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il y a nécessité absolue de s'en servir en pareil cas, il faut rouler énergiquement le sol.

Les fumiers courts, divisés, désagrégés, ramollis, sont de la nourriture toute préparée, facile à dissoudre, n'ayant besoin que d'un peu d'eau pour se convertir en purin, en séve, qui entre dans les plantes par les racines et fonctionne instantanément. Ils conviennent aux terres légères qu'ils ne soulèvent pas, aux récoltes qui ont souffert de l'hiver et qui demandent à être relancées vivement, aux végétaux qui gagnent à un développement rapide, comme, par exemple, aux plantes fourragères, aux plantes industrielles et aux légumes du potager. Pour peu que les eaux pluviales ou les arrosages artificiels les secondent, ces fumiers font merveille; mais comme ils agissent vite, ils s'usent vite aussi, et d'autant plus qu'ils se trouvent à l'état de beurre noir.

Les hommes de science, qui ne sont pas toujours guidés dans leurs appréciations par des connaissances pratiques suffisantes, condamnent ces fumiers consumés, à cause des pertes en azote qu'ils éprouvent avant d'arriver à cet état de décomposition. En effet, il y a dégagement de carbonate d'ammoniaque, mais il est douteux que cette perte ait l'extrême importance qu'on lui accorde. Pour notre compte, nous redoutons avant tout l'action dissolvante des eaux pluviales sur les fumiers très-pourris. C'est, à nos yeux, la cause principale de leur appauvrissement. Que l'azote soit utile aux plantes, nous ne songeons pas à le contester, mais avant d'en faire le titre presque absolu de la puissance des engrais, il serait bon de prouver que l'atmosphère n'en fournit point assez à l'état assimilable. Or, si la question est soulevée, elle n'est pas encore vidée. En attendant qu'elle le soit, nous dirons que les hommes de science ont conseillé l'emploi de plusieurs moyens propres à empêcher la déperdition du gaz ammoniacal qui se forme dans les fumiers en fermentation. Les uns recommandent de les saupoudrer de plâtre, afin de convertir le carbonate d'ammoniaque volatil en sulfate fixe, par voie de double décomposition; les autres recommandent l'emploi du sulfate de fer ou couperose verte pour atteindre le même but; ceux-ci se contenteraient d'un arrosage avec un mélange d'eau et d'acide sulfurique ou huile de vitriol; ceux-là nous assurent qu'il suffit de placer au-dessus des tas de fumier une bonne couche de terre. Ce dernier moyen est le plus simple et le plus économique, et, à ce double titre, nous lui accorderions la préférence. Quelques cultivateurs d'élite ont recours, néanmoins, au plâtre en poudre ou à une dissolution de sulfate de fer, et affirment d'excellents résultats. Nous voulons bien les croire sur parole, mais nous ne cautionnons pas ces dires. Ces cultivateurs ont suivi à la lettre les prescriptions des chimistes et nous ne les en blàmons point; seulement, nous ferons observer que ces mêmes chimistes, d'abord très-partisans du plâtrage ou du sulfatage des fumiers, en sont arrivés à exprimer un doute sur la pratique qu'ils avaient recommandée, en connaissance de cause, pensions-nous. Ils se demandent aujourd'hui, si en même temps que l'on fixe l'ammoniaque, on ne convertit pas des carbonates de potasse et de

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soude, très-actifs, en sulfates de potasse et de soude qui seraient inertes, c'est-à-dire d'un effet nul sur la végétation. S'il en était ainsi, on perdrait d'un côté ce que l'on gagnerait de l'autre, et nous devrions, bon gré mal gré, mettre en doute l'exactitude des résultats d'expériences comparatives que l'on dit avoir été faites.

Quoi qu'il en soit, nous ajouterons que la déperdition des gaz ne préoccupe guère la masse des cultivateurs, et que si beaucoup d'entre eux recherchent les fumiers longs, beaucoup aussi recherchent les fumiers courts ou très-décomposés. Nous en savons même qui favorisent de leur mieux la décomposition.

Il existe dans la Vendée, notamment aux environs de Parthenay, un usage agricole que nous ne rencontrons nulle part ailleurs. La Vendée n'est pas, nous le savons, un modèle à offrir aux cultivateurs avancés ; ce n'est pas la plus riche parure de notre écrin ; mais, après tout, elle a ses pratiques agricoles à elle, ses traditions de la ferme, et, parmi ces pratiques et ces traditions, quelquesunes ne sont pas à dédaigner.

Les cultivateurs vendéens ne repoussent pas absolument les fumiers pailleux, autrement dit les fumiers d'été, mais ils ont le bon esprit de ne s'en servir que dans les terres argileuses ou fortes. Toutes les fois qu'ils ont affaire à des sols légers, à ces terrains granitiques, par exemple, qui reposent sur un sous-sol très-compacte, comme il n'est pas rare d'en rencontrer dans les Deux-Sèvres, ne leur parlez plus de fumier d'été. Ils le veulent pourri, non pas aux deux tiers, mais complétement, à l'état de terreau. Que les gaz s'en aillent où bon leur semble, peu leur importe; les sels restent, et ils ne demandent rien de plus. Nous exposons le fait; nous ne le jugeons pas.

Or, c'est afin d'arriver à ce résultat, d'amener une décomposition complète et de diviser leur engrais à l'extrême, que les cultivateurs de ce pays ont recours à l'opération du piardage.

Cette opération consiste à travailler les fumiers comme on travaille les composts, à les couper par tranches minces, au moyen d'une pioche étroite et bien tranchante, appelée piarde, à les bouleverser ainsi trois, quatre et même cinq fois, avant de les conduire aux champs. Un cultivateur qui ne piarde pas son fumier en temps voulu, ou qui, pour aller plus vite en besogne, le piarde grossièrement, est un homme qui se discrédite. On dit qu'il n'a pas d'amour-propre, pas de cœur, et qu'il se ruinera en même temps qu'il ruinera la ferme.

Le cultivateur soigneux commence par mettre en tas son engrais d'écurie et d'étable, non dans un trou, mais sur le point le plus élevé de la cour et sur pavés. Dès que le fumier est en pleine fermentation et que la litière peut être coupée, on saisit la piarde, on découpe le tas par tranches minces, et à mesure que ces tranches tombent, on les divise, on les secoue, puis, on forme un nouveau tas derrière soi, au moyen de la cabeuche. C'est une large fourche en bois, à cinq ou six dents longues et fortes. Le manche et la traverse sont en bois léger, mais les dents, qui fatiguent beaucoup, sont façonnées avec de l'acacia, du

prunellier ou du poirier. Le nouveau tas de fumier est disposé en forme de carré long assez étroit et se termine par le haut à la manière d'un toit. Les cultivateurs de la Vendée savent combien les pluies sont nuisibles à l'engrais, et c'est en vue de prévenir les lessivages qu'ils font des toitures rapides à deux pans. Alors même que la pluie viendrait les surprendre au travail, ils n'ont pas d'inconvénients à redouter, attendu qu'ils élèvent leur fumier par parties jusqu'au sommet et complètent leur besogne dans le détail même de l'opération. S'ils ne peuvent en conduire qu'une longueur de 2 mètres, ils ne vont pas au delà et ne s'arrêtent qu'après avoir fini le toit; le lendemain ou le surlendemain, ils ajouteront 2 mètres aux 2 premiers, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le tas primitif y ait passé.

Supposons que le piardage ait été commencé en mars, on le renouvellera en mai, puis en juillet, tous les deux mois, et le dernier sera exécuté dix ou douze jours au moins avant d'employer l'engrais, afin de lui donner le temps de reprendre de la chaleur et de revenir à l'état de beurre noir. Le moment des semailles d'automne arrivé, on démolit le tas et on le charge sur de longues charrettes planchéiées au fond et sur les bords, à une certaine hauteur. On y attelle quatre ou huit bœufs, selon que le charroi est facile ou difficile.

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destinés aux pommes de terre et aux regains des prairies naturelles se rapproche beaucoup du piardage vendéen. On les prépare en plein air, sous forme de tas très-allongés, peu larges et terminés en toit. On les retourne deux ou trois fois avec la fourche de fer, afin d'en bien mêler les parties et d'en compléter la décomposition. Il ne sera peutêtre pas inutile d'ajouter que nulle part les engrais ne sont aussi recherchés et aussi bien soignés que chez les Campinois.

Voilà des faits; nous les abandonnons à la théorie. Elle peut les critiquer, non les nier.

Mélange des fumiers. Nous avons, en ce qui concerne le mélange des fumiers dans les cours de ferme, une manière de voir qui n'est pas celle de tout le monde. Ainsi : nous croyons que dans les exploitations de quelque importance, il y aurait de l'avantage à ne point confondre les engrais en un seul tas, pêle-mêle, les uns parmi les autres, et qu'il vaudrait mieux les réunir en tas séparés, selon la nature de chacun d'eux. Voici nos raisons:

Les cultivateurs, où que vous les preniez, s'accordent à reconnaître que les fumiers ne se ressemblent point du tout au tout et ne donnent pas les mêmes résultats.

Ils disent que le fumier de cheval est excellent pour les terres froides et argileuses, qu'il ne convient pas aux terres sèches et légères des climats doux, qu'il convient, au contraire, aux terres lé

veille sur le froment, mais qu'il faut bien se garder de l'employer dans la culture du lin.

Autrefois, l'engrais de ferme, ainsi manipulé et divisé, était répandu à la main. Sept ou huit personnes, et même plus, suivaient la charrette, l'ougères des climats froids et humides, qu'il fait mervraient par derrière, remplissaient des paniers et semaient le fumier comme on sème les engrais artificiels. Aujourd'hui, la vieille méthode est abandonnée; deux honimes, montés sur la charrette et armés de la fourche en bois, éparpillent l'engrais aussi régulièrement .qu'on peut le désirer. Aussitôt après, on sème la graine et l'on recouvre avec la charrue.

Ils disent que le fumier de mouton produit également d'heureux effets dans les sols humides, qu'il ne vaut pas celui de cheval pour les céréales, mais qu'en revanche, il vaut mieux que ce dernier pour les colzas, navettes, moutardes, choux et rutabagas. C'est aussi notre avis.

Ils disent que le fumier de vache ou de bœuf est parfait dans les terres sèches, et que c'est, entre tous, le seul qui n'altère pas la saveur des produits délicats.

les prés secs au printemps; ils ajoutent même que cet engrais est délicieux pour le chanvre et le lin, et qu'il jouit, en outre, de l'avantage de déplaire aux taupes.

Cette manière de préparer les engrais ne s'accorde guère, on le voit, avec la théorie qui détermine la valeur d'un fumier d'après la quantité d'azote qu'il contient. A ce point de vue, il est clair que les cultivateurs des Deux-Sèvres perdent la Ils disent enfin que le fumier des porcs qui ont tête et ne savent ce qu'ils font; mais au point de été bien nourris, réussit merveilleusement en couvue des résultats, ils n'ont pas l'air de déraison-verture sur les jeunes trèfles, pendant l'hiver, sur ner. Il ne faut donc pas les condamner trop vite. Au bout du compte, ces gens-là fabriquent du terreau et s'en servent sur leurs champs, comme les maraîchers se servent du vieux terreau des couches rompues sur les planches de leurs marais. Les maraîchers, il est vrai, arrosent copieusement et peuvent répondre de la rapidité d'action de ce terreau, tandis que les cultivateurs vendéens ont à redouter les sécheresses qui paralysent l'énergie des engrais consumés. Le voisinage de la mer doit être pour quelque chose dans le succès de ce procédé qui, pour réussir, a besoin d'une atmosphère humide. Il y a lieu de croire qu'il ne réussirait pas partout.

Dans la Campine belge, où les terres sont sablonneuses, et où l'atmosphère se ressent du voisinage de la mer, le fumier d'étable très-décomposé est celui qui rend les plus grands services. Dans cette même Campine, le traitement des composts

Voilà donc des propriétés bien distinctes, bien tranchées et qu'il est bon de connaître. Nous voulons de l'engrais pour le froment en terre argileuse, nous prenons du fumier de cheval. Nous voulons de beaux choux, de beaux colzas, de belles navettes; nous prenons du fumier de moutons. Nous voulons des légumes délicats, des fruits savoureux; nous voulons entretenir de la fraicheur dans le sol: nous prenons du fumier de vache. Nous voulons du lin et du chanvre de bonne qualité, de beaux trèfles, une herbe abondante dans les prés secs; nous voulons éloigner les taupes: nous prenons le fumier de porc. C'est une affaire de simple bon sens, c'est une manière d'opérer qui nous mène droit à la réussite. Nous

pouvons ainsi choisir la nourriture selon les goûts des plantes, comme nous la choisissons selon le goût des bêtes, et obtenir de meilleurs effets qu'autrement. Ce n'est ni contestable ni contesté, Mais quand nous mélangeons toutes nos litières au sortir des écuries et des étables; quand nous en faisons une macédoine à ne plus rien y démeler, il n'y a plus de choix possible, plus de goûts particuliers à consulter; il n'y a plus à parler de science agricole; l'empirisme reprend le dessus. Les observations que nous avons pu recueillir sur les besoins des végétaux ne servent plus à rien; tous doivent, — passez-nous ces expressions, - manger à la gamelle commune et boire à la même auge. - Ils n'en mourront pas, sans doute; ils en vivront, mais un peu moins bien que s'ils avaient leur service spécial et séparé. Avec les fumiers distincts, nous savons ce que nous faisons; avec les fumiers pêle-mêle, nous ne le savons plus au juste; nous allons un peu à l'aventure: tant mieux, si nous réussissons; tant pis, si nous ne réussissons pas.

Admettons que, dans certains cas, il y ait de l'avantage à mélanger plusieurs engrais, rien ne nous empêchera de le faire au moment voulu. On peut toujours mettre de l'eau dans son vin ou du vin dans son eau; mais une fois le mélange opéré, il faudrait de la besogne et de la patience pour le défaire. Mettons donc notre bouteille d'un côté, notre carafe de l'autre. Quand nous aurons besoin de vin pur, nous prendrons la bouteille; d'eau pure, nous prendrons la carafe. S'il nous vient ensuite la fantaisie d'avoir de l'eau rougie, nous verserons des deux dans le même verre. Faisons de même pour les fumiers, lorsque l'exploitation sera de quelque importance. Ne confondons pas en un tas unique ceux de vache, de porc et de cheval; si nous avons des mélanges à opérer, ne nous pressons pas il sera toujours temps de le faire au moment de nous en servir.

Maintenant que nous avons posé des principes que nous croyons irréprochables, nous nous faisons un devoir de reconnaître que les praticiens ne s'y soumettront pas de sitôt, et qu'ils continueront, comme par le passé, de confondre les engrais d'étable, d'écurie et de porcherie. Cette vieille méthode a le mérite incontestable de modérer, de ralentir la fermentation du fumier chaud par son contact avec les fumiers froids ou aqueux, et de précipiter la fermentation de ces derniers par leur mélange avec le fumier d'écurie. Le traitement des fumiers réunis devient plus facile que celui des fumiers séparés et exige moins de surveillance et de main-d'œuvre. Quant aux qualités du mélange, elles sont parfaitement établies, en raison de la grande diversité des vivres qu'il contient. Donc, tout en déclarant bien haut que nous sommes, dans la théorie et dans l'application, très-partisan de la distinction des engrais, nous faisons la part des inconvénients et des soucis de la manipulation et n'osons exprimer un blâme à l'adresse des écrivains et des cultivateurs qui recommandent le mélange. S'il y a de bonnes raisons à faire valoir contre eux, il y en a de bonnes aussi à invoquer en leur faveur.

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AGRICULTURE PROPREMENT DITE.
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tiges et des racines. Quand nous avons affaire,
comme dans la culture potagère, par exemple, à
des graines que nous semons vers la fin d'octobre
ou en novembre, en vue de gagner huit ou dix
jours sur la levée du printemps, pas n'est besoin
de se hâter pour la fumure, et rien ne nous
empêche d'attendre la fin de février pour répan-
dre l'engrais en couverture sur les planches ense-
mencées. Pourvu que la nourriture arrive aux
graines au moment de la levée, nous n'avons
rien de plus à désirer. Quand enfin, nous avons
affaire à des prairies naturelles ou artificielles ou

de cheval, de mulet, d'âne et de mouton, conviennent particulièrement aux terrains compactes et même aux terrains légers des climats pluvieux. Nous savons aussi que les fumiers froids, qui sont ceux des vaches, des bœufs et des porcs, conviennent particulièrement aux terrains légers et brûlants. Nous savons encore que si les fumiers longs sont d'un bon effet sur les terres fortes, les fumiers consumés sont également d'un bon effet sur les terres légères, quand une atmosphère humide ou des pluies suffisantes favorisent la dissolution de leurs sels. Mais ce n'est pas savoir assez nous avons à nous demander mainte-à des arbres, l'époque de l'application des fumiers nant :

1o A quelles époques il convient de conduire les fumiers aux champs;

2o A quelles doses peuvent et doivent s'élever les fumures;

3° S'il vaut mieux fumer à de longs qu'à de courts intervalles ;

4o A quelle profondeur l'on doit enfouir les fumiers ;

5o S'il y a des inconvénients à les appliquer en couverture.

Les hommes les plus compétents pensent qu'il y aurait profit pour le cultivateur à conduire les fumiers aux champs lorsqu'ils sont à l'état frais ou pailleux, mais à la condition de les répandre de suite, de les enterrer sans délai et de donner plusieurs labours aux terres ainsi fumées, avant de les ensemencer. Pour notre compte, nous accepterions volontiers ce procédé dans les sols compactes, où le fumier long ne s'use pas vite, mais nous y regarderions à deux fois avant de l'appliquer aux terres légères, parce que la décomposition de l'engrais y est rapide, et qu'en temps de pluie, les sels dissous s'en iraient en grande partie dans les couches profondes, au préjudice de la couche arable. Souvent, il arrive, dans ces contrées de terres légères comme ailleurs, que les cultivateurs sont obligés de dégager la cour de la ferme, encombrée de fumier, de conduire ce fumier aux champs plusieurs mois avant les semailles, et de l'y enfouir de suite. Eh bien, dans ce cas particulier, il n'y a qu'un moyen de retarder ou d'empêcher la décomposition de l'engrais, c'est de rouler fortement le terrain où l'on vient de l'enfouir. Sur les parties roulées ou tassées, le fumier se conservera, tandis que sur les parties non roulées, il disparaîtra.

Le plus ordinairement, l'application des fumiers se fait vers la fin d'août ou en septembre, à la veille des semailles d'automne ou à la sortie de l'hiver, soit pour les cultures de printemps, soit pour relancer les récoltes qui ont souffert des rigueurs de la mauvaise saison. Règle générale, on peut avancer que l'époque de l'application des fumiers est déterminée par les besoins plus ou moins pressants des graines ou par le plus ou moins de profondeur des racines. Nous allons nous expliquer : Quand nous avons affaire à des graines qui germent vite, nous devons fumer quelques jours avant les semailles ou, tout au moins, en même temps que nous semons, afin que l'engrais soit à la portée des graines à l'heure où elles en ont besoin pour le développement des

est déterminée approximativement par la profondeur que les racines atteignent; plus il y a de profondeur, plus il faut de temps à l'engrais pour arriver à portée de l'extrémité des racines. Ainsi, avec les graminées de nos prairies naturelles, dont les racines ne vont pas loin en terre, on peut fumer vers la fin de février ou au commencement de mars, avec l'assurance que les vivres arriveront aux racines au moment de la reprise de la végétation, c'est-à-dire au moment où les plantes en ont besoin. Pour les prairies artificielles toutes jeunes, faiblement enracinées, nous fumerons de même à la sortie de l'hiver; mais si ces prairies artificielles avaient de longues racines, nous devrions nécessairement avancer l'époque de la fumure, nous y prendre dès l'automne ou, au plus tard, en janvier. Nous devrions, pour la même raison, fumer à l'automne nos arbres de jardin, nos arbres de verger et nos vignobles.

Passons à présent à la seconde question. En traitant de chaque fumier, nous avons indiqué les quantités employées habituellement par hectare, quantités qui varient entre 20 000 et 40 000 kilogr. Dans la culture intensive de nos riches contrées, on ne se contenterait pas de ce chiffre; nous connaissons des propriétaires, des fermiers même qui fument leurs champs comme d'autres fument leurs jardins et qui élèvent les proportions d'engrais, par hectare, jusqu'à 100 000 kilogr. et plus. Il va sans dire que s'ils fument aussi copieusement, c'est qu'ils y trouvent leur profit. Les fortes fumures ont l'inconvénient incontestable d'altérer la saveur des produits; mais tout compte fait, elles donnent un bénéfice que nous ne pouvons pas attendre des fumures ordinaires, et à ce point de vue, nous les approuvons. Les hommes de science ont voulu établir le chiffre des fumures d'après la consommation normale des récoltes; ils se sont dit: Puisqu'un hectare de froment, ou de pommes de terre ou de toute autre plante enlève au sol tant d'azote, tant de phosphates, tant de ceci, tant de cela, il suffirait de rendre rigoureusement au sol, sous forme d'engrais, les quantités de substances enlevées, pour rétablir l'équilibre rompu et maintenir la fertilité première. Les praticiens, qui croient aux avantages de la plus-value des terrains et qui veulent qu'au bout d'un quart de siècle ou d'un demisiècle de culture, ces terrains aient plus de valeur réelle qu'après le défrichement, ne se contentent pas du raisonnement des hommes de science et tiennent à ce que la restitution soit toujours plus élevée que le prêt.

fin d'hiver interminable, qu'arriverait-il ? Dans le premier cas, l'engrais n'agirait point, faute d'eau pour le dissoudre; dans le second cas, la couche arable serait épuisée par une grande perte d'égouts; dans le troisième cas, le terrain aurait beaucoup de peine à se réchauffer, et la végétation, très-tourmentée à son début, s'en ressentirait plus ou moins jusqu'à la récolte. Or, le seul moyen de n'avoir pas à compter avec ces inconvénients, c'est de les prévenir par des fumures fréquentes, c'est

M. Boussingault, qui a l'immense mérite, à nos yeux, d'être un chimiste habile et conseiencieux, de compter beaucoup avec les praticiens et de n'avoir pas de système arrêté, reconnaît la nécessité de fumer fréquemment ou copieusement et l'attribue à ce qu'une partie du fumier enfoui se modifierait de façon à rester inerte, à ne plus agir comme engrais. A son avis, cette partie de fumier, d'abord inassimilable, doit reprendre peu à peu ses propriétés d'engrais sous les influences météorologiques et par l'intervention des alcalis, notam-à-dire de former une épaisse couche de terreau ment de la chaux.

Cette explication ne nous satisfait pas et nous prenons la liberté de ne point l'accepter. Les plantes, comme les bêtes, nous paraissent, quant au manger, plus raisonnables que les hommes. Une vache qui a de l'herbe jusqu'au ventre, n'en prend qu'à son appétit, se couche ensuite et rumine. Une plante qui a de l'engrais à discrétion, n'en prend, elle aussi, qu'à son appétit, un peu plus de ceci et un peu moins de cela, selon ses goûts; il n'y a que l'homme qui pousse les choses jusqu'à l'indigestion et se comporte à la manière des Romains de la décadence. De ce qu'un végétal ne se bourre point de nourriture à en périr, il ne suit pas, selon ncus, qu'on doive accuser cette nourriture d'inertie. Nous pensons que les plantes qui ont avalé suffisamment d'une chose ou d'une autre, sont en droit de s'arrêter comme la vache qui rumine sur la pâture, comme le cheval qui dort sous le râtelier, comme le cochon qui rebute les pommes, sans que nous songions à accuser l'herbe, le foin ou les fruits de ne rien valoir pendant un temps plus ou moins long.

Nous pensons que la nécessité de donner des fumures fréquentes aux cultures jardinières ou intensives ne relève point de la raison que soupçonne M. Boussingault. Le fumier fourni en abondance, n'a pas l'unique avantage d'apporter aux plantes une nourriture confortable; il a celui, en outre, de transformer la couche arable, d'y entretenir une douce humidité, de la rafraîchir en temps sec, de la réchauffer en temps frais, grâce à la fermentation et à la couleur brune des débris organiques, de la diviser quand elle est trop compacte, de lui donner un peu de consistance quand elle est trop légère, et, enfin, de retenir les sels solubles à la manière de la tourbe, dont se servent les gens du Nord pour élever des digues. Ce sont tous ces avantages réunis que nous recherchons et devons rechercher dans les cultures intensives; ce n'est qu'à ces conditions que l'on obtient une terre faite et de haute fertilité.

Si nous n'avions en vue que la nourriture strictement nécessaire, il serait parfaitement inutile de recourir aux fumures fréquentes, soit dans nos potagers, soit dans les champs de la Flandre et du Hainaut, puisqu'il s'y trouve des vivres en réserve pour de longues années. C'est parce que nous voulons, avec la nourriture, autre chose encore, que nous nous imposons de semblables sacrifices.

Supposez que nous donnions tout juste à une récolte ce qui lui est nécessaire pour bien vivre, et, qu'après cela, nous soyons surpris par une année de sécheresse, une année pluvieuse ou une

et de l'entretenir constamment aussitôt formée. C'est parce que l'on procède ainsi dans la culture intensive, que les succès y sont plus assurés que dans la culture extensive, où l'on ne fume que tous les deux, trois ou quatre ans.

Nous ne connaissons aux fumures abondantes et répétées qu'un seul désavantage bien marqué, c'est celui de former un terrain qui, parfois, ne permet plus à l'eau de sortir de l'humus et à l'air d'y circuler librement. Autrefois, au rapport de Duhamel, lorsque la terre était ainsi malade de graisse, les maraîchers des environs de Paris y passaient la charrue et la mettaient en herbe, pendant quelques années, afin de la dégraisser, c'est-à-dire d'user une bonne partie de l'engrais et de la dessécher le mieux possible. Ne perdons pas de vue que des milliers et des millions de brins d'herbes poussent aisément sur un sol où ne réussissent plus les légumes à racines profondes, que tout brin d'herbe a besoin d'un peu d'eau, que cette eau lui arrive en partie du sol par les racines, que plus les plantes sont serrées, plus il y a de buveuses d'eau, et qu'à ce compte, les herbes d'un pré drainent le terrain plus qu'on ne se l'imagine. Nous ignorons si la coutume de mettre en herbe les vieux marais trop riches s'est maintenue aux environs de Paris; mais nous pouvons affirmer que, dans le voisinage de Mons, ce procédé est encore en usage.

Arrivons à la troisième question, par laquelle on se demande s'il vaut mieux fumer à de longs qu'à de courts intervalles. Nous venons déjà de nous prononcer en faveur des fumures fréquentes, mais il nous reste encore quelque chose à dire sur ce sujet.

«Les cultivateurs, écrivait Columelle, doivent savoir que si l'absence de fumier refroidit le sol, l'excès le brûle, et qu'il est plus dans leur intérêt de fumer fréquemment que de fumer trop largement. »

Le froid et le chaud n'ont rien à voir dans cette affaire, mais Columelle n'en a pas moins raison de poser en fait que les petites fumures renouvelées fréquemment et à propos, produisent plus d'effet sur une récolte que de fortes fumures appliquées à de longs intervalles. Oui, il y a plus de profit à donner aux plantes en deux, trois ou quatre fois, la somme de vivres qu'on leur destine, que de la leur donner tout d'un coup; plusieurs petits repas leur font plus de bien qu'un gros, les développent mieux. Avec les grosses fumures, appliquées au moment des semailles, on perd beaucoup d'engrais. Les pluies le détrempent, le délayent, l'emmènent tantôt par

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