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tateurs serviles de nos voisins d'outre-Manche, et que l'ambition de nos sportsmen est de lutter avantageusement avec eux. L'intérêt et la vérité de la comparaison établie par M. Youatt entre les coureurs des anciens temps et ceux de l'époque actuelle nous fera pardonner la longueur de notre citation.

«Que sont aujourd'hui, se demande-t-il, nos chevaux de course? Ils sont plus rapides, ce serait une folie de le nier; ils sont plus longs, plus légers, encore bien musclés, quoiqu'à cet égard ils aient perdu beaucoup de leurs qualités d'autrefois. Ce sont des animaux aussi beaux qu'il soit possible de le désirer, mais la plupart sont rendus avant que la moitié de la course soit achevée, et sur quinze ou vingt, il n'y en a que deux ou trois qui restent en pleine possession de leur énergie. «Puis, que deviennent-ils une fois la lutte achevée ? Dans ces rudes courses des premiers temps, le cheval se représentait dans l'arène sans qu'aucune de ses facultés eût souffert la moindre atteinte, et dans une longue série d'années il était prêt à entrer en lutte avec ses rivaux. Aujourd'hui, une seule course comme celle du Derby rend le gagnant incapable de courir jamais, et cependant la distance est seulement de 1 mille 1/2. Celle du Saint-Léger est encore plus dommageable pour le vainqueur, quoique la distance ne soit que de moins de 2 milles.

« Aujourd'hui, lorsque la course est achevée et que quelques gros enjeux ont été gagnés, l'animal vainqueur est emmené de l'hippodrome les flancs déchirés par l'éperon, les côtes ruisse lant de sueur, les tendons forcés ; et c'est une chance rare si jamais plus on entend parler de lui ou si l'on y pense: il a rempli le but pour lequel on l'avait élevé, et tout est dit.

« Il n'appartient pas à la nature humaine d'être satisfaite, même de la perfection. On essaya si l'on ne pourrait pas obtenir encore plus de vitesse. On réussit, mais cette fois ce ne fut pas sans amoindrir dans un certain degré la puissance d'action. Tels furent, par exemple, Shark et Grimcrack, dans lesquels la vitesse fut augmentée un peu aux dépens de la force. Il est facile de se figurer maintenant quelle a dû être la conséquence dernière de ce système.

« Le grand principe étant d'obtenir de la vitesse, c'est aux conditions de la vitesse qu'on s'est principalement attaché dans le choix des reproducteurs, celles d'où dépend la force étant placées en seconde ligne.

« La conséquence de ce système a été la création d'un cheval aux formes allongées, aussi beau que ses prédécesseurs, sinon plus, mais laissant voir aux yeux du véritable connaisseur des muscles moins développés, des tendons moins saillants, un garrot plus tranchant, mais recouvert de muscles moins puissants. La vitesse fut portée au degré le plus extrême qui ait jamais pu être rêvé; mais le fond, la force de résistance à la fatigue, l'endurance, fut incroyablement diminué. On ne tarda pas à en avoir la preuve. Ces chevaux de nouvelle création ne purent parcourir la distance que leurs prédécesseurs franchissaient avec tant de facilité. Les épreuves tombèrent de mode; on les qualifia, avec trop de vérité, hélas ! de dures et de cruelles, et force fut bien de raccourcir dé moitié les distances consacrées aux épreuves ordinaires.

« Un tel résultat ne devait-il pas être suffisant pour convaincre les éleveurs de la marche vicieuse qu'ils avaient suivie ? sans doute, pour peu qu'ils voulussent se donner la peine de réfléchir. Mais « Et par quelle aberration tout cela s'est-il ac- le moyen de réparer cette erreur? Comment compli ? Comment se fait-il que des hommes ho- retourner sur ses pas et en revenir à l'élément norables et pleins d'habileté aient conspiré ensem- fondamental du bon cheval, la force, la puissance ble pour altérer le caractère du cheval de course d'action, actuellement que l'élevage était pouret, par son influence, celui des races anglaises en suivi dans de faux errements? Et puis les courses général ? Ce n'est pas le fait d'une conspiration; de peu de longueur étaient devenues de mode; c'est la conséquence de la marche naturelle des en deux ou trois minutes l'affaire était terminée; choses. Le cheval de course du commencement et on échappait à ces longues heures d'incertitude même du milieu du dernier siècle était un puis- qu'exigeaient nécessairement les sept ou huit sant animal, aux formes élégantes, qui avait au- épreuves de seconde main dans les luttes contant de vitesse qu'on en peut désirer, et qui joi- testées. Et puis enfin, comment lutter contre la gnait à cela une puissance d'action inépuisable. toute-puissance de la mode? Mais quelle force de Celui qui élevait des chevaux pour le turf, à cette résistance ont les chevaux? Aucune. On les a époque, pouvait avoir la conviction bien. satis- élevés pour la vitesse; on l'a obtenue. Les courses faisante que l'animal avec lequel il espérait ac- avec eux sont devenues populaires parce qu'elles complir ses desseins rendrait en même temps d'u- sont très-courtes; elles ne comportent plus de tiles services à son pays; mais, en se proposant marches alternées comme autrefois, si ce n'est de faire des chevaux capables de gagner des prix, pour les prix du roi. Ces courses royales auraient • il fut naturellement conduit à essayer d'ajouter dû être réservées, dans l'intérêt et pour l'honneur un peu plus de vitesse à la puissance d'action. du pays, à l'encouragement de l'élevage de l'anCette tendance à alléger produisit Mambrino, cien cheval d'une supériorité sans rivale. On auSweet-Briar et d'autres, qui avaient perdu un peurait toujours ainsi le moyen de réparer les erreurs de la compacité (compactness) de leurs formes; qui étaient débarrassés d'une partie de leur étoffe (coarseness), mais sans avoir perdu de la capacité de leur poitrine, de la musculation développée et puissante de leurs membres; animaux dont la vitesse était certainement accrue, sans que leur vigueur fût en rien diminuée.

commises aujourd'hui par les principaux personnages du sport; et, en vérité, lorsque l'on considère l'état actuel du cheval de chasse et du cheval de route, on voit qu'il y a bien des raisons qui militent

en faveur de ce retour vers les errements anciens.

« Il y a une conséquence particulière des courses de peu de longueur qui n'a peut-être pas été

suffisamment prise en considération. Dans l'ancien système, les qualités réelles (trueness) et la force assuraient presque constamment le prix au cheval qui le méritait le mieux; mais avec les chevaux d'aujourd'hui et les courtes épreuves de 2 ou 300 yards auxquelles on les soumet, le jockey joue un rôle principal dans la lutte. Si les animaux sont à peu près d'égale force, tout dépend de lui. Pour peu qu'il ait confiance dans la force de son cheval, il peut distancer tous ses compétiteurs ou bien, ménageant sa monture rapide mais sans fond jusqu'au dernier moment, il peut atteindre le poteau avec la vitesse d'une flèche avant que son rival ait eu le temps de rassembler son cheval pour lui faire faire le dernier effort

« On ne saurait nier que la conscience qu'a le jockey de son pouvoir, et le compte qu'il sait être appelé à rendre de la manière dont il en aura fait usage, ont conduit à l'emploi de pratiques plus cruelles dans les courses de nos jours que dans celles des anciens temps.

« L'habitude développait dans le cheval d'autrefois le sentiment de l'émulation et celui de l'obéissance. Une fois la course commencée, il comprenait ce que lui demandait son cavalier, et il n'était pas nécessaire de recourir à l'usage du fouet ou de l'éperon pour le porter en avant s'il était capable de gagner.

« Forester est une preuve suffisante de ce que nous avançons. Il avait gagné plusieurs courses rudement contestées; mais un jour malheureux i entra en lice avec un cheval extraordinaire, Éléphant, appartenant à sir Jenuisson Shaftoc. La distance à parcourir était de 4 milles, en ligne droite. Ils avaient franchi la partie plate du terrain, et se trouvaient sur le même niveau à la montée. A peu de distance du poteau, Eléphant ayant en ce moment un peu gagné sur Forester, ce dernier fit tous les efforts possibles pour recouvrer le terrain perdu; mais voyant qu'ils étaient sans résultat, d'un bond désespéré il se rapprocha de son antagoniste et le saisit par la mâchoire pour le maintenir en arrière ; on eut beaucoup de peine à lui faire lâcher sa prise.

« Un autre cheval, appartenant à M. Quin, en 1753, se voyant dépassé par son adversaire, le saisit par un membre, et les deux jockeys furent obligés de descendre de cheval afin de séparer

leurs montures.

« Les chevaux de nos jours ne sont pas animés de ce sentiment d'émulation et disposés à épuiser toutes leurs forces dans un suprême effort, et il faut, pour que leurs propriétaires puissent gagner le prix de la course, qu'ils soient cruellement excités par leurs cavaliers, jusqu'à extinction de leurs forces; aussi arrive-t-il souvent qu'ils sortent de l'hippodrome estropiés pour la vie.

« C'est là une conséquence fatale du système actuel; ce sont là les fonctions des jockeys de nos jours, fonctions qu'un certain nombre d'entre eux accomplissent avec une sorte d'orgueil; mais un tel état de choses ne devrait pas être toléré, et le système dont il est l'expression devrait être promptement et radicalement réformé (1). »

(1) The Horse, publié à Londres en 1846 sous la direction de a Société pour la propagation des connaissances utiles, par

Depuis la publication du livre auquel nous avons emprunté ce récit fidèle des choses du turf, leur situation n'a fait qu'empirer, en Angleterre comme en France. C'est que les raisons de ces choses n'ont point cessé d'agir; et si Fon veut bien y réfléchir, on s'apercevra sans peine qu'il ne pouvait en être autrement, quelques efforts que fissent les hommes éclairés pour s'y opposer. Les institutions, nous l'avons déjà dit, obéissent à leur logique; et l'auteur lui-même que nous venons de citer déduit fort bien les motifs des faits qu'il constate avec une si douloureuse conviction. Les courses sont pour les uns un amusement public, fort recherché et très à la mode parmi les gens du monde et du demi-monde, qui y trouvent une excellente occasion d'étaler leur luxe de bon ou de mauvais aloi, et d'autant plus recherché que cet amusement offre des péripéties plus nomibreuses et plus variées; pour les autres, les courses sont un jeu de la suprême fashion où, comme sur le tapis vert du lansquenet, pour un qui s'enrichit cent autres dépensent en pure perte des sommes folles, ou se ruinent complétement. Envisagées à ce point de vue, qui est celui de leur véritable raison d'être, nous n'avons pas, encore un coup, à nous en occuper. La zootechnie n'a rien à voir dans la question des jeux publics. Tout au plus la société protectrice des animaux pourrait-elle intervenir, pour faire sentir ce qu'il peut y avoir de cruel à sacrifier ainsi de pauvres bêtes aux divertissements frénétiques et aux passions de quelques désœuvrés, pour lesquels le spectacle d'une course est chose fade, tantque les coureurs n'ont pas dépassé les limites de leur puissance physiologique, dussent-ils en mourir.

Mais il nous appartient d'examiner si des chevaux uniquement faits en vue de ce spectacle, et réunissant dans leur constitution les conditions qu'il nécessite, sont capables d'améliorer leur espèce. Ce n'est qu'à ce compte, en effet, que les courses pourraient être considérées comme des encouragements réels de l'industrie chevaline, comme des moyens de provoquer les améliorations.

Pour quiconque n'est pas un croyant de ce que l'on a appelé le dogme du pur sang; pour quiconque, ayant quelques notions de physiologie, ne saurait admettre, ainsi que nous l'avons fait voir, que ce principe prétendu de toute perfection puisse être considéré indépendamment de la forme qui le contient, il n'est pas possible de douter un seul instant de l'erreur d'une semblable prétention. Si l'on songe à la loi d'hérédité, que nous avons formulée telle qu'elle se déduit scientifiquement de l'observation, et en vertu de laquelle les procréateurs transmettent à leur descendance seulement les caractères qu'ils ont euxmêmes, on verra ce que peut donner le cheval de course, dont M. Youatt nous traçait tout à l'heure le portrait fidèle, au point de vue de ce que nous devons considérer comme des améliorations. Il n'est sans doute pas nécessaire d'insister à présent pour convaincre le lecteur que si ce M. William Youatt, traduit par M. H. Bouley, Bibliothèque vêtérinaire, t. I, p. 250.

cheval possède incontestablement tout ce qu'il faut pour procréer des chevaux de course semblables à lui, il ne nous offre rien, mais absolument rien, de ce qui est la condition essentielle du cheval de service tel que nous devons le désirer. Ses qualités absolues même sont en ce sens de véritables défauts, en raison de leur propre exagération. Cette énergie portée à un si haut degré, mais si fugace, qui est la condition d'une vitesse excessive obtenue au détriment du fond, de ce que M. Youatt appelle l'endurance, première qualité du cheval de service, cette énergie est pour les produits du cheval de course un funeste présent. Et il ne s'agit point seulement ici de prévisions plus ou moins fondées sur les données générales de la science zootechnique. L'expérience avait depuis longtemps fourni aux observateurs attentifs de nombreuses occasions de constater ce fait, lorsque les résultats de la campagne de Crimée, en 1855 et 1856, sont venus en donner une preuve éclatante et à l'abri de toute contestation. Les rapports de tous les vétérinaires de notre cavalerie, dont les régiments ont pris part à cette expédition avec ceux de l'armée anglaise, ont été unanimes pour constater que les chevaux qui ont d'abord succombé aux fatigues et aux privations de la campagne, sont ceux de la cavalerie anglaise, qui a été véritablement décimée, puis, parmi les nôtres, ceux qui étaient le produit d'un croisement anglais; les vétérinaires ont en outre remarqué et noté que, entre ces derniers, ceux-là succombaient d'autant plus tôt qui avaient davantage, comme l'on dit, de sang anglais. Les seuls qui aient résisté jusqu'à la fin à toutes les misères, sont les chevaux de notre, cavalerie africaine, ces chevaux algériens ou barbes, qui possèdent si bien les vraies qualités du cheval de service et de guerre, la rusticité, la sobriété, la résistance à la fatigue et aux privations (1).

avaient rendu dans ces derniers temps ces changements nécessaires. Il nous a fait voir par là que le cheval de course est bien véritablement un produit de l'industrie humaine. Or, si dans le cas les effets de cette industrie peuvent être tenus pour déplorables, au point de vue de l'amélioration générale de l'espèce, il n'en est pas moins vrai qu'à raison du but spécial qu'il s'agissait d'atteindre, leur efficacité porte avec elle un enseignement précieux. Elle témoigne de cette puissanee de l'intervention de l'intelligence humaine, dans la direction des aptitudes des animaux, dont il ne tient qu'à nous de faire un usage plus rationnel et plus utile. Il n'est pas plus difficile de faire un boeuf ou un mouton de boucherie, un cheval de service, de selle ou de trait, par les procédés zootechniques basés sur la science, que cet animal rapide, tout nerf, grêle et efflanqué, que nous représente le cheval de course actuel.

Si les courses contribuaient seulement à faire passer cette vérité dans l'esprit de tous les éleveurs, nous n'aurions point à regretter les sommes énormes qui sont affectées à leur encouragement; et il y aurait à coup sûr dans ce résultat de quoi compenser largement les atteintes qu'elles peuvent porter, en tant que jeu public, à notre morale de convention.

Nous sommes maintenant arrivés au terme de notre revue des encouragements appliqués immédiatement à l'amélioration des animaux; il ne nous reste plus qu'à examiner les institutions capables d'avoir une action médiate ou indirecte dans le même sens. Ces institutions sont celles qui touchent à la circulation desdits animaux comme valeurs commerciales, et influent par conséquent sur leur production d'une manière favorable ou défavorable, suivant qu'elles ont pour effet d'en augmenter ou d'en diminuer le prix courant. En discutant successivement celles exis

nes et octrois, et les mesures relatives à l'achat des produits par l'État pour les remontes de l'armée et des dépôts d'étalons, nous aurons des occasions suffisantes d'exposer les vrais principes en cette matière, qui sont ceux de la liberté. C'est dire que nous n'aurons point à proposer d'institutions nouvelles pour l'encouragement ou la protection de l'industrie du bétail.

Loin donc d'être un encouragement à l'amélioration de l'espèce chevaline, les courses, envisa-tantes, et qui sont les diverses impositions, douagées comme moyen de favoriser la production d'étalons capables de perfectionner cette espèce par le croisement, n'ont jamais conduit, et ne peuvent conduire jamais qu'à des résultats désastreux. Elles sont un stimulant puissant, et sans doute le seul, pour l'élevage du cheval spécial qui convient aux exercices qu'elles comportent; et à ce titre elles nous fournissent la démonstration pratique d'un fait théorique de la plus grande importance pour la zootechnie, et que nous ne devons pas négliger.

Les courses, en effet, mettent en évidence, mieux qu'aucune autre opération zootechnique, l'influence considérable des procédés, pour ainsi dire tout-puissants, à l'aide desquels nous pouvons modifier les animaux dans le sens des services que nous en voulons obtenir. L'auteur anglais que nous citions plus haut, nous a fait assister aux changements, fâcheux suivant lui, subis par la conformation et les aptitudes du coursier d'hippodrome, à mesure que les exigences de la mode

(1) Recueil de mémoires et observations sur l'hygiène et la médecine vétérinaires militaires, rédigé sous la surveillance de la Commission d'hygiène hippique, t. IX, p. 510. — Oa la Culture, L. II, année 1860-61, p. 131.

Douanes.

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Pendant longtemps, la plupart des agriculteurs ont été convaincus que la production animale ne pouvait prospérer en France, qu'à la condition d'être suffisamment protégée contre la concurrence étrangère. En 1849, une enquête fut ouverte sur cet objet, principalement en ce qui concerne les animaux de boucherie, et les réponses obtenues des associations agricoles furent à peu près unanimes pour établir que, dans l'opinion des producteurs, c'en serait fait de notre industrie nationale si, par le maintien des droits élevés de douane frappés sur les bestiaux étrangers destinés à venir sur nos marchés intérieurs, l'introduction de ces bestiaux ne continuait pas d'étre par le fait prohibée. Chacun croyait, de la meilleure foi du monde, et sans cependant pouvoir

étayer cette conviction sur aucune donnée exacte, et précise, que notre agriculture n'était pas en mesure de produire le bétail à un prix de revient assez bas pour lutter avec celle des pays qui nous entourent; que, par conséquent, l'abaissement de la barrière qui s'opposait à la libre entrée des animaux étrangers serait le signal d'un envahissement de nos marchés, et par là de la ruine de notre agriculture, à la prospérité de laquelle l'in dustrie animale est si étroitement liée, ainsi que nous l'avons montré dans les premiers chapitres de ce travail. Les craintes à cet égard étaient tellement vives et profondes, que l'on entendit un jour le maréchal Bugeaud, qui était à la fois, comme on sait, soldat et agriculteur, dire dans une de nos assemblées législatives, qu'il redouterait moins pour la France un nouvel envahissement de Cosaques, qu'une invasion par le bétail étranger.

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dustrie du bétail considérée dans son ensemble. Que cela puisse produire quelque effet sur les marchés de nos frontières, on le comprend à la rigueur, quoique rien ne soit moins démontré ; mais, pour peu que l'on fasse attention à la nature de la marchandise dont il s'agit, et qui a pour caractère essentiel de commander une vente immédiate, sauf à dépérir ou à occasionner au négociant des frais qui grèvent singulièrement le prix de revient et diminuent d'autant ses chances de bénéfice; il n'est pas possible d'admettre que cette marchandise devienne jamais chez nous l'objet de spéculations considérables et de transports à de grandes distances, quelques facilités que les chemins de fer aient apportées pour cela. On ne concevrait point, pour ces raisons, que la production nationale ne demeurât pas maîtresse du marché intérieur, quand même l'expérience ne se serait pas déjà prononcée sur ce point. La concurrence étrangère n'a jamais été ici qu'un épouvantail imaginaire, créé par les habiles pour le maintien d'un système dont ils profitaient à d'autres égards. II était bon d'abriter ce système sous l'égide des intérêts agricoles, les plus respectables de tous assurément, parce qu'ils sont ceux du plus grand nombre des producteurs et de l'universalité des consommateurs. En cela, les agriculteurs étaient pris pour dupes, car, en échange d'une protection plus qu'illusoire de leurs propres intérêts, on s'en était fait des auxiliaires ardents pour le maintien d'une protection bien réelle et bien efficace, celle-là, mais tout à leur détriment.

Aujourd'hui, ces craintes sont bien calmées. Et sans qu'il soit nécessaire de rechercher en détail les motifs du changement qui s'est opéré dans les esprits, ce qui nous conduirait à faire une étude de la question des douanes en général, hors de propos ici, il suffira de dire qu'on en trouve la principale raison, pour le point qui nous occupe, dans une expérience maintenant assez prolongée pour être concluante. Depuis 1854, époque à la quelle, sous l'empire de nécessités impérieuses, les anciens droits prohibitifs à l'entrée du bétail étranger ont été réduits aux proportions de simples droits protecteurs presque insignifiants, le prix des animaux sur nos marchés n'a pas cessé de suivre une marche progressivement ascendante. L'évidence d'un pareil fait ne pouvait manquer de frapper tout le monde, et de réduire à néant les raisonnements à priori par lesquels les partisans des prohibitions avaient, réussi si bien et si long-trée, entraînait une proctection égale pour les temps à abuser les agriculteurs.

Ce fait considérable a mis hors de doute que, pour le bétail au moins, les droits de douane sont chose absolument indifférente; et maintenant personne ne croit plus que la production des animaux ait besoin chez nous d'être protégée contre la concurrence étrangère; à l'exception de ceux qui sont dominés par des idées préconçues sur l'indispensable nécessité de la protection du travail national par des mesures douanières; idées imposées à leur esprit timoré par les prédictions calculées de quelques industriels fortement intéressés au système. On s'est aperçu que l'accroissement normal de la consommation était un stimulant suffisant à cette production, pour que les importations possibles n'eussent aucune influence sur le cours des marchés, où la demande doit normalement augmenter, à mesure que la richesse et le bienêtre publics font des progrès.

En effet, la protection douanière qu'on leur faisait solliciter et maintenir pour les objets de leur fabrication, pour leur bétail en particulier, et dont l'inutilité est à présent si bien démon

matières premières qu'ils mettent en œuvre ; mais une protection efficace dans ce cas, nous le répétons, parce qu'il s'agissait ici de produits monopolisés par une industrie relativement restreinte et maîtresse du marché, par la puissance de ses capitaux et la nature même de sa fabrication ou de son négoce. Pour ne vendre leurs denrées que le prix normal, déterminé uniquement par les besoins de la consommation, les agriculteurs payaient le fer, les engrais, le charbon, les tissus dont ils sont vêtus, etc., etc., au delà de celui qui se fût établi sous l'empire de la libre concurrence étrangère. Pour un avantage au moins problématique, et maintenant bien positivement démontré nul, ils subissaient une perte certaine et un dommage réel. On a peine à concevoir qu'un tel état de choses ait pu se prolonger si longtemps, et que les agriculteurs éclairés, qui ont toujours fait partie, en nombre assez considérable, de nos assemblées délibérantes, se soient ainsi laissé abuser par les habiles de l'industrie manufacturière. Il a fallu l'avénement du droit politique nouveau, plus accessible aux démonstrations de la science, parce qu'il est la sauvegarde des intérêts de tous, pour assurer le triomphe de cette vérité.

Maintenant donc que la question est débarrassée, par les résultats positifs observés, des idées spéculatives qui l'avaient si longtemps obscurcie, et que le fait dont nous venons de parler ne souffre pas de contestation, il est facile de voir, en y réfléchissant un peu, que ce serait porter au delà de toute limite l'esprit systématique, d'admettre que les droits de douane puissent La science, qui est l'interprétation logique et influencer, dans un sens ou dans l'autre, l'in-rigoureuse des faits d'observation, l'avait mise en

évidence depuis longtemps; mais elle avait eu contre ses démonstrations la coalition de puissants intérêts particuliers, servis comme à souhait par les méprises des agriculteurs. Aujour-❘ d'hui, la lumière est complétement faite. Nous sommes entrés dans la voie de la logique et du bon sens, et tout porte à espérer que nous continuerons d'y marcher résolûment.

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mesure administrative ou gouvernementale n'y a pu rien faire. La cessation du monopole de la boucherie dans la ville de Paris, par exemple, si souvent réclamée au nom de l'intérêt des consommateurs de ce centre principal, n'a pas exercé en ce sens la moindre influence, non plus que l'établissement ou la suppression de la taxe de la viande.

S'il y a au monde quelque chose de bien nettement hors de doute, c'est donc que l'industrie du bétail, particulièrement, obéit à des nécessités auxquelles toutes les mesures dont nous nous occupons sont entièrement étrangères. Cette industrie, aussi bien que toutes celles qui ressortissent à la production du sol, au reste, et qui mettent en jeu les intérêts complexes de toute la nation, comporte un mécanisme normal dans lequel les choses s'enchaînent, se subordonnent et se règlent réciproquement, sans que rien de ce qui leur est étranger y puisse avoir la moindre prise. Le meilleur moyen de favoriser son développement, est en conséquence de la laisser fonctionner dans la plénitude de sa liberté, débarrassée de toutes ces entraves qui, sous prétexte de la protéger, ne peuvent que gêner son jeu régulier.

Il est avéré que la production du bétail n'est nullement intéressée, pas plus qu'aucune autre branche de l'industrie agricole, à une protection douanière quelconque. Que les animaux étrangers puissent ou ne puissent pas être introduits sur nos marchés, cela est parfaitement indifférent à l'agriculture française. Elle peut puiser en elle-même les éléments de force nécessaires pour lutter avantageusement, le cas échéant, contre la production animale étrangère; mais ce qui doit surtout tranquilliser à cet égard nos éleveurs, c'est que, encore une fois, les besoins de notre consommation intérieure seront toujours assez grands pour qu'elle n'arrive qu'avec peine à y suffire. L'importation de 34,269 bœufs et taureaux, 30,709 vaches, 30,610 veaux et génisses, 330,309 moutons, pendant les huit premiers mois de 1861, n'a point empêché le maintien des prix au taux élevé qu'ils avaient al- Les droits de douane imposés à l'entrée du teint depuis 1854, bien que cette importation n'ait bétail étranger, s'ils n'ont pas l'inconvénient été qu'en partie compensée par les exportations. d'agir dans ce sens, n'en sont pas moins de nul Plus l'industrie animale prend de développe- effet au point de vue de la protection. Leur pire ment, dans une agriculture quelconque, plus défaut est d'être absolument inutiles, et par concette agriculture prospère. Or, il est devenu su-séquent indifférents à l'amélioration des aniperflu de démontrer maintenant que la prospé-maux. C'est tout ce que nous avons à en dire rité de l'agriculture est la source du bien-être pour notre thèse, et c'est assez pour les faire des populations, qui entraîne le surcroît de con- condamner sans retour. sommation de tous les objets de première nécessité, parmi lesquels les produits fournis par le bétail sont les principaux; il ne le serait pas moins, en ce moment, d'entreprendre de prouver comme quoi l'accroissement de la richesse agricole suit nécessairement l'augmentation du bétail. Ce sont donc là choses corrélatives et enchaînées par des liens économiques qu'un peu de réflexion fait saisir au premier coup d'œil. La multiplication des animaux commande l'extension des cultures fourragères et amène une production plus considérable d'engrais, les deux conditions fondamentales de l'agriculture perfectionnée.

Eh bien, les droits de douane appliqués aux bestiaux ne pourraient être considérés commie un encouragement à la production nationale, que s'il était établi qu'ils eussent une influence quelconque sur la valeur commerciale des animaux que nous produisons. Sur la foi de conceptions hypothétiques, on avait affirmé qu'il ne pouvait manquer d'en être ainsi; l'événement a prouvé qu'il n'en est absolument rien. Depuis 1854, la production agricole a subi chez nous des alternatives de disette et d'abondance, des oscillations entre la cherté et l'avilissement des prix des denrées de toutes sortes; le bétail seul n'a pas cessé un instant d'être à un taux rémunérateur des avances des éleveurs. On peut même dire qu'il a toujours été cher, eu égard au prix des autres objets de consommation. Aucune

Octrois. — Autre institution fiscale qu'il s'agit d'étudier au point de vue de son influence sur l'amélioration des animaux. Les octrois, bien entendu, n'ont pas été institués, comme les douanes, sous prétexte de protéger la production; leur unique but est de créer des ressources financières aux villes, et l'accroissement constant de la consommation, malgré l'entrave fâcheuse qu'ils y mettent, les fait considérer par les administrateurs comme une excellente forme d'impot.

Suivant que cet impôt est assis et perçu, toutefois, en ce qui concerne les bestiaux, qui y sont nécessairement soumis, il peut avoir un effet plus ou moins fâcheux sur leur élevage; et c'est à ce titre que nous devons nous en occuper, en attendant que les progrès de l'économie sociale aient fait supprimer partout une institution fiscale qui présente ce vice radical, tout à fait inévitable, d'être d'une répartition équitable impossible, et de blesser ouvertement les plus simples principes de la justice, en matière d'impôt.

On conçoit parfaitement que pour de grands centres de consommation commie Paris, Lyon, Bordeaux, etc., approvisionnés régulièrement par des lieux de production spéciaux, le mode de perception des droits d'octroi, à l'entrée des animaux destinés à la boucherie, puisse être pour quelque chose dans la direction imprimée à cette production. La taxe municipale influe d'une façon assez

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