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doit, sinon toutes ses propriétés fertilisantes, au moins la plupart, au phosphate de chaux qu'il renferme. De l'aveu de tous ceux qui ont été témoins de ses effets, il a fait et fera merveille dans tous les terrains qui ne contenaient pas et ne contiendront pas de phosphate. On peut dire, sans crainte d'être taxé d'exagération, que le noir des raffine

quatre fois autant d'eau, et d'y ajouter encore partie égale d'eau au bout de quelque temps, à la veille d'enfouir le mélange dans le sol avec la charrue. L'état à demi liquide de cet engrais a rebuté les cultivateurs qui ont associé au mélange de la tourbe, de la terre desséchée ou de la sciure de bois. L'engrais que l'on nous vend sous les noms d'os dissous, d'os sulfatés, de phosphate et super-ries a transformé la Bretagne. Aussi, sur un milphosphate de chaux, d'os vitriolisés, n'est autre chose que le produit de la réaction de l'acide sulfurique sur les os.

Hodges recommande aux cultivateurs la méthode de préparation que voici : Concassez les os le mieux possible, et pour 100 kilogrammes d'os, achetez en fabrique 50 kilogrammes d'acide. Arrosez les os avec une certaine quantité d'eau, environ 150 à 200 kilogrammes, et au bout d'une heure ou deux, versez l'acide lentement et prudemment, car il brûle les habits et la peau au moindre contact. Une effervescence se produira et il se formera un peu de plâtre, en même temps que du phosphate acide de chaux. Voilà, en deux mots, la fabrication du superphosphate de chaux, dont nous avons pu constater les excellents effets, en 1860, sur plusieurs hectares de rutabagas, appartenant à un de nos amis, M. Peterson, le seul qui, cette année-là, obtint un succès complet en Ardenne dans la culture de cette racine fourragère, parce qu'il avait eu, seul aussi, la bonne pensée de s'approvisionner d'os et de les traiter par l'acide sulfurique. C'est le meilleur moyen de rendre le phosphate très-soluble et d'en favoriser l'assimilation. Quelques auteurs attribuent l'honneur de la découverte au duc de Richmond, président de la Société royale d'agriculture d'Angleterre; mais du moment qu'un écrivain anglais, digne de foi, en fait hommage à Liebig, nous le croyons sur parole. Sur ce point, il y a lieu de le supposer mieux renseigné que nos écrivains français.

Pendant que les os ne valaient pas plus de 8 à 9 francs les 100 kilogrammes, nous n'avons pas su en tirer parti pour l'agriculture, parce qu'alors on s'obstinait à douter de leurs propriétés fertilisantes; aujourd'hui qu'on en doute moins et que beaucoup de fermiers intelligents ne demanderaient pas mieux que de les utiliser, les os valent deux et trois fois plus, selon les pays, en sorte que le prix du superphosphate n'est plus abordable. L'industrie, comme l'on dit vulgairement, nous a coupé l'herbe sous le pied. La leçon était méritée, et nous aurions mauvaise grâce à récriminer. Le cultivateur qui, de nos jours, achèterait des os pour fumer ses terres, payerait certainement sa fumure un prix exagéré; mais lorsqu'il est démontré que le sacrifice est nécessaire pour rétablir, dans un terrain, l'équilibre rompu par la production, il faut y souscrire bon gré mal gré. Heureusement, nous n'en sommes pas réduits à cette dure extrémité, et, à défaut du phosphate des os, on en trouve autre part.

Les résidus liquides des fabriques de gélatine sont achetés avec empressement par les fermiers du Lancashire et du Cheshire, qui leur attribuent des propriétés fertilisantes assez prononcées.

Le noir animal des raffineries ou charbon d'os,

lion d'hectolitres d'engrais pulverulents qui sortent chaque année de la ville de Nantes pour aller par les champs ou par les friches, tantôt loin, tantôt près, les trois quarts sont du noir animal ou tout au moins quelque chose de noir que l'on nomme ainsi. Ce chiffre de vente, déjà si élevé, s'élèverait encore, si les cultivateurs y trouvaient toujours leur compte; mais on les a trompés et on les trompe si souvent qu'il menace de baisser et baissera si l'on n'y prend garde. Autrefois, l'acheteur courait au marché de Nantes; aujourd'hui, il n'y va déjà plus qu'au petit pas, mal décidé, par habitude, et s'il arrivait qu'il perdit toute confiance dans la loyauté du vendeur, il resterait chez lui et n'en bougerait plus. Prenons-y garde; le Breton a une tête; bon et facile, tant que sa foi dure, il devient rétif à ne pas s'en faire une idée, dès que sa foi s'en va.

Le plus recherché des engrais de l'Ouest, c'est encore le noir animal, sinon toujours pour ce qu'il vaut, au moins pour ce qu'il a valu, pour ses résultats dans les terres que l'on défriche ou qui ont été défrichées depuis peu. La découverte de cet engrais ne date pas de loin, et, si nous sommes bien informé, voici en deux mots l'histoire de cette découverte : - M. Ferdinand Favre, de Nantes, eut un jour l'occasion de remarquer que les parties de son jardin, très-rapprochées de ces résidus de raffineries, offraient une végétation plus riche, plus luxuriante que les autres parties. Il se dit alors que les résidus en question pourraient bien être un engrais, qu'il n'y aurait rien d'étonnant à cela, puisque c'était un mélange de charbon d'os, de chaux de défécation, de sang et d'impuretés enlevés au sirop par la clarification. Il en fit l'essai sur une terre, il l'enfouit à titre d'engrais, s'en trouva bien, en parla et en fit parler. Les spéculateurs se chargèrent du reste et y trouvèrent leur compte, en même temps que l'agriculture y trouva le sien. Le noir animal, perdu jusqu'alors, formait des masses si considérables qu'on ne songea point d'abord à le falsifier; on était trop heureux de vendre à de belles conditions ce que l'on avait toujours considéré comme un embarras et une perte sèche.

A cette époque, des défrichements étaient entrepris sur une grande échelle dans nos départements de l'Ouest; des essais de noir animal eurent lieu à cette occasion, firent merveille, et bientôt on ne jura plus que par lui, si bien que les provisions s'en allèrent vite, très-vite, et que les raffineries n'y suffirent plus. Les prix haussèrent nécessairement, et un moment vint où le noir qui avait servi aux raffineurs coûta plus cher que celui qui n'avait pas encore servi. On acheta donc du charbon d'os en fabrique, pour le mélanger avec l'autre. Les récoltes s'en ressentirent; les cultivateurs revinrent l'année d'après moins con

tents que de coutume, mais enfin ils revinrent, et avec eux, de nouveaux acheteurs, des gens qui suivaient le flot. C'était à n'y plus tenir. Sur ces entrefaites, une idée passa par la tête des spéculateurs, une mauvaise idée, quelque chose de déloyal. Ils se rappelèrent qu'il existait dans les marais de Montoire, arrondissement de Savenay, une prodigieuse quantité de poussière de tourbe, qui passait pour n'être bonne à rien. Le cultiva teur voulait du noir d'os, on allait lui vendre du noir de tourbe. L'essentiel dans cette affaire, c'était la couleur. Il paraît que l'on s'en trouva bien et que d'aucuns ne s'en trouvent pas mal encore, puisque, nous assure-t-on, les tourbières de Montoire vendent à peu près 600 000 hectolitres de poussière, année moyenne.

Les cultivateurs ne tardèrent pas à s'apercevoir que le noir qu'on leur vendait n'était plus le bon, le vrai noir d'autrefois. Ils jetèrent les hauts cris; la police administrative prit les plaintes au sérieux, et il fut décidé que l'on réglementerait le commerce des engrais et qu'on forcerait les marchands à devenir honnêtes. Rien de mieux: mais comment s'y prendre, comment trouver la formule de l'engrais normal, à quels signes va-t-on le reconnaître ? On réunit les savants qui, tout de suite, formèrent deux petites chapelles : les uns voulaient qu'on s'en rapportât uniquement à l'azote, les autres à peu près uniquement au phosphate de chaux. Les partisans du phosphate de chaux eurent le dessus. On s'attacha donc à ce sel comme titre d'engrais; mais bientôt, à tort ou à raison, méchamment ou en conscience, on fit courir le bruit que du moment où les essayeurs avaient constaté la présence de la chaux dans l'engrais, ils ne s'occupaient pas toujours d'y rechercher l'acide phosphorique. Le bruit arriva aux oreilles des spéculateurs qui sont plus fins que les savants. C'était une planche de salut pour la fraude; elle s'y cramponna bien vite. On fit cuire de la chaux avec du coaltar ou goudron de houille, afin d'imiter le phosphate; on y ajouta au plus 30 pour 100 de charbon animal, puis de la poussière de tourbe, et l'on eut de l'engrais au titre. En effet, la chaux coaltarée se dissout dans l'eau forte ou acide azotique comme le phosphate de chaux, sans produire d'effervescence, et les deux dissolutions précipitent l'une comme l'autre par l'oxalate d'ammoniaque. Les essayeurs, dit-on, s'y sont laissé prendre plus d'une fois.

M. Malaguti, professeur de chimie près la faculté des sciences de Rennes, n'hésite pas à reconnaître que le noir résidu des raffineries ne suffisant plus aux demandes de l'agriculture, les fraudeurs eurent beau jeu. Il reconnaît également que les instructions données aux vérificateurs d'engrais n'atteignirent pas complétement le but qu'on s'était proposé. « Des noirs essayés d'après elles, et trouvés purs, dit-il, donnaient souvent de mauvais résultats ; d'autres, dans lesquels on avait cru reconnaître de la fraude, et dont pou:tant on avait établi le degré relatif d'efficacité, ne répondaient pas, dans la pratique, aux prédictions de la science; en un mot, si, à la suite de ces instructions, la défaveur n'augmenta pas, elle ne diminua

pas non plus assez pour tranquilliser les cultivateurs. M. Malaguti et M. Boussingault pensent que les vérificateurs n'avaient qu'un moyen d'atteindre le but, c'était de doser directement l'azote pour déterminer la valeur relative des noirs animaux en usage dans le commerce. Mais voici les marchands de noir frelaté qui jettent le masque et répondent que leur engrais est plus riche en azote que celui des raffineries. M. Malaguti ne nie point le fait, mais il réplique qu'il y a azote et azote, que celui du noir résidu est à l'état de sel ammoniacal et très-assimilable, tandis qu'on ne sait pas si l'azote des matières fécales, qui entre dans la composition des autres noirs, est ammoniacal et assimilable de la même manière.

Il n'y a de bien clair pour nous dans tout ceci que cette seule observation, à savoir que le noir résidu des raffineries vaut mieux que les noirs d'une autre sorte, quand même ceux-ci renfer meraient plus d'azote.

L'appréciation de M. Bobierre, juge très-compétent en matière de noir, est la seule qui nous satisfasse. Il divise le noir d'os en deux catégories. L'une comprend le noir résidu de raffinerie proprement dit, matière riche en azote et en phosphate de chaux et contenant, dans une heureuse proportion, les principes les plus utiles aux plantes; l'autre comprend le noir animal, substance le plus souvent grenue, ayant subi un grand nombre de revivifications, et dont l'emploi réussit spécialement dans le défrichement des landes. Le premier convient aux terres fatiguées par une longue culture, c'est-à-dire aux terres dégraissées et pauvres; le second n'y réussit point, tandis qu'il réussit au contraire, à merveille, dans les landes ou bruyères chargées de débris végétaux, parce que ces débris en fermentation produisent de l'acide carbonique qui favorise la dissolution du phosphate de chaux.

«Le noir agit-il par son azote ou par son acide phosphorique ? écrit M. Bobierre. Telle est la question qu'on s'est tout d'abord posée. Eh bien, disons-le: posée de cette manière, elle était insoluble. Aux environs de Paris, en effet, le noir animal résidu de la clarification agira, car il est azoté; mais le noir animal de Russie n'y produira aucun résultat, et cependant ce dernier engrais fait merveille en Bretagne. Donc, c'est seulement l'action relative des différents noirs, sur les terrains silicéo-alumineux de l'Ouest qu'il faut s'attacher à interpréter pour avoir une théorie juste de la propriété fécondante de cette catégorie d'engrais.

«La version la plus généralement accréditée dans l'Ouest attribue uniquement au phosphate de chaux le pouvoir fertilisant des noirs, et cette croyance est tellement enracinée chez les commerçants et les agriculteurs, que le dosage seul du phosphate détermine presque toujours le prix de ces engrais. >>

Les remarques de M. de Romanet s'accordent parfaitement avec cette version. Il constate que le noir appliqué à la dose de 4 hectolitres par hectare aux terres neuves ou de bruyère récemment défrichées, y donne de belles récoltes, tandis qu'à la même dose, il n'agit pour ainsi dire pas sur les

vieilles terres. L'humus des terres neuves fournit de
l'acide carbonique pour dissoudre le phosphate
de charx qui manque à ces terres, tandis que, dans
le second cas, les vieilles terres n'ont plus besoin
de phosphate, ou n'ont rien de ce qu'il faut pour
le dissoudre; M. de Romanet constate encore que,
dans les terres neuves, les céréales fumées avec le
noir animal peuvent donner plusieurs récoltes
successives sans que le produit s'amoindrisse, cir-
constance qui plaide nécessairement en faveur du
phosphate de chaux, indispensable à la formation
des graines. Il constate, en outre, que dans ces
mêmes terres neuves défrichées et non écobuées,
on obtient de suite, avec le noir, des récoltes que
l'on obtiendrait également avec le fumier d'étable
seul, mais seulement au bout de trois ou quatre
ans, circonstance qui tend à établir que le phos-
phate de chaux joue le principal rôle dans l'o-
pération. M. de Romanet a remarqué aussi que
les terres de défrichement, chaulées ou marnées
en même temps qu'on y répand le noir ou peu de
temps auparavant, n'accusent pas d'aussi bons
résultats en récoltes de grains que dans les cas où
le noir est seul appelé à intervenir. Cela étant, ne
serait-on pas en droit de supposer que l'acide car-
bonique des débris végétaux en décomposition af-
faiblit son action en la partageant, et que si cet
acide ne s'employait pas en partie à dissoudre la
chaux ou l'élément calcaire de la marne, il s'em-
ploierait entièrement à dissoudre le phosphate du
noir animal et en fournirait ainsi une quantité
plus considérable aux récoltes. Enfin, le même
observateur nous apprend que les parties de lan-
des qui servent de passage aux animaux domesti-
ques, aux oies, aux dindons, etc., sont les premières
à produire de bonnes céréales quand on fume la
lande défrichée avec dù fumier de ferme, tandis
qu'elles profitent moins que les autres parties
d'une fumure au noir. Selon nous, la différence |
s'expliquerait ainsi : Sur le passage des animaux,
la bruyère disparaît et ne donne par conséquent
plus de détritus; à sa place, l'herbe pousse et le
bétail la broute. Voilà donc une source d'acide
carbonique qui s'affaiblit ou se tarit avant le défri-
chement; par conséquent, le phosphate du noir
ne s'y dissoudra point en quantité aussi notable
qu'ailleurs. Mais d'un autre côté, et en même
temps que l'humus végétal s'use à produire de
l'herbe fine sur les chemins où passent les bêtes,
celles-ci y déposent de l'engrais, et la volaille no-
tamment enrichit ces chemins de phosphates assi-
milables, dont la quantité est largement suffisante
aux récoltes à l'époque du défrichement. Or,
quand, après avoir pratiqué cette opération, on ré-
pand sur la terre du fumier d'étable qui ne con-
tient que des traces de phosphate, les parties oc-
cupées autrefois par les chemins, ne souffrent pas
de la disette et produisent de suite. Quand, au
contraire, on fume avec le noir, les parties de
bruyères profitent de leur humus en même temps
que du phosphate, tandis que les autres n'ont plus
d'humus au service de la récolte et n'ont pas be-
soin de phosphate. Ce qui leur manque, c'est
l'engrais végétal; elles sont relativement plus
pauvres que la terre de bruyère.

Dans les campines belges, où l'humus manque,

le noir des raffineries d'Anvers n'a pas eu de su c-
cès. Il en aurait eu peut-être dans les bruyères
de l'Ardenne où l'on ne s'en est pas servi.
Les effets du noir animal pur, si marqués à
l'époque des défrichements, diminuent peu à peu,
et au bout de quelques années de culture, huit, díx
ou douze ans, cet engrais n'agit plus, parce que les
terrains assez riches en phosphate de chaux n'ont
plus besoin d'en recevoir de nouvelles doses. Mais
le noir résidu des raffineries agit toujours en
vertu du sang dont il est imprégné.

On répand le noir au moment de recouvrir la semence avec la herse et dans la proportion de 4 ou 5 hectolitres seulement. On peut aussi l'humecter, y rouler les graines et semer ces graines pralinées. Dans le cas particulier, ce second procédé nous paraît tout aussi avantageux, si ce n'est plus, que le premier.

« Les noirs d'os des résidus de raffinerie, dit M. Rohart, contiennent en moyenne 60 p. 100 de phosphate de chaux, et vers 1820, ils valaient 2 fr. l'hectolitre du poids de 95 kilogrammes ou 2 fr. 11 les 100 kilogrammes. Abstraction faite de la richesse en azote, nous avons ainsi le phosphate de chaux à raison de 3 fr. 52 les 100 kilogr. Les mêmes résidus ont été cotés à Nantes, en 1857, jusqu'à 24 francs l'hectolitre, soit 25 fr. 30 les 100 kilogrammes, contenant 60 kilogrammes de phosphate de chaux, dont le prix d'achat est alors de 42 fr. 20 les 100 kilogrammes au lieu de 3 fr. 52 que nous venons de trouver. En présence de pareils chiffres, on est forcé de se demander comment l'agriculture pourrait nous livrer ses produits sans augmentation de prix.>>

Sulfate d'ammoniaque. Toutes les fois que l'on répand du plâtre ou de la couperose verte (sulfate de fer), ou bien encore de l'acide sulfurique (huile de vitriol), sur des matières animales en fermentation, sur les fumiers, les matières fécales, les urines, les chairs en voie de pourriture, il se forme du sulfate d'ammoniaque. Toutes les fois aussi que l'on fabrique du noir animal et que l'on oblige les produits gazeux à passer par l'appareil de Woolf, on peut obtenir du sulfate d'ammoniaque en ajoutant de l'acide sulfurique à l'eau contenue dans les tonnes de l'appareil. Pour notre compte, nous en avons préparé ainsi des quantités importantes, et à diverses reprises, nous avons constaté l'énergie de cet engrais. L'essai le plus concluant fut celui-ci. Nous recommandâmes un jour au commis de la fabrique d'arroser une planche de carottes avec une dissolution de sulfate d'ammoniaque, et le premier arrosoir fut répandu en notre présence. Sur ces entrefaites, une personne étrangère vint nous visiter et l'opération se trouva interrompue. Elle ne fut point reprise, et nous pûmes remarquer que la partie arrosée n'était pas à comparer pour la beauté des produits à la partie oubliée. Si nous avions douté de l'énergie de cet engrais, le doute eût été levé par ce résultat significatif. Malgré cela, il résulte d'expériences suivies, que son usage exclusif ne donnerait pas longtemps des résultats marqués. Comme la plupart des engrais liquides, il ne dispense pas des fumiers, et le mieux, c'est de s'en servir pour ar

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Chiffons et déchets de laine. — Qu'est-ce | que la laine? un produit animal. On a beau la laver, la teindre, la peigner, la filer, en faire des habits, des châles, de la flanelle ou des chaussettes, elle ne change point de nature, elle reste après ce qu'elle était avant. Or, du moment que c'est un produit animal, c'est un engrais aussi, et un des meilleurs, soit dit en passant. Nous avons vu que ce qui vient des bêtes, chair, sang, poils, cornes, sabots, ongles, est bon pour fumer la terre; pourquoi donc, cela étant, la laine qui nous vient des moutons, ne serait-elle pas bonne au même titre? Durant nous ne savons combien de siècles, les cultivateurs n'y ont point songé; il ne leur est pas venu à l'esprit qu'avec des lambeaux de vieilles culottes et de vieux bas, on pouvait à la rigueur se passer de fumier; ou bien il peut se faire que d'aucuns aient eu peur du ridicule et de la moquerie.

Hy a trente ou quarante ans, les marchands de loques qui parcouraient nos villages, uniquement pour le compte des papeteries, n'achetaient que les chiffons de toile et rebutaient ceux en laine, dont nos ménagères ne savaient que faire. A cette heure, on ne les rebute plus, on les recherche, au contraire, pour les livrer à l'agriculture et aux fabricants de bleu de Prusse.

Depuis quelle époque, la laine est-elle employée comme engrais. Sur ce point, nous confessons trèshumblement notre ignorance. Olivier de Serres n'en dit mot; Chomel n'en dit pas davantage; les commentateurs du Théâtre d'agriculture se taisent également sur ce sujet; l'abbé Rozier se contente de classer la laine parmi les engrais animaux et ne parle point de son application; Van Aelbroeck, si nous avons bien lu, garde le même silence. Ce ne fut que vers 1819 ou 1820 que l'on commença à s'en occuper sérieusement. A cette époque, la société d'agriculture du département de la Seine honora d'un accessit sinon l'auteur de la découverte de ce nouvel engrais, au moins son importateur. Le Journal d'agriculture du royaume des Pays-Bas, qui signale la chose à notre attention, rapporte aussi que vers 1810, et même avant, on commençait en Belgique, à tirer parti de la laine au profit de l'agriculture. Voici ce que lui écrivait

à ce sujet, le 9 février 1820, M. Lesneucq, secrétaire de la régence de la ville de Lessines (Hainaut) :

- « Les engrais en usage dans notre canton étant les fumiers, les cendres de mer et la chaux, et les premiers étant insuffisants, et ne pouvant nous procurer les deux autres qu'à grands frais, à cause de l'éloignement, on a cherché longtemps à parer à ces inconvénients. Nous avons remarqué que les chiffons de laine, haillons, etc., que nous jetions autrefois dans les rues, pouvaient tenir lieu du meilleur engrais, que ces mêmes chiffons étaient les trésors les plus précieux que l'on pût découvrir en faveur de l'agriculture.

« Il est résulté des expériences faites, que ce nouvel engrais est le plus fort et le meilleur de tous nos engrais; qu'il est propre à tous les sols, mais qu'il fait meilleur effet dans les terres fortes que dans les légères; que les récoltes qui en proviennent ne se distinguent pas seulement par leur qualité, mais aussi par leur quantité; qu'il est aussi de plus de durée ou que ses effets se prolongent beaucoup plus longtemps que ceux des meilleurs fumiers, et qu'enfin il y a économie dans son emploi.

« Une fumure de 2,800 kilogr., de ces chiffons, répandus sur un hectare, suffit pour cinq récoltes, et se fait en une seule fois, tandis que nous devons fumer deux fois pendant cet intervalle avec les meilleurs fumiers.

« On dépose ces chiffons dans un endroit creux: on les imprègne d'un peu d'eau et on les laisse ainsi fermenter pendant huit jours: ce temps suffit pour le commencement de la pourriture. Alors, on les éparpille, comme cela se pratique pour les fumiers ordinaires, sur la partie qu'on a intention de fumer. Avant de labourer, il est à observer qu'il convient de déchirer les grandes pièces pour en faciliter l'enfouissement.

« D'autres, et surtout lorsqu'on les emploie pour les pommes de terre, les font porter dans un panier pour les joncher dans le sillon, que trace le laboureur, tandis que deux autres personnes le suivent et plantent la pomme de terre sur ces chiffons. »

Voilà l'instruction la plus ancienne qui soit à notre connaissance, et nous la conservons comme un monument historique. La solidité du fond rachète les imperfections de la forme.

M. de Dombasle se servait de chiffons de laine pour fumer ses houblons et aussi pour fumer des céréales; mais, dans ce dernier cas, il ne les employait pas seuls; il les mêlait aux fumiers deux ou trois mois à l'avance. Avec quatre ou cinq voitures de fumier et 12 ou 1500 kilogrammes de chiffons, il formait un compost suffisant pour la fumure d'un hectare.

De nos jours, en Angleterre, on fait le plus grand` cas de cette sorte d'engrais, principalement dans les localités où les houblonnières abondent. Ainsi, dit-on, les fermiers de Kent, de Sussex, d'Oxford et de Berkshire en consomment jusqu'à 20 millions de kilogrammes par année, à raison de 1500 à 1600 kilogrammes par hectare et au prix variable de 90 à 125 francs les 1000 kilogrammes. Ces mêmes fermiers répandent quelquefois aussi les chiffons sur les terres destinées au froment et

à la pomme de terre, et ils assurent que leur effet est surtout remarquable dans les sols légers et calcaires. C'est aussi la manière de voir de Sinclair; mais ce n'est point celle de M. Boussingault: — « Je n'ai pas remarqué qu'il en soit ainsi, écrivait-il en 1844. Dans le sol très-sec d'une vigne fumée par cette méthode, j'observe que les chiffons se décomposent très-lentement, et jusqu'à présent l'effet en a été très-peu sensible. »> On pourrait répondre à M. Boussingault que, sous le climat de la Grande-Bretagne, on est toujours assuré de trouver, même dans les terrains légers, l'humidité nécessaire à la décomposition de la laine, tandis qu'il n'en est peut-être pas ainsi sous le climat où il a expérimenté.

Selon nous, les chiffons de laine sont applicables à tous les terrains légers des contrées brumeuses, pluvieuses ou rapprochées de la mer, tandis que sous les climats doux et secs, ils conviennent particulièrement aux argiles. Il va sans dire qu'accidentellement, par une année humide, ils produiraient des effets plus remarquables, dans les pays méridionaux mêmes, sur les terres légères que sur les terres fortes, mais l'exception n'est pas la règle. Les chiffons ne conviennent pas à toutes les plantes au même degré. C'est l'engrais par excellence des houblons, des pommes de terre, des colzas, navettes, navets, choux, de toutes les crucifères, en un mot, et aussi des orangers.

Les chiffons se décomposent lentement et agissent en conséquence pendant quatre, cinq et six ans. Ce doit être un avantage pour la culture des végétaux qui vivent plusieurs années et dont les racines ne descendent pas à une grande profondeur, pour la culture des jeunes arbres en pépinière, par exemple, des arbres verts surtout; mais c'est un inconvénient pour les végétaux à croissance rapide et de courte durée. Dans ce dernier cas, il ne faut point répandre les chiffons secs sur le sol, juste au moment des semailles; il faut les enterrer au commencement du mois d'août pour les semailles d'automne, et au mois d'octobre pour les semailles du printemps. Dans l'intervalle, les chiffons s'humectent, fermentent, commencent à pourrir, et quand vient l'heure de semer, les graines profitent de suite de l'engrais. Dans le cas où l'on voudrait se dispenser d'enfouir les chiffons à l'avance, il suffirait de les jeter dans un trou, lit par lit, de saupoudrer chaque lit avec quelques poignées de cendre de bois, de tourbe ou de houille, et de répandre sur le tout de l'eau chaude ou tiède. Au bout de cinq ou six semaines, l'engrais sera bon à employer et il agira de suite.

Une seule fois, il nous est arrivé d'envelopper à demi nos plants de pommes de terre avec des loques sèches, et la récolte fut fort belle. Mais, à ce propos, vous voudrez bien noter en passant qu'avec les pommes de terre, la levée n'est pas aussi prompte qu'avec les céréales, et que la décomposition des loques a le temps nécessaire pour se produire.

M. Delonchamps, cultivateur dans le département de Seine-et-Marne, s'y prenait de la manière que voici pour fumer ses terres : Il mettait par hectare 3000 kilogrammes de chiffons, et trois

ans plus tard 45 000 kilogrammes de fumier; puis de la laine, puis du fumier, alternant ainsi tous les trois ans. Sa fumure en laine lui revenait alors à 180 francs, il estimait celle en fumier 315 francs. A la place de M. Delonchamps, nous eussions adopté de préférence le procédé de M. de Dombasle, qui consistait à mélanger les chiffons et le fumier et à s'en servir en même temps. En fait d'engrais, les mélanges sont toujours avantageux. En Belgique, on se sert des chiffons de laine, principalement pour la culture des arbres fruitiers et des pommes de terre. En 1859, cet engrais coûtait, à Bruxelles, 6 francs les 100 kilogrammes et nous ajoutons qu'il n'était pas irréprochable.

Autant que possible, on doit bien diviser les chiffons de laine avant de s'en servir; plus ils sont menus, mieux ils valent. Cependant, il y aurait peut-être une exception à établir à l'endroit des pommes de terre cultivées dans des sols d'une certaine consistance, attendu que les larges loques tiennent la terre soulevée et favorisent le développement des tubercules.

En Angleterre, on se sert, pour diviser les loques, de la machine à couper les turneps; ailleurs, on emploie une lame de faulx que l'on fait jouer sur un billot. Ailleurs encore, lorsque l'on a eu soin de répandre les chiffons sur les champs plusieurs semaines et plusieurs mois avant de les enterrer, on fait passer sur ces champs des ouvriers. qui déchirent avec la main les plus grosses loques, et d'autant plus facilement qu'alors elles commencent déjà à se décomposer. Nous avons fait en petit l'essai de deux cylindres armés de crocs en fer, et n'avons eu qu'à nous louer de l'essai. La laine déchirée nous paraît préférable à la laine coupée, en ce sens que la première présente moins d'obstacles à une répartition uniforme et agit plus vite que la seconde.

Bourre de soie et larves de vers à soie.· La soie, comme la laine est le produit d'un animal; donc les déchets des établissements, où l'on travaille la soie, sont un engrais. On aurait tort de les perdre. Les larves et excréments des vers à soie sont également un engrais qui a, sur le précédent, l'avantage d'un effet plus rapide. Quant à l'emploi de l'un et de l'autre, nous dirons que ce qui vient du mûrier ou de l'ailante doit retourner au mû- · rier ou à l'ailante.

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