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peine altéré à une époque où il se vendait moitié moins qu'aujourd'hui, nous avons vu le lait devenir de moins en moins pur, de moins en moins bon, au fur et à mesure qu'on en augmentait le prix. Aussi l'opinion publique applaudit-elle avec ardeur, il y a quelques années, aux mesures prises par l'autorité judiciaire et par l'autorité municipale, pour arrêter cette fraude, et accueillit-elle - avec reconnaissance les premières condamnations.

Mais bientôt on fut forcé de reconnaître que les punitions les plus rigoureuses n'avaient eu qu'une influence presque insignifiante sur la qualité du lait mis en vente, et, en même temps que de nouvelles saisies étaient opérées, des plaintes d'abord timides et rares, puis nombreuses et énergiques, s'élevèrent parmi les cultivateurs. On protesta contre les moyens recommandés par les auteurs pour constater la pureté du lait.

Les expériences les plus faciles et les plus concluantes ont donné raison à ces plaintes, et aujourd'hui il faut reconnaître que les instruments inventés pour indiquer la pureté du lait, notamment les lactomètres, les galactomètres, les lactodensimètres, avec ou sans l'emploi du thermomètre, ne donnent que des résultats infidèles et trompeurs. Mis entre les mains de l'autorité judiciaire, ils ne sont bons qu'à protéger les fraudeurs adroits, sans même garantir le producteur honnête, et leur emploi, s'il n'est accompagné d'autres indications, peut conduire aux erreurs les plus graves.

A l'appui de ce que nous avançons, nous citerons les faits suivants :

Le 7 août 185..., nous prîmes nous-même, chez un propriétaire des environs de Dijon, dont l'honorabilité ne peut être mise en doute sous aucun rapport, du lait provenant de la traite de la veille au soir et écrémé, et du lait de la traite du matin, par conséquent non écrémé. Nous les mélangeâmes et, à un litre de ce mélange, nous ajoutâmes deux litres d'eau et quelques substances sans valeur que nous croyons ne pas devoir indi

quer. A un autre litre du mélange des deux laits,

nous ajoutâmes 50 pour 100 d'eau. Ces deux laits, expérimentés par M. le commissaire de police, furent trouvés non saisissables d'après les indications du galactomètre: le premier marquait 25o, le second 24° (1).

Le même jour, du lait pris à la surface d'une bure, c'est-à-dire le meilleur et le plus riche en crème, donnait au galactomètre 20°, et partant devait être saisi, tandis que le lait du fond narquait 26o et devait être réputé bon.

Quelques jours auparavant, l'autorité judiciaire constatait elle-même ces variations; elle trouvait que du lait pris à la surface marquait 22o, et partant aurait dû être saisi, tandis qu'au fond, pris à la chante-pleure, il marquait 27° et, par consé quent, était excellent. Une autre expérience don

nait :

Mis dans du lait, provenant seulement de la traite du matin, et certainement excellent, le galactomètre nous a donné 25° à la température de 15o, tandis que le même lait mélangé avec une égale quantité de lait écrémé accusait 32° à la même température.

Aussi avons-nous la conviction qu'on a dû souvent, en s'en rapportant au galactomètre seul, saisir les meilleurs laits et tenir pour coupables les plus honnêtes gens.

Bien des laitières nous ont affirmé qu'elles n'osent plus apporter du lait du matin, non mélangé au lait écrémé de la veille, depuis que l'on fait usage du galactomètre, et nous sommes persuadé qu'elles disent vrai, et qu'elles agissent avec prudence.

Un pareil état de choses doit avoir pour conséquence d'encourager la fraude plutôt que de la réprimer. Les doutes sur la culpabilité, nés de constatations aussi imparfaites, habilement exploités par les vrais fraudeurs, leur permettent d'échapper à la flétrissure qui, dans l'opinion, doit suivre toute condamnation.

Ces faits établissent évidemment que la question présente des difficultés. Nous ne le nions pas; mais il nous semble qu'elles ne sont pas insurmontables. Nous allons essayer de le prouver. Le lait, dans son état naturel, peut être considéré comme se composant:

1° De crème ou beurre;

2o De caséum ou fromage blanc; 3o De sucre de lait;

4o De divers sels;

5o D'eau.

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Notons que ces analyses sont le résultat d'expériences faites sur des laits considérés comme bons, que ces laits ont été pris au moment de la traite, qu'aucune fraude n'a pu les altérer. Ajoutons qu'aucune des vaches qui les ont fournis n'avait été nourrie, ni avec des betteraves ou d'autres légumes aqueux, ni avec des résidus provenant des brasseries et distilleries; de telle sorte que nous sommes loin de donner ici les chiffres les qui marque moins de 220 au lactodensimètre, la température plus bas en caséum, beurre et sucre de lait na

Lait pris en haut......

170

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en bas...... au milieu....

260

270

(1) On a considéré jusqu'à présent comme lait fraudé, celui

supposée à 150 centigrades.

turels.

Mais il résulte néanmoins de ce simple exposé, des raisons suffisantes pour discuter la base fondamentale de toutes les recherches entreprises jusqu'à présent, en vue de constater les falsifications du lait.

En présence de variations si considérables dans chacune des parties qui composent le lait, les chimistes ont eu l'idée de créer ce qu'ils ont appelé un lait normal. Or, pour y parvenir, on peut prendre une moyenne générale, et arriver ainsi à une formule qui représente la composition la plus ordinaire du lait; mais qui ne sent qu'un pareil résultat, bon pour des études physiologiques, est parfaitement inapplicable à des recherches légales? En effet, la qualité du lait varie par suite de mille circonstances indépendantes de la volonté du nourrisseur: telle vache donne un lait riche en crème, telle autre donne plus de caséum ou de sucre. La saison, l'habitation, la température, la stabulation, les soins, la plus ou moins grande quantité d'eau, donnée en boisson chaude ou froide, la nature du fourrage, sa qualité, le temps depuis lequel il est récolté, etc., etc., ont une influence considérable, dont il a été parlé précédemment.

On a dû abandonner ce moyen qui aurait tout d'un coup placé la moitié des producteurs parmi les fraudeurs. Alors on a recherché quels étaient les laits les moins riches, et, acceptant la fraude dans certaines limites, on n'a plus déclaré saisissables que ceux qui se trouvaient au-dessous du minimum ainsi constaté; on a dit:

1° Tout lait qui contient moins de 8 pour 100 de crème est un lait falsifié;

2o Tout lait qui donne moins de 53 millièmes de sucre de lait est un lait falsifié;

3o Tout lait qui, au lactodensimètre, marque moins de 22° est un lait falsifié.

Et au lieu de contrôler ces opérations l'une par l'autre, ce qui aurait beaucoup diminué les causes d'erreur, on s'est borné le plus souvent à une seule ou à deux de ces constatations.

rera le lait excellent. Ne l'avons-nous pas démontré plus haut?

Mais, va-t-on dire encore, la recherche de la quantité de sucre et de sels indiquera au moins la fraude. Pas davantage. Permettez-nous ici de ne pas apprendre comment il faut la faire à ceux qui ne le savent pas, et croyez-nous sur parole.

Une addition de 100 pour 100 d'eau ne sera donc ni reconnaissable, ni partant punissable, d'après les procédés actuellement en usage. Fautil après cela s'étonner de ce que les laits mis en vente, sont de plus en plus mauvais?

Certaines laitières (et bientôt on pourra dire toutes les laitières), pourvues maintenant de leur galactomètre et de leur thermomètre, arrivent jusqu'aux portes de la ville, avec leur lait plus ou moins pur. Là, une nouvelle expérience est faite, et si le galactomètre marque quelques degrés de plus que l'autorité n'en exige, elles ajoutent de l'eau pour le ramener au degré voulu. Que pensez-vous de ce lait légal? Voici une expérience qui vous montrera que le vendeur n'a pas un mince intérêt à agir ainsi :

Nous avons pris du lait provenant de la source indiquée plus haut, et composé aussi d'un mélange de lait écrémé de la veille et de lait du matin. Ce mélange donnait 15 pour 100 de crème, au crémomètre et au lactodensimètre, il marquait 33° à la température de 15o. Après y avoir ajouté:

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Il fallut ajouter 50 pour 100 d'eau pour arriver à 22o.

Voilà donc un lait déjà écrémé en partie, dans lequel on ajoute 40 pour 100 d'eau, et qui défiait le galactomètre, le lactodensimètre et le crémomètre, car, ainsi altéré, il donnait encore à ce dernier instrument 9 pour 100 de crème. Que vou

La science, appliquée à la recherche des falsifi-lez-vous de plus pour démontrer que le point de cations du lait, en est là.

Or, on voit de suite qu'une pareille théorie, fondée sur une impuissance avouée de reconnaître et de poursuivre toute fraude qui n'arrive pas à des limites extrêmes, autorise par cela même toute fraude qui sait se renfermer dans les bornes qu'on lui a tracées, et doit avoir, pour inévitable résultat, de faire que, dans un court délai, on ne vendra plus que du lait contenant les proportions arrêtées.

Veut-on savoir maintenant quelle latitude on accorde à la fraude? Pour la crème, par exemple, d'après les procédés mis en usage, faites la simple réflexion que voici : le lait renferme souvent, trèssouvent, 20 pour 100 de crème; si l'on ajoute un litre d'eau à un litre de lait, on aura un mélange d'eau et de lait, qui renfermera 10 pour 100 de crème, et partant que l'expert déclarera non saisissable au crémomètre.

Mais, diva-t-on, dans ce cas, le galactomètre indiquera la fraude. Eh bien! non, avec un peu d'adresse, et malheureusement les fraudeurs en ont plus que les chimistes, le galactomètre décla

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départ même de toutes les recherches faites jusqu'à présent, point de départ fondé sur la fixation d'un minimum au-dessus duquel tout lait est réputé pur, et au-dessous duquel tout lait est réputé fraudé, favorise infiniment plus la fraude qu'il ne la prévient?

En agissant ainsi, on éloignera des marchés tout lait naturel, pour y substituer un lait légal, c'est-à-dire très-médiocre, alors même qu'il ne serait qu'additionné d'eau.

C'est que, à n'en pas douter, les moyens employés aujourd'hui sont incapables de déceler des additions d'eau et d'autres substances, faites pourtant dans des proportions énormes; mais ces moyens suffisent-ils au moins pour qu'on puisse affirmer avec certitude que la fraude existe? Non, toujours non! et il est facile de s'en convaincre : à moins de descendre la limite minimum jusqu'au point offert par le plus mauvais lait naturel qu'on puisse rencontrer; ce qui ferait tomber le lait légal à un niveau incroyable, on doit, exceptionnellement il est vrai, mais on doit trouver des laits naturels qui ne renferment pas les quantités de crème ou de

en ait ajouté une quantité quelconque, alors même que son lait se trouverait ainsi meilleur que tel autre lait non additionné d'eau.

sucre exigées. Il y a plus, ún excès de crème rend | ainsi descendre son lait au titre fixé; il suffit qu'il le lait saisissable, et la pratique prouve qu'il en a été déjà souvent ainsi. C'est un inconvénient qui, à lui seul, suffirait pour faire rejeter ces moyens. Ce que nous avons dit plus haut ne le démontret-il pas ?

Nous ne parlons pas seulement des lactomètres, galactomètres, lactodensimètres employés seuls (nous savons le peu de valeur de ces moyens), nous parlons même des expériences où on les a employés concurremment avec le crémomètre.

La conclusion que nous tirons de tous ces faits, c'est évidemment qu'il n'est pas possible d'établir rien de précis en prenant pour base cette unité désignée sous le nom de minimum.

Pour les produits chimiques et industriels, cette méthode est excellente, sans doute, et peut être rigoureusement appliquée. C'est ainsi que l'on peut vérifier si un alliage renferme en des proportions indiquées d'avance chacun des métaux promis; c'est ainsi que l'alcoomètre est un excellent instrument pour l'analyse commerciale des eaux-de-vie, des alcools, etc., etc.

Mais que penserait-on de celui qui viendrait nous proposer de rechercher les qualités des vins, avec un instrument quelconque, ou qui voudrait découvrir par le moyen de l'aréomètre, les différents mélanges de vins, les additions d'eau, d'alcool, de sucre, de chaux, de plâtre, etc., etc.? Que penserait-on si on venait nous dire que le vin sera saisissable toutes les fois qu'il sera chimiquement au-dessous d'un type qui devra nécessairement être à peu près identique aux plus mauvais vins? Chacun de nous rirait de pareilles prétentions, et cependant, c'est là ce qu'on a fait, et qu'on propose encore de faire pour le lait.

Si les questions auxquelles nous faisons allusion pour le vin avaient été agitées devant nos grands-pères ; si elles avaient été soulevées devant nos vignerons, savez-vous quelle eût été leur réponse? Ils auraient pris leur tasse d'argent et vous auraient répondu en souriant qu'il n'y a pour reconnaître le bon ou le mauvais vin qu'un seul moyen, et que ce moyen consiste à le goûter; eh bien, nous dirons, nous, que, pour le lait, le meilleur des galactomètres est la bouche, et que vous êtes beaucoup mieux instruit sur la bonté du lait qu'on vous a servi à votre déjeuner, que si vous l'aviez essayé par tous les galactomètres du monde, que si vous lui aviez fait subir vingt analyses.

Nous avons voulu nous en rapporter aux seuls moyens physiques ou chimiques; voyez à quel beau résultat nous sommes arrivés !

Est-ce à dire que nous proposions de nous pas ser des découvertes de la science, et de supprimer les analyses chimiques? Une telle pensée ne saurait nous venir à l'esprit ; nous voulons seulement nous élever contre l'oubli de moyens que nous considérons comme bons, et repousser ceux dont nous démontrons l'impuissance.

Pour nous, il y a fraude toutes les fois que, dans le but d'en augmenter la quantité ou d'en masquer les défauts, on introduit dans le lait une substance quelconque.

Il n'est nullement nécessaire que le fraudeur ait, par exemple, introduit 50 p. 100 d'eau, et fait

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D'un autre côté, nous considérons comme lait pur et non susceptible d'être saisi, tout lait mis en vente tel qu'il est fourni par la vache, excepté le lait colostral qui suit immédiatement le vêlage. Enfin, nous proposons que le lait écrémé, qui serait mis en vente, avec indication suffisante qu'il a été privé d'une partie de sa crème, soit exposé sur le marché sans obstacle. Le vendeur et l'acheteur sauraient parfaitement à quoi s'en tenir sur la nature et la qualité de la marchandise vendue.

Nous ne saurions trop insister sur ce point que le lait doit être vendu tel qu'il est fourni par la vache, et non pas tel que l'exige telle ou telle formule. Alors seulement le vendeur saura qu'il agit ou non avec loyauté, et n'aura besoin ni d'instruments ni de connaissances chimiques; quiconque introduira quoi que ce soit dans le lait, saura qu'il pourra être poursuivi et puni; l'honnête homme n'aura pas à trembler devant des constatations incertaines, qui peuvent un jour ou l'autre compromettre son honneur et sa position, et devant la simplicité de la règle, fléchiront toutes les tentatives | de fraude, et s'établira un commerce loyal.

Le problème se réduit donc pour nous aux propositions suivantes :

1o Reconnaître qu'un lait mis en vente est bien tel qu'il a été fourni par la vache;

2° Constater qu'il a été privé d'une partie des matières qui entraient dans sa composition; 3o Apprécier la nature et la quantité des matières qui y ont été introduites.

Pour arriver à ces résultats, il est indispensable de pouvoir établir une comparaison, et c'est en cela surtout que ce que nous proposons diffère complétement de tout ce qui a été fait ; ce n'est pas de temps à autre et de loin en loin que nous demandons cette comparaison, c'est chaque jour et pour chaque jugement que nous la croyons nécessaire c'est surtout pour prononcer une condamnatio que nous la regardons comme d'une absolue nécessité.

Si l'on nous objectait que les opérations seraient ainsi doublées, qu'il faudrait deux analyses au lieu d'une, nous dirions que tout cela pourrait se faire en trois jours, et ne coûterait pas plus de 30 francs, et nous croirions avoir répondu plus que ne le mérite un pareil argument, employé dans le cas où il s'agit de condamner un individu à la prison et à une forte amende.

Il nous reste à indiquer les moyens pratiqués de résoudre les questions que nous venons de poser; c'est ce que nous allons faire en entrant dans tous les détails que comporte un pareil sujet.

Le lait est apporté sur nos marchés à trois états: 1° Lait pur, dit lait du matin;

2o Lait du matin, mélangé avec le lait de la veille au soir écrémé;

3° Lait de la veille au matin, mélangé avec celui de la veille au soir, tous deux écrémés.

La vente de ces trois sortes de lait doit être permise, car, d'une part, la traite du matin ne saurait

|

suffire à la conson mation, et de l'autre, il est impossible de mettre en vente du lait de la veille sans enlever la crème qui surnage et qu'on ne peut plus mélanger intimement au lait.

La première mesure à prendre serait donc, selon nous, d'adopter cette première classification des laits, afin d'éviter tout embarras, d'exiger que chaque boîte portât une étiquette indiquant à la quelle de ces trois catégories appartient le lait qu'elle renferme. C'est la première chose à faire, sans elle il n'y a nulle possibilité de découvrir la fraude et nulle garantie pour l'acheteur.

Avec une telle mesure il s'établira bientôt, pour chacune de ces sortes de lait, un prix différent, et tout le monde y trouvera son compte. Cette première indication serait du reste, en cas de poursuite, la seule base sérieuse de toute analyse.

Quant aux saisies opérées par les agents de l'autorité, elles ne doivent dans aucun cas être basées sur les indications du galactomètre ou lactodensimètre, instrument imparfait et infidèle avec ou sans l'aide du thermomètre.

La couleur, la transparence, l'odeur, la saveur, donnent seuls de sérieux indices de falsification. Sur vingt personnes habituées à faire usage du lait à leur repas du matin, plus de la moitié vous découvriront, par la simple dégustation, l'introduction de la plus faible quantité d'eau (1). Si úne ou plusieurs personnes étaient préposées à ces essais, nous sommes assuré que bientôt on pourrait presque à coup sûr faire, sur leur témoignage, des saisies, dont les expériences chimiques prouveraient neuf fois sur dix l'utilité.

MM. les commissaires de police s'éclaireraient, du reste, de tous les renseignements qu'ils pourraient recueillir, et seraient guidés par les plaintes qui seraient déposées entre leurs mains.

On a proposé de saisir au hasard et à des époques indéterminées, une certaine quantité de laits mis en vente, pour les soumettre à l'analyse et retrouver parmi eux ceux qui sont frelatés : une pareille manière d'agir nous paraît tout à fait impraticable. En effet, si on porte à 20 francs ou même à 10 francs les frais d'analyse, ce qui est le minimum pour une seule expérience, voyez à quel chiffre de dépense on arriverait pour faire seulement une fois par an l'analyse du lait de chacune des laitières qui approvisionnent les grands centres de population (Dijon, dont la population a un peu plus de 30,000 âmes, comptait, en 1861, 264 laitières), et de quelle utilité serait une seule analyse par an?

Nous croyons, nous, qu'il ne faut saisir que les laits sur lesquels s'élèvent des doutes sérieux de falsification; et nous soutenons que les seuls moyens d'avoir des présomptions fondées, sont donnés par les organes des sens, et notamment par le goût. Lorsqu'un lait paraîtra fraudé à un agent de l'autorité, devra-t-on dresser de suite un procès-verbal, et répandre sur la voie publique le lait soupçonné? Cette dernière opération ne nous paraît ni utile, ni convenable, ni juste, ni légale, nous avons la conviction qu'on l'abandonnera

(1) Nous connaissons plusieurs personnes qui reconnaissent parfaitement, à la simple dégustation du lait, le changement de nourriture apporté au régime des vaches.

bientôt, partout et pour toujours. Qu'on s'en tienne donc à un procès-verbal, constatant une saisie de lait soupçonné frelaté, avec indication de sa nature: pur, écrémé, ou mélangé ; qu'on adresse immédiatement ce lait à un expert, qui par une analyse facile, pouvant être faite dans la journée, confirmera ou infirmera les doutes du commissaire de police. Dans le premier cas, il sera indispensable d'envoyer un agent recueillir au domicile des prévenues du lait provenant de la vache unique, ou du mélange de lait de toutes les vaches s'il y en a plusieurs, et se trouvant dans les conditions indiquées au procès-verbal (écrémé ou non).

Une nouvelle analyse faite sur ce lait naturel, donnera tous les documents nécessaires pour établir une comparaison sérieuse, pour affirmer en toute certitude, non-seulement qu'il y a eu fraude, mais encore quelle a été la substance introduite et dans quelle proportion elle l'a été.

La seule objection sérieuse qu'on ait essayé de nous faire est la suivante : Le lait d'une même vache ou de toutes les vuches d'une même ferme peut varier du jour au lendemain.

Nous en convenons; mais d'abord, pour qu'il en soit ainsi, il faut qu'il y ait un changement complet dans l'alimentation, et ce sera ce qui, indépendamment de l'extrême rareté de cette circonstance, arrivant précisément le jour d'une saisie, sera facile à constater. En admettant qu'on ne puisse vérifier cette assertion d'un prévenu, une nouvelle saisie tranchera toutes les difficultés. Enfin 'ces variations sont extrêmement faibles, et l'expert ayant une certaine latitude dans ses appréciations, ne sera jamais trompé par elles.

Ce sera beaucoup moins simple et moins rapide qu'une opération de lactodensimètre, c'est vrai; mais nous avons prouvé que cette extrême simplicité avait conduit aux plus dangereux résultats et était bien plus redoutée des honnêtes gens que des fraudeurs.

Il n'importe pas tant, en fait de contravention, de frapper fort et souvent que de frapper juste. La plus grande puissance de la loi est dans son influence morale, plus que dans les moyens matériels dont elle dispose. Et si l'on veut ne rien perdre de cette dernière, on ne doit reculer devant nul moyen de trouver la vérité.

En terminant ces observations, nous ne pouvons nous dispenser de déclarer que l'honneur d'avoir formulé la plupart des propositions sur lesquelles nous insistons aujourd'hui, appartient à MM. Bouchardat, feu Quevenne, Chevalier, Reveil et Marchand.

Nous différons avec ces messieurs en deux points: 1° en ce que, pour nous, l'usage du lactodensimètre est inutile; 2o en ce que toujours une analyse comparative est nécessaire : mais on n'oubliera pas que les travaux des chimistes que nous ve. nons de citer, moins ceux de M. Marchand, ont été faits pour Paris, là où le lait mis en vente est formé d'un mélange de laits fournis par un grand nombre de vaches, et que ce n'est qu'exceptionxellement qu'ils ont eu à examiner le lait d'une seule vache ou d'un petit nombre de vaches. Ea province c'est la règle, et tandis qu'à Paris une expérience sur place est une affaire très-longue,

très-coûteuse, très-difficile, pour nous c'est une affaire simple, commode et rapide.

Sur tous les points essentiels nous sommes parfaitement d'accord; c'est ainsi que MM. Bouchardat et Quevenne recommandent en première ligne aux agents de l'autorité, de goûter le lait et d'en examiner la saveur et l'odeur.

A propos des indications données par le lactodensimètre, son inventeur dit lui-même qu'il faut bien se garder de conclure d'après les essais préliminaires, à moins d'aveu précis du débitant, signé sur le procès-verbal; mais prélever un échantillon d'un demi-litre au moins sur le lait soupçonné, en ayant le soin préalable de le rendre homogène en le mêlant bien et de le transmettre immédiatement au chimiste expert désigné par l'administration: cette manière de procéder présente l'incontestable avantage de respecter la dignité du marchand, et de ne pratiquer une saisie, que lorsqu'il existe une puissante présomption de la violation de la loi.

MM. Bouchardat et Quevenne ajoutent : « A nos yeux, ces derniers procédés ne peuvent être que des moyens de vérification d'une valeur différente pour chacun, ne se rapportant, d'ailleurs, comme le lactodensimètre et le lactoscope, qu'à un seul élément du lait, moyens auxquels il peut cependant être commode de recourir; mais comme certitude dernière, pour se prononcer sur la richesse du lait, dans les cas graves, nous ne connaissons que l'analyse. »>

Les mêmes auteurs adoptent que « la vente du lait écrémé soit permise, à la condition que chaque pot, qui le contiendrait, portât cette indication en gros caractères : LAIT ÉCRÉME. »

Enfin, ces messieurs reconnaissent qu'on ne peut se refuser à accorder, à tout prévenu qui le demande, une expérience comparative, et comme moyen économique, ils ajoutent que « l'expertise pourrait toujours se faire, sans dépense aucune pour l'administration: dans le cas où l'expertise conduit à mettre le prévenu hors de cause, les expériences sont de si peu de durée, que l'expert peut faire ce travail gratuitement; quand il s'agit de sophistication, le coupable acquitte les frais. » En procédant ainsi, on ne pratiquerait jamais une saisie que lorsque la présomption de fraude existerait; si cette présomption n'était pas légitime, nous serions d'avis de faire rembourser au commerçant le lait prélevé; on ne saurait marquer trop de respect pour le marchand loyal et honnête.

Il y a loin, comme on voit, des prescriptions données par tous les hommes qui se sont occupés sérieusement des falsifications du lait, à ce qui s'est fait jusqu'à présent dans presque tous les départements de la France. Nous avons l'espoir que les faits que nous avons signalés dans ce travail, faits dont chacun peut du reste vérifier l'exactitude, en rappelant l'attention publique sur une question si importante, la feront enfin envisager sous ses points de vue véritablement moraux et véritablement pratiques.

Falsifications diverses. Le lait, nous l'avons dit, est l'objet de fraudes incessantes, dont la

plus fréquente consiste à enlever une certaine proportion de crème et à ajouter de l'eau au lait ainsi écrémé. C'est alors que, pour dissimuler cette fraude, le falsificateur introduit dans le lait des substances étrangères destinées, soit à augmenter la densité, ou à relever la saveur plate du liquide étendu d'eau, soit à simuler la crème qu'il a enlevée, en donnant la consistance et l'opacité convenables, ou à masquer la teinte bleuâtre que prend le lait allongé d'eau. Parmi ces substances on a trouvé du sucre, de la farine, de la dextrine, les décoctions des matières amylacées (riz, orge, son); on trouve parmi les secondes, les matières gommeuses, gomme arabique, adragante, le jaune d'œufs, le blanc d'œufs, le caramel, la cassonade, la gélatine, la colle de poisson, le suc de réglisse, les carottes cuites au four.

Quelques auteurs ont prétendu qu'on a employé, pour frauder le lait, des substances albumineuses, comme le sérum du sang, la cervelle d'animaux, des émulsions de graines oléagineuses, chènevis, amandes, etc., etc. Ces dernières falsifications, si tant est qu'elles ont eu lieu, ce qui n'est jamais venu à notre connaissance, sont très-faciles à reconnaître ; nous indiquerons les moyens que nous avons employés pour les rechercher.

Recherche de la fécule et de la farine.— On connaît que le lait et la crème ont été falsifiés par de la fécule ou de la farine, avec la teinture d'iode. Quelques gouttes de ce réactif versées dans le liquide après qu'il a bouilli, lui communiquent une teinte bleue d'autant plus intense que les substances féculentes ont été ajoutées en plus grande quantité. Comme la quantité de fécule ou de farine est toujours très-faible, en raison de la propriété qu'elle possède d'épaissir considérablement les liquides dans lesquels on la fait bouillir, on peut rechercher sa présence dans le petit-lait refroidi.

L'amidon, les décoctions de riz, d'orge, de son, se décèlent également par la teinture d'iode, en raison de la quantité, quoique très-faible, de fécule qu'elles ont introduite dans le lait.

Recherche de la gomme. Les matières gommeuses donneraient de la viscosité au lait, mais il ne faudrait pas moins de 90 grammes de gomme arabique dans un litre d'eau pour lui donner une densité de 1,030 (rappelons que celle du lait est de 1,033). Mais le prix de la gomme s'oppose à ce genre de fraude. Cependant voici le moyen de reconnaître cette fraude.

Quand on coagule du lait pur avec un peu d'acide acétique, et qu'on verse un peu d'alcool dans le petit-lait filtré, il se forme des flocons peu abondants, très-légers, diaphanes et d'un blanc bleuâtre. Si on fait la même expérience avec du lait qui renferme de la gomme arabique, le précipité est plus abondant, blanc mat et opaque.

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