de plus.

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d'un regain vigoureux. Ils y demeurent constamment et n'en sortent que vers la fin d'octobre. A partir de cette époque, ils reçoivent à l'étable 12 à 15 kilog. de foin et 15 à 35 kilog. de raves, par jour et par tête, durant un mois. Passé ce temps,

seigle ou sarrasin. Chaque bœuf en reçoit 3 kilog. en buvées chaudes.

Du reste, quelle que soit sa pratique, qui varie beaucoup suivant les localités, le mode d'engraissement dont il s'agit est toujours une combinaison des deux autres que nous avons déjà étudiés, soit qu'ils se succèdent l'un à l'autre complétement, soit qu'ils alternent pendant toute la durée de l'opération, de telle sorte que le régime du pâturage soit pratiqué durant une partie de la journée, et celui de l'étable pendant le reste du temps. Ce dernier usage, on le comprend sans peine, n'est pas favorable à la rapidité de l'engraissement. Il nécessite des déplacements et un exercice qui activent les déperditions. Mais il n'existe que dans autrement. Il faut bien toujours se conformer aux les contrées où il n'est pas encore possible de faire nécessités de l'économie rurale, sauf à faire des efforts pour les modifier.

En somme, de tous les systèmes d'engraisse-
ment mixte, le préférable est celui qui se com-
mence d'abord au pâturage, puis se termine en-
suite à l'étable, soit par le procédé dit de pouture,
soit avec des résidus ou des fourrages fermentés,
additionnés à la fin de matières grasses et fari-
neuses. Le résultat économique de ce genre de
spéculation a été établi par M. Chamard pour les
engraisseurs du Charolais, qui s'y livrent concur-
remment avec celui des embouches, de manière
de la manière suivante :
à engraisser durant toute l'année. Il se raisonac

Achat ou valeur du bœuf en mai ou juin...... 325 f. .
Interêts, huit mois & 5 p. 100.......

Pâturage dans un pré de deuxieme qualité, à 3 bœufs
pour 2 hect., l'herbe valaut 100 fr. par hectare..
Foin pendant trois mois, à 10 kilogr. par jour et à
raison de 40 fr. les 1,000 kil...
Betteraves, 40 kilogr. pendant trois mois, soit
3,600 kil. à 12 fr.....

Farine d'orge ou menus grains, 6 litres pendaut
60 jours, soit 3,60 à 10 fr...........
Tourteaux, 2 kilogr. pendant 60 jours, soit 120 kıl.
à 20 fr........

Pansage et soins, 90 jours à 12 cent.........
Paille compensée par le fumier (mémoire)...................

10 83

66 66

36 "

43 20

36

24 " 10 80

TOTAL des dépenses...... 5521.49

L'animal gras pèse environ 900 kilog. et revient par conséquent à 1 fr. 20 centimes le kilog. de viande nette. Il est vendu sur le pied de 1 fr. 25 à 1 fr. 30. C'est un joli bénéfice, comme on voit, en

outre de ce que les fourrages sont payés à leur | deuxième période d'un même engraissement, tout valeur.

Usage du sel dans l'engraissement. — La question de l'utilité du sel dans l'alimentation des animaux a été fort controversée. De nombreuses expériences ont été faites et ont semblé donner des résultats contradictoires. Les considé rations purement spéculatives ont joué dans cette question un plus grand rôle que les déductions formelles d'observations positives. Toutefois, il est un fait acquis, c'est que l'addition du sel aux fourrages avariés prévient leurs mauvais effets, et que cette substance stimule dans tous les cas l'appétit des animaux et les porte à consommer des aliments qu'ils eussent refusé ssans elle. A ce titre, le sel doit donc être considéré comme un utile condiment dans les opérations d'engraissement.

Nous l'avons vu plus haut faire partie de la ration d'une manière régulière, dans la pratique de M. Demesmay. De leur côté, MM. P. Joigneaux et L. Delobel rapportent qu'on a l'habitude d'ajouter au lait consommé par les veaux d'engrais, dans la Campine belge, de l'urine humaine, à raison de 3 litres pour 6 litres de lait, et ils considèrent avec raison cette pratique dégoûtante comme pouvant être avantageusement remplacée par l'usage de l'eau salée.

On a contesté les avantages de l'addition du sel aux aliments, en se fondant sur des expériences dans lesquelles ce condiment, ajouté dans la

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en provoquant une absorption plus considérable de fourrages, n'a pas déterminé un accroissement en poids aussi élevé que celui qui s'était produit dans la première période. On sait trop bien que pour une quantité donnée d'aliments, la proportion du poids vif acquis va diminuant à mesure que le poids total augmente, pour que ce résultat soit surprenant. Et l'expérience ne prouve, dans ce cas, rien de ce qu'on a voulu lui faire prouver. Ce n'est pas en comparant l'un à l'autre les résultats des deux périodes successives, de celle qui ne comportait pas l'usage du sel avec celle qui le comportait, que l'on pouvait arriver à une conclusion rigoureuse. Ce sont deux périodes de même nature, les premières ou les dernières, avec ou sans sel, qu'il fallait comparer. Cela n'a pas été fait. Il ne reste donc, pour juger la question, que la préférence accordée par les animaux de l'espèce bovine aux aliments salés, et cela la tranche suffisamment en faveur de l'utilité du sel. Il n'y a de doute que sur la dose. C'est une affaire toute pratique, qui ne peut être indiquée d'une façon absolue, et qui ne sera résolue que par le tâtonnement.

Pour compléter ces études sur l'engraissement, il y aurait encore à indiquer les moyens d'apprécier la marche de l'opération et les qualités des animaux gras. Ces moyens feront plus loin l'objet d'un chapitre spécial, avec ce qui concerne la boucherie. A. SANSON.

CHAPITRE XX

DE L'ESPÈCE OVINE

Comme le bœuf, le mouton appartient à l'ordre, des ruminants, dont les caractères généraux ont été précédemment indiqués. Il est une des espèces du genre Ovis, qui en compte plusieurs autres, notamment les mouflons d'Afrique et d'Amérique, O. tragelaphus, ou mouton barbu, et O. montana, l'argali, O. ammon, et le mouflon ordinaire, O. aries. Les naturalistes considèrent le mouton domestique, O. A. domestica, comme une modification de ce dernier. Mais c'est là une pure hypothèse; car aussi loin que l'on puisse remonter dans le temps, à l'aide des documents écrits, des monuments de l'antiquité et des traditions, les civilisations les plus reculées nous montrent toujours le mouton à côté de l'homme. Quand on veut s'en tenir à des données positives, on est donc forcé d'admettre que le mouton a toujours été mouton, de même que le mouflon a toujours été tel, et de reléguer les dissertations sur leur origine commune dans le domaine de l'imagination, où la science n'a rien à voir.

damment des attributs propres à l'ordre des ruminants, appareil dentaire, estomac multiple, pied fourchu, par une tête busquée et dépourvue de mufle, des oreilles longues et étroites, des cornes creuses, anguleuses et ridées transversalement, contournées en spirale et persistantes; par un menton dépourvu de barbe; par deux mamelles inguinales seulement, et, entre les deux doigts du pied, un canal dit biflexe.

La peau est recouverte d'un poil grossier mêlé d'un duvet tendre qui, par la culture, a pris plus ou moins de développement, de manière à se substituer au poil, et constitue la laine ou la tojson. Dans certaines races, ce poil a disparu complétement, tandis qu'il persiste dans les autres, où il est connu sous le nom de jarre. Droit et rude, il n'est pas susceptible de se feutrer, et il communique par ce fait à la laine à laquelle il est mêlé des qualités inférieures.

Les peuples civilisés de diverses parties du monde ayant utilisé de tout temps le mouton

Le type du genre Ovis est caractérisé, indépen- domestique, il en est résulté la formation d'une

| celle du bœuf, en économie sociale, est de servir à l'alimentation de l'homme. Seulement ici le problème est un peu moins compliqué. Tandis qu'avant d'arriver à cette destination dernière les animaux de l'espèce bovine ont encore durant leur vie à fournir deux genres de services, ainsi que nous l'avons vu; tandis que ces animaux, disons-nous, dans la situation présente de notre économie rurale, doivent être pour la plupart des cas des auxiliaires dans les travaux de culture, ou produire du lait à la consommation, ceux de l'es

avant d'atteindre le terme de leur vie. En général, on n'utilise que leur toison. C'est très-exceptionnellement que le lait des brebis est employe à la fabrication des fromages, dans certaines localités.

multitude de races, dues aux modifications imprimées au type par les circonstances différentes dans lesquelles il s'est reproduit. Weckherlin a dit avec raison que si l'on excepte le chien, aucun animal n'a subi des modifications aussi profondes et aussi multipliées que le mouton. L'homme se l'est tellement assujetti, grâce à la souplesse de son caractère, et en quelque sorte à la passivité de ses instincts, qu'il est parvenu à le faire prospérer dans des conditions diamétralement opposées à celles qui semblent le plus en rapport avec son organisation. Très-agile, en effet, le mouton recherche de pré-pèce ovine n'ont qu'une seule fonction à remplir férence, lorsqu'il est abandonné à lui-même, les pays montueux et secs, où il vit en troupe, broutant les herbes fines et aromatiques, les feuilles tendres des racines, quelques plantes astringentes, et fuyant l'humidité. Cependant nous le voyons maintenant atteindre son plus haut degré d'utilité, sous l'influence d'une alimentation prise dans des pâturages succulents, dans des champs de turneps, sous un climat presque constamment brumeux: tant est grande, sur les êtres organisés, la puissance d'une longue civilisation, qui les façonne pour ainsi dire au gré de ses besoins. Toutefois les caractères les plus variés acquis par l'espèce dans les diverses conditions où elle se multiplie, sont exclusivement relatifs à ses formes extérieures, et surtout aux dépendances de la peau, au système pileux et aux cornes qui en font partie. L'alimentation en particulier, et au reste toutes les circonstances du milieu ambiant, comme dit Geoffroy Saint-Hilaire, exercent sur le développement de ces appendices du système tégumentaire une influence capitale, ainsi que nous en donnerons par la suite de nombreuses preuves. Et c'est cette influence, dirigée par nous dans le sens du résultat que nous voulons en obtenir, pour satisfaire nos besoins, qui est le plus puissant instrument de notre action. Nous ne faisons en cela qu'imiter, en la perfectionnant, l'opération de sélection naturelle en vertu de laquelle se sont produites les anciennes races que nous utilisons, avec les caractères distinctifs de leurs toisons, dont la laine a toujours abrité les plus anciens peuples contre les rigueurs du froid.

Les animaux de l'espèce ovine prennent diverses dénominations, dans la pratique de leur entretien domestique, suivant leur âge et leur sexe. Ces dénominations sont nées, sans aucun doute, de la nécessité de mettre de l'ordre dans la direction et la conduite des troupeaux qu'ils composent. Jusqu'à la fin de la première année, le mâle est appelé agneau, la femelle, agnelle. Depuis un an jusqu'au moment où ils sont admis à se reproduire, le premier est dit antenois ou antenais, la seconde est antenoise ou antenaise. A partir de ce moment, le mâle est un bélier, la femelle, une brebis. Les individus privés de leurs testicules, et par conséquent neutres, sont désignés sous le nom commun de moutons. Les femelles stériles sont en quelques lieux appelées moutonnes.

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Mais, pour être unique, la fonction économique en vertu de laquelle le mouton sert à la production de la laine, n'en est pas moins de première importance. On ne prévoit point le moment où cette fonetion pourra devenir accessoire, du moins pour l'ensemble de l'espèce. L'usage de la laine, dans les sociétés civilisées, est tout aussi indispensable que celui de la viande; et pour ce qui concerne le mouton en particulier, on comprendrait mieux qu'il fût possible de se passer de l'usage de sa chair, que de celui de sa toison.

Les espèces alimentaires, en effet, sont assez nombreuses parmi nos animaux domestiques. Il est admissible que la viande de mouton soit suppléée par celle de l'une d'entre elles, dans la consommation générale, sans qu'il en résulte une trop grande perturbation dans l'économie des sociétés. On ne voit point au contraire comment l'emploi de la laine pourrait être tout à coup remplacé, tant sont multiples et essentiels les usages auxquels cette matière première est utilisée. Au même titre que la viande, la laine est un objet de première nécessité. L'irréflexion, qui porte à ne saisir jamais qu'un seul côté des choses, peut bien faire négliger cette considération capitale. En restreignant la question à un cas particulier, elle peut ainsi conduire à des conclusions absolues, qui, dans quelque sens qu'elles soient tirées, sont également erronées. L'étude approfondie de cette question la fait voir sous un tout autre jour. S'il était absolument nécessaire d'opter entre les deux fonctions économiques de l'espèce ovine, afin de décider sur le point de savoir quelle est celle qui doit être placée en première ligne, il est bien certain que la production de la laine devrait obtenir le pas sur celle de la viande, du moins en thèse générale. Ils ne sont donc point dans le vrai, ceux qui concluent autrement, après s'être en ces termes posé la question. A moins de nier légèrement, et au mépris de toute notion économique, la prémisse que nous avons tout à l'heure énoncée, ils seraient bien forcés d'en convenir.

Mais le sujet est tel, fort heureusement, que la conclusion opposée est également loin de la vérité. Ainsi qu'elle se présente aux méditations de l'économiste, l'exploitation du mouton n'est pas plus exclusive au point de vue de la laine qu'à celui de la viande. L'espèce comporte au mème I a destination finale du mouton, de même que titre l'une et l'autre destination. Il en est, dit

FONCTIONS ÉCONOMIQUES DE L'ESPÈCE OVINE

M. Lecouteux, de la question ovine comme de toutes les questions agricoles et zootechniques de notre pays: c'est une question complexe, où les climats, les sols et les débouchés jouent un rôle qu'on ne saurait trop étudier sous ses faces multiples. La France, fait remarquer aussi le même auteur, c'est, à tout prendre, par la variété du climat, du terrain, des récoltes, des bestiaux, l'Europe en miniature. C'est dire que chacune des deux aptitudes prédominantes y trouve sa raison économique dans des circonstances données, et qu'il ne serait pas plus raisonnable de proscrire l'une que l'autre. Comme pour le travail du bœuf, c'est une question de système de culture. Ici, la production de la viande doit être, dans une certaine mesure, sacrifiée à celle de la laine; là, c'est le contraire qui doit avoir lieu; ailleurs, et c'est le cas des situations intermédiaires, les deux aptitudes se concilient parfaitement.

aptitude première et au bénéfice de la nouvelle. Nous en verrons des preuves en faisant plus loin l'histoire de ces races. C'est ce mouvement qu'il s'agit de suivre en le secondant, parce qu'il s'accompagne nécessairement de changements corrélatifs dans les débouchés des produits. Il s'opère sans secousse, entraînant autour de lui tout ce qui en dépend. Les substitutions brusques, arrivant avant que les conditions de leur succès soient préparées, mènent infailliblement à des échecs. Les considérations économiques, ici comme pour toutes les espèces animales produites par l'agriculture, dominent impérieusement toutes les opérations.

Dans les pays que nous appellerons les contrées à laine, parce que, dans l'exploitation de l'espèce ovine, la toison y est le produit principal; dans ces contrées, on ne pourrait point brusquement faire du mouton par-dessus tout un animal de boucherie, sans qu'il en résultât aussitôt un temps d'arrêt fatal pour le revenu du sol, et un grand amoindrissement de la richesse publique. Ceux qui rêvent de pareilles révolutions ne voient, encore une fois, qu'un seul côté de la question, et ce n'est pas, à coup sûr, le côté économique. Dans ces matières, et peut-être bien aussi dans toutes les autres, d'ailleurs, - le progrès s'effectue par évolutions, non par révolutions.

Il y a antagonisme, chez le mouton, entre l'aptitude à se couvrir d'une toison formée de laine très-fine, et celle à fournir une grande quantité de bonne viande. L'alimentation copieuse, nécessaire pour le développement de cette dernière,

On s'est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, du problème de cette conciliation. On a cherché, de divers côtés, à créer le mouton unique qui conviendrait également à toutes les situations et réaliserait à la fois, dans une mesure suffisante, les deux aptitudes de l'espèce. Plusieurs personnes sont même fortement convaincues qu'elles y ont réussi. C'est cette tendance qui a présidé aux croisements de toutes sortes, aux mé- | langes multiples entre quelques races, dont chacune, dans son état de pureté, présente l'une des aptitudes à un haut degré; c'est de là que sont sortis les métis que l'on présente maintenant comme des types améliorateurs. Le moment n'est pas encore venu de nous expliquer sur cette pré-grossit normalement le brin de laine, en stimutention. Nous la discuterons plus loin. Constatons seulement le fait dès à présent, en faisant remarquer, à notre point de vue actuel, que l'économie rurale de la France ne comporte point l'adoption d'un type unique de l'espèce ovine, capable de fournir à la fois de la belle laine en abondance et beaucoup de viande. Il est permis de prévoir sans doute ce résultat pour un avenir plus ou moins éloigné. Le progrès agricole aura pour consé quence de niveler les situations et de nous mettre en position de pouvoir lutter victorieusement contre les influences du climat; mais de telles conditions ne se réalisent point de prime saut. Elles sont l'œuvre du temps. Elles dépendent de réformes que la zootechnie doit suivre, et dont elle doit profiter, mais qu'il ne lui appartient pas de devancer, sous peine de demeurer dans le domaine de la spéculation pure, où les hommes pra-prendre qu'elle puisse faire l'objet de la moindre tiques ne sauraient consentir à s'aventurer.

Sous l'empire de ces circonstances progressives, dont le mouvement entraîne tout ce qui dépend de l'exploitation du sol, les fonctions économiques de l'espèce ovine ont déjà subi de notables changements. La production des laines fines, par exemple, qui est l'apanage des terres en période pacagère, disparaît devant le progrès, à mesure que celui-ci fait substituer aux pâturages une culture plus avancée. Les races qui fournissent ces laines reculent vers des régions moins avancées, et font place à d'autres plus propres à tirer parti d'une nourriture plus abondante, pour la transformer en viande, ou bien elles se modifient au détriment de leur

lant davantage l'organe de sa sécrétion. Les progrès de la culture, qui augmentent les ressources alimentaires, doivent donc agir infailliblement sur ces deux aptitudes opposées, en diminuant l'une au bénéfice de l'autre. Or, comme ces progrès ne bornent pas seulement leur influence au résultat qui vient d'être dit, mais l'exercent au contraire sur toutes les activités au milieu desquelles ils s'effectuent, les conditions économiques se modifient en suivant des transitions insensibles, parce que l'harmonie ne cesse pas un seul instant d'y exister. Là se trouve la donnée capitale de toute question d'économie politique, dont la notion féconde n'a point encore suffisamment pénétré dans les esprits. A la lumière de cette notion, la question qui nous occupe, par exemple, devient d'une clarté éblouissante, et l'on a peine à com

controverse, de la part des hommes capables de quelque réflexion.

Ainsi, il apparaît, quand on observe sous l'inspiration de la donnée économiquedont il s'agit, qu'aux pays à culture intensive appartiennent les races à viande de l'espèce ovine; au système pasforal, les races à laine fine; aux situations intermédiaires entre ces deux extrêmes, celles qui réunissent, dans une moyenne mesure, les deux aptitudes. Et il est remarquable que les conditions de débouché sont en parfait accord avec cette division. Dans le voisinage et au milieu même des pays où fleurissent les cultures avancées et intermédiaires, se trouvent les grands centres de con

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