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ont imaginées et ceux qui les ont adoptées. Elles n'auraient dans la pratique, il est vrai, que des inconvénients négligeables, si l'on s'entendait à leur propos; si, par exemple, il était convenu qu'elles désignent la perfection d'une aptitude quelconque, variable suivant l'espèce ou la race. Mais il n'en est pas ainsi. Si l'on admet cette acception pour les races bovines et ovines de boucherie, à la rigueur, on ne l'admet plus pour le cheval de gros trait, qui, dit-on, si parfait qu'il soit eu égard à sa destination propre, n'en est pas moins « l'antipode du cheval de pur sang, » en principe comme en fait.

N'y a-t-il pas là une de ces mille contradictions de l'école du pur sang, et qui n'a d'égale, peutêtre, que celle en vertu de laquelle, après avoir qualifié de « grossière méprise » la supposition d'un type primitif pour l'espèce chevaline, elle n'en arrive pas moins à affirmer, avec toute l'aisance possible, que le cheval de gros trait n'a pas d'autre origine que celle du cheval arabe? Les influences extérieures auraient ici seules produit cet être dégénéré, dont M. de Dombasle prit jadis la défense en termes si éloquents et marqués au coin d'un si grand bon sens. Toujours pour les besoins de la cause, voilà maintenant cette toutepuissance du sang contre-balancée par celle du milieu, au point de transformer le coursier d'Arabie en cheval boulonnais!

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fait, il n'est qu'un des éléments de l'organisme dont les parties, pour être subordonnées les unes aux autres, ne sont pas moins indispensables à cet organisme.

C'en est assez, sans doute, pour réduire à la nullité de leur valeur la doctrine du croisement et le langage équivoque et confus qu'elle a introduit dans la zootechnie.

Mais si cette doctrine est bien décidément impuissante à réaliser les prétentions de ceux qui la préconisent si chaleureusement, pour amener la régénération et l'amélioration des races, est-ce à dire qu'il faille s'abstenir d'une manière absolue des opérations dites de croisement? En aucune façon. Ramené à son importance scientifique réelle, le croisement est un moyen, un procédé d'exploitation industrielle des animaux qui, à l'exemple de tous les procédés de fabrication, donne des résultats en rapport avec la manière dont il est mis en pratique. Nous allons maintenant le démontrer, en même temps que nous indiquerons les principes généraux de l'application de ce moyen.

Ce qu'il importait de bien établir, auparavant, c'est le peu de fondement de cette supposition malheureuse, sur laquelle s'appuient ceux qui en font une nécessité absolue de la zootechnie, à savoir que toutes les races naturelles ont été fatalement condamnées à la dégénération. Sans revenir sur l'hypothèse toute gratuite d'une patrie primitive pour chaque espèce, il faut répéter que chacune des races que présente celle-ci est exactement calquée sur les conditions culturales au milieu desquelles elle s'est formée, et qu'elle répond aux besoins correspondant à ces conditions. Qu'une race soit indigène ou qu'elle ait été importée depuis un temps suffisant pour que les circonstances naturelles aient pu agir sur sa constitution au point de la rendre constante, le fait est le même ; et pour qu'on fût autorisé à la considérer comme ayant dégénéré, il serait indispensable qu'on pût la comparer à ce qu'elle était à son point de départ. Celui-ci n'ayant jamais pu être saisi par personne, au moins pour ce que nous appelons nos races indigènes ou locales, force nous est bien de reléguer tout ce qui a été dit de la dégénération dans le domaine de la pure fantaisie.

Il y a donc dans tout cela une véritable logomachie, en même temps qu'une contre-vérité physiologique. Ceux qui dissertent sur le pur sang et veulent le faire admettre « comme le véhicule le plus efficace à l'amélioration des races, » cela est manifeste, ne se comprennent pas bien euxmêmes. Conservons aux mots leur sens vulgaire et universellement adopté, si nous voulons être toujours compris. La fantaisie de l'expression ne sert qu'à dissimuler le vide de l'idée. Appelons, comme tout le monde, énergie, force, vigueur, chez le cheval, ce que les hippologues appellent sang. Celui-ci, en tant que liquide organique, ne saurait être le véhicule de ces qualités; car elles sont subordonnées à la constitution anatomique d'un appareil d'organes avec lequel il n'entretient que des rapports de nutrition, absolument comme avec tous les autres; il ne saurait être surtout celui de leur transmission héréditaire exclusive, attendu que, de la part du mâle, ses rapports avec le produit cessent aussitôt après la conception, si tant est qu'ils aient existé même indirectement au moment de cet acte encore mystérieux; tandis que, de la part de la mère, ils s'établissent préci-tières premières nécessaires à son exploitation plus sément à cet instant pour n'être plus discontinués lucrative que celle que permettent ses seules aptide longtemps. tudes naturelles, tirer le meilleur parti possible de ses produits.

Dans ses autres acceptions, remplaçons ce mot métaphorique de sang, par celui plus exact de race, dont nous connaissons maintenant la véritable signification. Lorsque, dans les résultats de l'accouplement des sexes, nous voulons exprimer l'influence héréditaire, ne parlons plus de celle du sang, mais de celle de la race, c'est-à-dire des caractères constants, fixes, et par conséquent transmissibles par la génération. Comme principe, comme force indépendante de la matière tangible, le sang est en définitive une chimère ; comme

Dégagé de cet empêchement fondamental, le problème du croisement, problème purement industriel et non point du tout doctrinal, se pose donc de la manière suivante :

Étant donnée une race locale, avec toutes les ma

Ainsi le comprennent les quelques rares zootechniciens arrivés par la physiologie positive et l'économie rurale à l'observation des faits; ainsi l'ont compris, par exemple, M. Baudement, M. Tisserant, chaque fois qu'ils ont écrit sur le croisement. Nous n'avons pas envisagé autrement nous-même cette pratique, en la préconisant pour les races ovines de l'Ouest (1), que nous avons

(1) L'Espèce ovine de l'Ouest et son amélioration, Paris, 1858.

recommandé d'accoupler avec des béliers de la race anglaise améliorée de Southdown.

Seulement, par ce qui précède, on ne saisirait pas bien la distinction essentielle qu'il faut établir, entre le croisement considéré comme principe d'amélioration appliqué aux races, et le croisement envisagé comme moyen de tirer un plus utile parti des individus, pris isolément et dans des conditions déterminées. Nous allons donc y insister; car cette distinction est en zootechnie de la plus grande gravité.

Il importe, en effet, au plus haut degré de ne pas perdre de vue que si les produits de l'accouplement de deux individus appartenant à des races différentes peuvent présenter des caractères supérieurs à ceux de la race mère, ces caractères ne sont susceptibles de se maintenir qu'autant qu'ils sont en rapport exact avec le milieu dans lequel celle-ci est placée; en un mot, que ces caractères ne se développent dans les produits qu'autant qu'ils ne sont pas l'expression d'une agriculture plus avancée et d'une hygiène plus minutieuse et plus attentive, que celles dans lesquelles ceux-ci sont destinés à vivre et à se développer. C'est ce que les partisans eux-mêmes du croisement doctrinal reconnaissent, sans en comprendre toutefois la signification. A moins cependant qu'il ne s'agisse que de modifications purement acciden- | telles dans l'organisme, et portant seulement sur ce que l'on peut appeler ses appendices extérieurs.

Les considérations de cet ordre dominent toute la question du croisement étudié dans ses rapports avec les races humaines ; et quand on lit en zootechnicien les travaux des ethnologistes, on s'aperçoit que ceux-ci leur accordent une importance exagérée, qui fausse la plupart de leurs conclusions. Les traits du visage, la couleur et la forme des cheveux, se transmettent partout avec une facilité si grande, et se produisent aussi spontanément dans des circonstances si diverses, qu'il semble bien impossible de rien baser de solide sur de pareils éléments, dans des recherches aussi difficiles.

Mais nous ne devons pas nous écarter de notre sujet. Qu'il nous soit permis seulement de répéter à ce propos que les individus croisés n'ont jamais nulle part, et dans aucune espèce, transmis à leurs descendants d'une manière suivie aucun des caractères essentiels qui les faisaient primitivement différer de leurs auteurs, et que, dans leur reproduction, ils sont toujours revenus au type de celui de leurs ascendants qui était en possession de l'indigénat. C'est dire, en d'autres termes, qu'aucune race ne s'est jamais constituée par croisement. Les apparences contraires sont basées sur des faits mal interprétés, et, ainsi que nous l'avons dit, sur l'importance majeure accordée à des circonstances qui, dans la caractéristique des races, n'ont qu'une valeur tout à fait secondaire.

La forme générale du corps et les aptitudes méritent autrement, à notre point de vue du moins, d'être prises en considération. Or, l'accouplement de deux individus aussi semblables que pos

le physiologiste un croisement, dans la véritable acception de ce mot, quelles que soient d'ailleurs les différences qu'ils présentent dans les caractères secondaires de leur physionomie, indépen-* dants de leur constitution physiologique. Il faut une grande attention et beaucoup d'habitude pour distinguer dès maintenant à première vue, par exemple, tel charollais amélioré par sélection et tel durham au pelage blanc comme lui; cela sera encore bien plus difficile, sinon tout à fait impossible, lorsque la race charollaise sera avant peu arrivée par ce moyen au degré d'amélioration qu'elle doit atteindre. Le mariage entre le charollais amélioré et le durham n'est donc point à proprement parler un croisement; et les produits s'en maintiendraient certainement, à la condition qu'ils fussent placés au milieu des circonstances qui ont modifié la race mère; sans quoi, bien entendu, ils feraient retour au type primitif. C'est ce que l'on a pu du reste observer chez les éleveurs si distingués, les Massé, les de Bouillé, qui s'occupent de la race charollaise.

C'est ainsi que M. Dutrône a pu, avec une persévérance louable par le motif qui l'a inspirée, constituer dans la race cotentine une famille spé-sible sous ce double rapport ne constitue point pour ciale, caractérisée seulement par l'absence des cornes. En accouplant des vaches normandes avec des taureaux des races sans cornes d'Angus et de Suffolk, il a pu obtenir de temps à autre des produits qui n'avaient hérité de leur père que l'inaptitude à développer leurs armes frontales, et parvenir à fixer cette particularité dans la famille par des mariages consanguins. A part les cornes, les animaux de M. Dutrône présentent tous les caractères de pelage et de conformation de la race cotentine. L'absence des cornes est bien ici le résultat du croisement, et l'on comprend que rien ne se soit opposé à la transmission héréditaire de ce caractère, physiologiquement indépendant des circonstances extérieures à l'animal. Aucune influence, dans le jeu des fonctions, n'en pouvait solliciter la réapparition, pas plus que pour le caractère soyeux une fois apparu, sans qu'on puisse savoir pourquoi, dans la toison de l'agneau mérinos du troupeau de M. Graux, de Mauchamp. C'est aussi de même que l'on s'explique la persistance des modifications imprimées aux toisons de nos moutons de race commune, par leur croisement une fois opéré avec le mérinos. Tout en conservant leur conformation et leurs aptitudes natives, ils offrent toujours dans la disposition du brin de leur laine plus ou moins des caractères propres à celui de la race mérine, ainsi que nous en avons rapporté quelque part un cas extrêmement intéressant (1).

(1) Ouvrage cité plus haut.

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Cette notion domine toute la question du croisement industriel, telle que nous l'avons posée. Celui-ci, pour réussir, doit être mené de front avec la sélection, qui seule peut améliorer la race, et en même temps fournir des mères capables de s'allier, avec quelques chances de succès, avec un reproducteur plus avancé qu'elle dans la voie de l'amélioration. Les produits de cette alliance seront formés sur un type assez rapproché de celui du père, mais à la condition indispensa

ble qu'ils trouvent dans la nourriture et les soins qui leur seront donnés de quoi exercer suffisamment les aptitudes qu'ils en auront reçues. Le père leur aura fourni le patron, le moule, si l'on veut; l'intervention de l'artiste doit y couler la matière et la façonner. Ce sont des objets de fabrication et de vente, et pas autre chose. Leurs qualités, purement individuelles, ne peuvent se répéter que par les moyens qui ont déjà servi à les obtenir.

Il s'agit ici d'un principe absolu. Nous l'avons établi suffisamment, pensons-nous, au chapitre relatif aux améliorations. Quelles que soient les aptitudes spéciales à développer et à exploiter, il n'y faut point songer, si l'on ne peut d'avance compter sur les moyens hygiéniques qui sont la condition fondamentale de tout perfectionnement dans les individus comme dans les races. Avec ces moyens, le croisement pratiqué avec intelligence et compétence est un bon procédé d'exploitation; en leur absence, il ne donne que des mécomptes. L'observation l'a mille fois prouvé; et l'on n'aura pas de peine à le comprendre maintenant. Il est clair, par exemple, que transmettre par la génération de grandes aptitudes à un développement précoce, à une assimilation très-active, pour n'avoir ensuite à fournir que des aliments insuffisants à l'exercice de ces aptitudes, c'est préparer sûrement aux individus qui les possèdent une vie de souffrances et un développement anormal; que transmettre aussi une excitabilité nerveuse très-intense, sans rien de ce qui, dans la nourriture et la gymnastique, assure la solidité des organes de la vie de relation, c'est faire à coup sûr des individus manqués, irréguliers, sans 'équilibre organique, des anomalies en un mot. Ainsi donc, et il faut insister sur ce fait, la condition indispensable de toute entreprise de croisement véritable, c'est-à-dire d'accouplement entre une race inférieure et une race supérieure, pour en obtenir des produits améliorés, est que

les reproducteurs et les produits puissent être placés dans des circonstances au moins égales à celles où la race supérieure s'entretient et se conserve, sinon meilleures. L'influence héréditaire du type améliorateur est à ce prix; autrement elle s'efface et disparaît. Si, par le fait de ces circonstances, la race inférieure, dans son ensemble, est devenue égale à la supérieure dans l'échelle de l'amélioration, quant aux individus accouplés, le cas rentre en réalité dans le champ de la sélection pure, ou du mariage des individus à formes et à aptitudes idendiques; il n'y a plus croisement, dans l'acception propre de ce mot. Les individus qui en résultent ne sont plus de vrais métis; on conçoit qu'ils puissent former race.

Ce n'est du reste qu'en se rapprochant de ces conditions que le croisement, à titre de moyen industriel, peut produire de bons résultats.

Comme tous les procédés industriels, le croisement comporte, dans ses applications pratiques, des règles et des préceptes que nous ne pouvons passer en ce moment en revue, devant ici nous en tenir aux principes généraux ; ils seront indiqués en détail dans chacun des chapitres consacrés aux diverses espèces que nous avons en vue, et relativement à chacune des spécialisations auxquelles ils doivent conduire les animaux.

Nous avons achevé maintenant l'exposition des principes scientifiques qui doivent présider au perfectionnement des animaux. Avant de faire l'application de ces études à chacune de nos espèces domestiques en particulier, nous avons encore à examiner les diverses mesures générales qui sont considérées comme ayant de l'influence sur les progrès de l'économie du bétail, à divers titres qu'il nous faut à présent examiner. Cette partie de notre tâche a, elle aussi, une grande importance, et nous ne devons pas hésiter à lui consacrer de longs développements. Force nous est bien, pour être complets, d'envisager la question zootechnique sous toutes ses faces.

CHAPITRE VIII.

DES MOYENS DE PROVOQUER LES AMÉLIORATIONS.

Les moyens usités aujourd'hui pour accomplir ou stimuler le progrès, en zootechnie, sont dus à l'initiative de l'administration publique, ou à celle des associations particulières qui se proposent de travailler à l'avancement de l'agriculture. On pense assez généralement, et avec raison peutêtre, que, dans notre pays, l'initiative individuelle, si elle était tout à fait abandonnée à elle-même, ne serait point suffisante pour réaliser, de son propre mouvement, les améliorations conçues par la science et rendues nécessaires par les besoins de la civilisation.

Ilserait sans doute facile de faire voir, dès à pré

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sent, que l'impuissance actuelle de l'initiative individuelle, au moins pour la plus forte part et en ce qui concerne le bétail, tient plus à l'insuffisance de l'instruction spéciale des éleveurs qu'à une incapacité radicale de cette initiative; car il est bien certain que celle-ci aurait dans son propre intérêt un stimulant suffisant, si elle était en mesure de le comprendre. Le rôle même que remplissent à cet égard les hommes éclairés qui composent les associations agricoles dont il vient d'être parlé, le prouverait suffisamment. Mais cela ressortira encore davantage des développements dans lesquels. nous allons entrer.

ZOOTECHNIE ET ZOOLOGIE AGRICOLE.
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Quoi qu'il en soit, l'intervention collective dans la production et l'amélioration du bétail est directe ou indirecte; elle émane de l'État seul, ou elle résulte des efforts combinés de celui-ci, des administrations départementales et des particuliers associés; ou bien enfin elle est le fait de ces derniers seulement.

Cette intervention va jusqu'à prendre par ellemême la direction de la production, en fournissant ce qu'elle considère comme l'agent principal des améliorations, aux risques et périls toutefois des particuliers intéressés; dans d'autres cas, elle se borne à agir indirectement par des encouragements décernés aux bons produits, par des mesures relatives à leurs débouchés, etc., etc.

tions sur toute l'étendue du pays; ou bien vendus aux enchères publiques; ou encore donnés à titre gracieux à des personnes qui prennent en échange l'engagement de les livrer, pendant un temps déterminé et à des conditions stipulées, à la saillie des femelles de leur circonscription.

L'intervention directe s'effectue, sous ces différentes formes, au moyen de l'administration des haras, des vacheries et des bergeries de l'État, des étalons départementaux et de l'approbation des étalons particuliers. On voit que tout cela se rapporte toujours, en définitive, à l'action exclusive des mâles dans l'amélioration. Nous allons d'abord examiner les modes relatifs à l'État ; nous parlerons ensuite de ceux qui concernent les administrations départementales.

Administration des haras. — Créée en 1665 par Colbert, successivement développée par ses successeurs, supprimée en 1791 par l'Assemblée nationale, puis rétablie en l'an III parla Convention, l'institution des haras de l'Étal fut enfiu définitivement constituée par un décret de l'Empereur, en 1806, et n'a pas cessé d'exister depuis, au moins quant à son intervention directe dans l'industrie chevaline.

Nous avons donc à examiner successivement les diverses institutions qui, en vertu de ces idées, sont en vigueur pour provoquer la multiplication et l'amélioration des animaux de nos principales espèces domestiques. Nous considérerons d'abord celles qui se rapportent à l'intervention directe de l'État ou des départements; puis, celles qui, ressortissant à l'intervention indirecte, rentrent dans la catégorie des encouragements. Nous aurons, dans cette revue, à blâmer et à louer, plus à louer qu'à blamer cependant; mais l'intérêt du progrès guidant seul nos critiques, celles-ci ne seront basées que sur les principes scientifiques pré-nistration des haras depuis sa réorganisation cédemment développés.

Il n'y a qu'à voir, en effet, pour juger sainement les institutions que nous avons à passer en revue, si, par leur nature même et abstraction faite des hommes qui doivent les faire fonctionner, ces institutions peuvent réaliser dans la pratique les principes que nous avons déduits expérimentalement de l'observation. Si oui, elles sont bonnes et doivent être conservées et même étendues davantage; si non, elles sont mauvaises, et notre devoir est de le démontrer, d'abord pour signaler à l'État de judicieuses économies à faire, mais surtout pour mettre les éleveurs en garde, dans leur propre intérêt, et dans celui de la production en général.

Ces questions ont été déjà bien des fois traitées; elles ont donné lieu, depuis une trentaine d'années, à des luttes passionnées, qui se sont encore renouvelées tout récemment. Nous essayerons ici de demeurer toujours sur le terrain de la science, qui exclut tout ce qui n'est pas le calme et la modération. Trop de gens qui y étaient complétement étrangers, d'une part comme de l'autre, ont obscurci comme à plaisir des matières fort claires par leur nature même. Tâchons donc de les éclaircir.

DE L'INTERVENTION DIRECTE.

L'État et les administrations départementales interviennent directement dans la production animale, en fournissant aux producteurs des mâles pour l'amélioration de leurs produits. Ces mâles sont achetés par l'État et les départements, ou nés et élevés dans des établissements spéciaux créés et entretenus par le premier ; ils sont loués pour la saillie des femelles, et répartis dans ce but en nn nombre plus ou moins considérable de sta

Les nombreuses vicissitudes subies par l'admi

en 1806 jusqu'à ce jour, les changements de direction qui lui ont été imposés tour à tour dans des sens à peu près toujours radicalement inverses, sembleraient indiquer à l'observateur impartial que les services rendus par elle à la production chevaline, n'ont jamais été assez éclatants pour qu'ils pussent la défendre contre les attaques dont elle n'a cessé d'être l'objet.

En suivant, en effet, la courte histoire de cette institution, on ne trouve point dans les nombreux décrets, ordonnances et arrêtés rendus à son sujet en 1806, 1825, 1832, 1840, 1842, 1846, 1848, 4850, 1852, 1860, la preuve du développement régulier d'un système, dont les bienfaits non douteux n'ont besoin que d'être étendus. A chaque instant, au contraire, on voit le passé condamné d'une façon à peu près absolue, une nouvelle direction imprimée à la marche de l'institution, pour être bientôt remplacée par une autre, condamnée à son tour un peu plus tard. Et toujours, quand on compulse en outre les publications où l'opinion publique se fait jour, on rencontre sans cesse des traces non équivoques des luttes passionnées dont l'administration des haras est l'objet, de la part des hommes que l'industrie chevaline préoccupe, militaires, agronomes, économistes et hommes dits de cheval.

Ce n'est pas là, on en conviendra, pensonsnous, le fait d'une institution dont l'utilité serait bien saisissante. Pour être si contestée, il faut absolument que cette administration des haras offre une large prise au doute et à la critique, non pas seulement par le fait des hommes qui l'ont dirigée aux diverses époques plus haut citées, mais encore dans son principe même. Aussi son existence a-t-elle été mise fortement en question une fois de plus en 1860. Une commission nombreuse, chargée de donner son avis à cet égard, s'est éga

lement partagée entre le maintien et la suppression de l'intervention directe de l'État dans l'industrie chevaline. Il est bon de faire remarquer, en outre, que ceux-là même qui se sont alors prononcés en faveur du maintien n'ont point manqué, comme leurs devanciers, de mettre en évi| dence les vices de l'institution existante, et de proposer sa réorganisation sur de nouvelles bases. C'est ensuite de cette nouvelle étude de la question, tant de fois débattue, que fut rendu le décret impérial du 19 décembre 1860, qui est la Charte actuelle de l'administration des haras.

Il n'entre pas dans notre plan de donner ici les détails de la dernière réorganisation dont on attend, comme de toutes les précédentes, de meilleurs résultats que ceux obtenus avec celle qu'elle a remplacée. Nous avons seulement à examiner la valeur du principe de l'intervention directe de l'État, sur lequel a toujours reposé, sous des formes si diverses, l'administration des haras.

Ce principe est, ainsi que nous l'avons déjà dit, celui de la prépondérance du mâle dans la génération, et de l'importance première de celle-ci dans l'amélioration; il a pour conséquence logique la doctrine du croisement, que nous avons combattue, | érigée en système. L'histoire des haras, d'ailleurs si mouvementée, prouve que sous ce rapport ils n'ont jamais varié. La nouvelle administration, comme les autres, ne conçoit pas qu'elle puisse autrement obtenir les perfectionnements qu'elle a en vue. Son premier acte a été une profession de foi en vertu de laquelle elle prend le pur sang pour base de ses opérations.

Nous n'avons plus à démontrer l'erreur d'un semblable principe. Cette démonstration a été faite précédemment. Il faut seulement faire voir, par l'observation du passé et par l'enchaînement logique des conséquences, qu'une direction unique et centralisée, dans une industrie aussi complexe que l'est celle de la production chevaline, doit nécessairement conduire au triomphe d'une idée systématique. Cette idée est celle que professe la personne dirigeante ; et quelque modérée qu'elle soit, sa tendance naturelle est de s'étendre toujours à des objets qui ne s'y prêtent point. Pour s'appliquer, en outre, à l'aide d'une administration organisée, cette idée a nécessairement besoin du concours d'agents absolument désintéressés dans la production, et qui, pour ce motif, ne sauraient la faire plier devant les exigences de celle-ci. Quoi qu'elle veuille, une institution centralisée obéit forcément au principe qui la domine. Si elle est bien dirigée, ses fautes seront moins grosses; mais la somme desdites fautes sera toujours, par la nature même des choses, plus considérable que celle de ses bienfaits.

Après les développements que nous avons consacrés à l'étude des moyens d'amélioration applicables au perfectionnement des individus et des races, dans les chapitres précédents, il serait bien superflu, sans doute, d'insister sur ce fait que des étalons, si beaux qu'on les suppose, et encore bien qu'on pût suffisamment se préoccuper de les approprier toujours exactement aux localités dans lesquelles ils doivent agir, ne sont qu'un des éléments du problème de l'amélioration. L'adminis

tration des haras, cependant, n'a pas d'autre raison d'être que celle de fournir ces étalons aux éleveurs. Le reste de son action rentre dans une autre catégorie que celle qui nous occupe en ce moment, et que nous aurons à examiner plus loin. La seule raison de son maintien est la croyance encore assez généralement répandue, que dans l'état actuel de l'industrie chevaline, avec la division du sol et des fortunes, cette industrie ne peut pas se pourvoir elle-même des étalons de mérite nécessaires à la conservation et à l'amélioration de nos races indigènes. Or un intérêt public considérable, un intérêt de défense nationale, nécessitant que cette industrie soit prospère et puisse, le cas échéant, répondre aux besoins, il importe, dit-on, que l'État prenne en main sa direction et assure par là sa prospérité.

On comprendrait ce raisonnement, si l'État se faisait en effet producteur de chevaux. Sans examiner au prix de quels sacrifices il pourrait le devenir, on conçoit que par ce moyen il soit capable de maintenir la production et même de la multiplier. Mais il faut prendre garde qu'en fournissant seulement des étalons, s'il peut agir sur l'un des facteurs de cette même production, il demeure étranger à tous les autres, qui sont précisément les principaux. Le lecteur connaît déjà ceux qui se rapportent, pour ainsi dire, à la fabrication du produit; nous verrons plus loin ce qui concerne le vrai, l'unique stimulant de la production. Le bétail, comme tous les objets de notre activité industrielle, et le cheval en particulier, obéit à cette loi économique incontestable, d'après laquelle la consommation commande la production. Il n'y a point d'autre moyen de provoquer l'augmentation de celle-ci, que de créer pour ses objets des débouchés avantageux. Tout le reste est utopie. Il est vrai que leur amélioration est une condition de succès dans ce sens ; et s'il était démontré que l'administration des haras pût, par le seul fait du bon choix de ses étalons, amener ce résultat, on serait fondé à admettre qu'elle agit en effet sur la production de la façon que nous venons de voir. Mais en est-il ainsi?

Pour justifier en apparence l'intervention directe de l'État dans l'industrie chevaline, on a besoin de supposer que le cheval n'est pas un produit agricole comme les animaux des autres espèces qui s'élèvent dans la ferme. On considère sa production tout à fait en dehors de l'agriculture. On en fait une industrie à part, obéissant à des lois particulières, et devant être dirigée par un personnel spécial, n'ayant rien de commun, ni par ses études, ni par ses habitudes, avec l'exploitation du sol. L'administration des haras s'est de tout temps maintenue dans les régions spéculatives d'une physiologie et d'une économie à elle, qui ne dépassent point les limites d'une théorie très-singulière de l'hérédité. Dans ses meilleurs moments, encore, elle a bien voulu prendre quelque peu garde à l'influence de la jument; mais le plus souvent elle n'a eu en vue que celle de l'étalon.

Dans de pareilles conditions, il n'est pas possible au zootechnicien sensé de considérer comme propre à agir efficacement sur l'amélioration de l'es

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