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cisément ce qui fait sa supériorité, ce qui le place au-dessus de tous.

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dants purs, au nombre desquels il faudrait placer les anglais dits de pur sang.

et telle que vient de l'exhiber à nu M. Gayot, pour rendre cette tâche inutile. Des esprits clairvoyants et pratiques peuvent-ils en effet concevoir un principe d'action indépendant et séparé de la forme, de la matière, en d'autres termes, qui seule est capable de nous le faire saisir par la manifestation de ses effets? Remarquons bien même qu'on le suppose et l'affirme, sans toutefois le définir.

« Dans l'espèce chevaline, la pureté de race, ce L'autorité acquise par cette chimère nous force que l'on entend par les mots pur sang, est plus à démontrer sa vanité. Il devrait suffire de la faire qu'une affaire de convention, c'est un fait. Ce fait voir dégagée des faits complexes à la faveur desa son fondement, son assise sur les soins avec lesquels elle se perpétue dans les esprits superficiels, quels on s'est efforcé de retenir dans les animaux d'une famille d'élite les plus hautes qualités et les plus précieux avantages dont la nature même du cheval était susceptible. Ce fait trouve son point d'appui dans le succès qui a couronné l'œuvre. Il est si bien établi depuis nombre de siècles, il est si stable, qu'il se maintient toujours le même, non-seulement dans la mère-patrie, mais partout où il plaît à l'homme de transporter des animaux de pur sang. La seule condition qu'on ait à remplir alors, c'est de ne pas les mêler à d'autres ; c'est de continuer scrupuleusement à les entourer de toutes les attentions indispensables à leur entière conservation. La moindre souillure est indélébile; quoi qu'on fasse, un germe d'ignobilité est ineffaçable. La pureté est ou n'est pas. Seul, Dieu a pu faire ce miracle de laver la tache originelle.

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« Ainsi, au faîte de toutes les questions qui aboutissent au cheval est un dogme, le dogme du pur sang, révélé par l'expérience de tous les peuples qui ont voulu donner de la valeur à leurs chevaux, et faire de leur reproduction judicieuse encore plus qu'une richesse, une force.

« Le pur sang, puissance vive, active et conservatrice, force inhérente à l'espèce, doit être considéré en dehors de la forme qui le contient. Celleci peut varier et revêtir des caractères extérieurs très-différents sans que le principe qui l'anime cesse d'être parfaitement identique, parce que le pur sang a pour lui une admirable flexibilité : c'est son propre (1). En lui sont toutes les perfections, il est la source de toutes les spécialités. C'est en cela qu'il domine l'espèce, c'est à cause de cela qu'il en est le prototype. »>

Cette définition n'est pas très-claire. Essayons de la démêler.

Ainsi, d'après ce qu'on vient de lire, on pourrait croire d'abord que, dans l'esprit de l'auteur, il s'agit de propriétés inhérentes à la constitution physique ou chimique du sang, qu'il resterait toutefois à démontrer par l'analyse : il dit en effet que « physiologiquement parlant, le sang est la source génératrice de toute trame organique; » mais, à travers les obscurités et le manque de précision de son langage élégant, on voit bientôt que le pur sang est, de l'avis de ses partisans les plus autorisés, une idée pure, moins que rien, un dogme. Il est impossible à un esprit attentif de comprendre autrement le texte cité. C'est une entité indépendante de la forme, c'est une création de l'imagination, quelque chose comme une âme particulière, dont aurait été douée l'espèce, et qu'elle a perdue dans le plus grand nombre de ses incarnations. Seule, la race-mère, la race arabe, l'aurait conservée et transmise à ses descen

(1) Cette phrase n'est pas exactement conforme au texte. La correction a été introduite à la prière de l'auteur.

Mais dans l'exposé de ses attributs, la puissance des faits domine assez l'hypothèse, pour qu'il échappe aux créateurs du pur sang la preuve de son inanité. Il se maintient, dit M. Gayot, partout où il plaît à l'homme de transporter les aniniaux qui en sont doués; mais l'habile hippologue se hâte d'ajouter : « La seule condition qu'on ait à remplir alors, c'est de ne pas les mêler à d'autres; c'est de continuer scrupuleusement à les entourer de toutes les attentions indispensables à leur entière conservation. » Dans un autre endroit, après avoir qualifié de « grossière méprise » l'opinion reçue sur le « cheval primitif, » sur le « cheval de la nature,» opinion qui «veut que ce cheval soit le cheval noble d'Arabie,» souche du pur sang, comme nous l'avons vu, M. Gayot dit : « La vérité est que le cheval noble d'Arabie, tribu d'ailleurs peu nombreuse et très-distincte parmi la population chevaline de la contrée, est la perfection du cheval primitif soumis depuis des siècles à des soins tout particuliers, à une culture très-rationnelle et très-attentive dans un milieu et dans des circonstances parfaitement favorables au développement concentré, à l'exaltation justement pondérée de toutes les qualités inhérentes à l'espèce même du cheval. Il est la plus haute expression des besoins qu'il a été appelé à remplir au sein d'une civilisation immuable, pourrait-on dire, ce qui l'a fait invariable comme elle, et a mis en lui, à un degré éminent, les deux traits caractéristiques du type,

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l'homogénéité et la constance qui donnent le pouvoir héréditaire par excellence. »>

Assurément, cela est la vérité. Mais, s'il en est ainsi, que devient cette conception métaphysique du pur sang « considérée en dehors de la forme qui le contient ? » Est-il un seul physiologiste qui puisse admettre la réalité de ce prétendu fait, autrement que comme l'expression de ce que nous avons appelé avec tous les observateurs rigoureux la race, dont les caractères fondamentaux sont précisément «l'homogénéité et la constance qui donnent le pouvoir héréditaire par excellence? »

Il faut bien prendre garde que dans leur sens propre ces deux mots : pur sang et race pure, ne sont point synonymes. Les nombreux amateurs de la zootechnie font généralement cette méprise; mais les hippologues le comprennent tout autrement. L'idée du pur sang est tout à fait exclusive au cheval, et à la race pure d'Arabie, que l'on suppose être de tout temps demeurée exempte de mariages avec aucune autre. C'est là le dogme. Il

n'y a point de texte écrit, point de tradition certaine, point de document historique enfin pour l'établir; mais les dogmes, en ont-ils besoin? Il est vrai que la science ne les accepte pas.

Les races qui, elles aussi, sous l'influence d'une civilisation immuable, se sont conservées pures, et sont considérées par nous comme telles, dans les diverses espèces animales soumises à la domesticité, ces races ne sont pas, d'après le dogme, des races de pur sang. Si pures que vous les conceviez, elles sont toujours dégradées; elles ont perdu cette << puissance vive, active et conservatrice, force inhérente à l'espèce, » qui doit être considérée <«en dehors de la forme » qui la contient. Seul le cheval noble d'Arabie l'a conservée au lieu de sa naissance et dans les pays où il a été reproduit, notamment en Angleterre (nous avons vu ce qu'il | faut penser du cheval anglais sous ce rapport), quelles que soient d'ailleurs les modifications de forme qui lui aient été imprimées.

Voilà le pur sang.

Eh bien! ceux qui ne se payent pas de mots et de chimères ne peuvent se dispenser d'établir dans cette question une importante distinction. Sous la conception du pur sang ainsi compris, il y a un fait vrai; et le lecteur, à présent, en saisira facilement la véritable signification. Ce fait vrai, c'est la con-stance de la race, produite tout à la fois par son ancienneté et par la sélection rigoureuse qui a toujours présidé à sa reproduction. Les Anglais, dans l'esprit positif desquels n'aurait pu naître l'idée du pur sang élevée à l'état de dogme, font reposer la conservation de leur cheval de race (horse race) sur l'exacte observation de quelques règles, dont les principales sont les titres de noblesse, ou les victoires des ascendants sur les hippodromes, inscrits sur ce qu'ils appellent le pedigree; les preuves du même genre propres à l'individu, en langage hippique les performances; enfin la belle conformation ou la symétrie dans les formes et les proportions. Eu égard au but, on voit que ce sont là tous les éléments de la sélection.

Les qualités incontestables des chevaux dits de pur sang ne sont donc point les conséquences de ce principe imaginaire, indépendant de leur constitution anatomique, rêvé par les hippologues, et que la physiologie positive, la physiologie expérimentale, ne saurait admettre; elles dérivent, comme celles de tous les autres animaux, de l'empire rigoureux des lois de la sélection, en dehors desquelles lois ces qualités ne peuvent être conservées, du propre aveu des créateurs de la chimère du pur sang. Il n'est pas nécessaire d'insister pour le démontrer davantage. Il est clair maintenant, dans l'esprit de tout lecteur non prévenu, que les conditions propres au cheval arabe, au cheval anglais, sont le fait, comme celles qui caractérisent toutes les races de la même espèce ou des autres arrivées à un haut degré de spécialisation, non point d'une pureté originelle dont la certitude ne repose sur rien, mais bien de la gymnastique fonctionnelle, de l'éducation qui est la base de tout perfectionnement. Il est non moins clair que la puissance de transmission héréditaire de ces conditions est en rapport avec leur fixité, avec leur constance, mais aussi avec les autres circon

stances de la sélection. L'idée émise d'un principe animateur toujours identique et aussi puissant, quelle que soit la forme dans laquelle il s'incarne, est une monstruosité physiologique, que ceux qui l'ont conçue se chargent eux-mêmes de contredire à chaque instant.

Telle est pourtant la base de la doctrine du croisement substituée par nos modernes hippologues à celle de Bourgelat, et adoptée par les zootechniciens partisans de l'entité du sang, qu'ils n'ont pas comprise. Dans cette doctrine, toutes les races dégénérées, c'est-à-dire nos races indigènes sans exception, doivent être amenées à la perfection par ce qu'ils appellent un sang noble. Ils n'ont pas pris garde que l'expression toute métaphorique de pur sang ne s'applique, en réalité, qu'à l'excitabilité nerveuse qui, pour être arrivée au plus haut degré chez le cheval ainsi qualifié, ne lui est cependant pas exclusive. Cette excitabilité nerveuse très-développée, seule est un fait, comme celui de sa puissance héréditaire; mais loin qu'elle soit un principe indépendant dont l'existence est absolument incompréhensible, le physiologiste ne saurait en séparer l'idée de la forme du système nerveux, qui se transmet par voie d'hérédité comme toutes les autres formes. Etendre donc l'expression de pur sang aux animaux de boucherie, par exemple, c'est commettre une de ces confusions qui, pour être très-communes dans la zootechnie rendue si obscure par de telles subtilités, n'en sont que plus déplorables.

Dans le langage hippique, dire d'un cheval qu'il a du sang, cela signifie qu'il est d'une énergie plus ou moins considérable, et cela se dit des chevaux appartenant à toutes les races; seulement, le pur sang, en d'autres termes, ainsi que nous l'avons vu, la plus forte somme possible d'énergie, ne se rencontre, d'après les hippologues, que chez le cheval noble d'Arabie, ou chez l'anglais, qui en est suivant eux le pur descendant.

Nous avons insisté sur la conception du pur sang, parce qu'elle est la base de la doctrine du croisement quand même, qui a passé à peu près intacte dans la zootechnie empirique, avec son langage et ses prétentions. Nous allons exposer maintenant cette doctrine, et nous verrons mesurer mathématiquement les proportions du sang, absolument comme si la génération était une combinaison chimique entre deux éléments bien déterminés, dont la quotité pût être évaluée par l'analyse d'une manière exacte, et comme si la race à améliorer, dans cet acte, ne devait concourir à la procréation que dans la limite précise des proportions qu'elle aurait conservées lors d'une précédente combinaison.

Dans la doctrine nouvelle, ainsi que dans l'ancienne, le croisement s'opère nécessairement par les mâles; mais il n'a plus seulement pour but de régénérer la race du pays par l'introduction d'étalons étrangers. On se propose, en l'effectuant, de perfectionner la race locale par son absorption aussi avancée que possible dans le type propre à la race des mâles. Quelque loin que soit poussée cette absorption par une suite de générations croisées, le résultat ne s'en maintiendrait point, s'il était abandonné à lui-même; il y a nécessité de

revenir de temps en temps à la souche améliora- | pliée aussi, ce qu'aucun esprit droit ne saurait trice: c'est ce que l'école appelle rafraichir le sang. concevoir toutefois, rien n'est plus simple et plus La raison en est que les produits des croisements logique que cette sorte de supputation. Mais si possèdent à un moindre degré que les races pures nous considérons, d'une part, que les reproducla faculté de transmettre leurs qualités, et rétro- teurs ne peuvent transmettre, en vertu de la loi gradent d'autant plus facilement que les deux d'hérédité, l'aptitude fonctionnelle, qu'en transraces croisées sont plus éloignées l'une de l'autre mettant la constitution anatomique de l'organe par leurs caractères. d'où elle émane; d'autre part, que cette aptitude existe toujours, à un degré quelconque, et quelle qu'elle soit, dans la race à améliorer; enfin, que son développement chez le produit est toujours proportionnel à son exercice; si nous considérons tout cela, et il n'y a pas moyen de faire autrement, à moins de renverser les connaissances les mieux acquises à la physiologie, la théorie si séduisante tout à l'heure du croisement s'évanouit

Cela est admis formellement par les partisans éclairés du croisement. Il en faut tirer, dès maintenant, à notre avis, cette double conclusion rigoureuse 1° que l'on ne saurait constituer une race nouvelle avec des individus croisés ; 2o que le croisement ne semble rationnel, pour obtenir même seulement des produits individuels, qu'autant que les reproducteurs sont très-rapprochés par leurs aptitudes et leur conformation.

aussitôt.

Car, avec ces vérités, il n'est plus possible, en premier lieu, de réprésenter par 0 seulement la valeur de la mère dans la première opération; en second lieu, de diviser par 2 seulement la somme des valeurs, puisqu'il intervient un nouveau facteur indéterminé, qui est précisément la quotité pour laquelle agit la puissance héréditaire de chacun des procréateurs; puis un autre; étran

ditions hygiéniques au milieu desquelles s'opèrent la conception et le développement du produit.

Nous développerons plus loin ces propositions, contradictoires à la doctrine du croisement telle qu'elle est professée par ceux-là mêmes qui reconnaissent la réalité des faits d'où elles résultent; auparavant, continuons d'exposer cette doctrine. Le prétendu principe du croisement, il faut le répéter, est fondé sur la prépondérance du mâle dans les produits de la conception. D'un autre côté, on admet que, dans chaque génération, lager à ces derniers, lequel se trouve dans les conpart proportionnelle d'influence sur le produit est égale pour les deux reproducteurs, ce qui est déjà en contradiction avec cet autre principe posé plus haut que les produits des croisements possèdent à un moindre degré que les races pures la faculté de transmettre leurs qualités. Quoi qu'il en soit, on arrive par là à chiffrer exactement, dit M. Gayot, « la quantité, la dose proportionnelle des deux espèces de sang qui coule dans les veines d'un produit provenant de races différentes et dont la généalogie est bien connue (1). »

Ainsi, en représentant le caractère du mâle de la race régénératrice par une valeur égale à 1, et celui de la race dégénérée par une valeur égale à 0, on a, pour le produit du premier croisement, une valeur égale à 0,50, ou ce que l'on appelle un demi-sang. A la seconde génération, 0 étant remplacé par cette valeur de 0,50, on a une valeur de 0,75, ou un trois-quarts de sang. En ajoutant ainsi successivement la valeur obtenue à 1, valeur du père, et en divisant par 2, somme des père et mère eu égard au produit, on arrive d'abord, à la troisième génération, à 0,875 ou septhuitièmes de sang; puis enfin, à la trentième génération, à une valeur représentée par une fraction décimale composée de vingt-neuf chiffres, dont les neuf premiers sont des 9. M. Gayot n'a pas poussé plus loin cet intéressant calcul.

En admettant pour un moment l'hypothèse sur laquelle s'appuie ledit calcul, on comprend ce qu'il a de séduisant, et l'on ne s'étonne point que les conséquences en soient si facilement acceptées par les zootechniciens étrangers à la physiologie. Une fois posé, en effet, que le pur sang est une force métaphysique, arbitraire, indépendante de la matière, sans étendue, mais cependant susceptible d'être divisée ainsi régulièrement, et multi(1) Nouveau Dictionnaria pratique de médecine, de chirurgie

et 'hygiène vétérinaires de Bouley et Reynal, t. IV, p. 567, Paris, 1858. Art, CROISEMENT.

La théorie du croisement, ou plutôt sa formule mathématique, est donc fausse; ce ne serait pas assez de dire qu'elle est insuffisante. Elle l'est d'autant plus que, dans l'esprit de celui qui l'a énoncée avec le plus d'autorité, elle ne s'applique qu'à une seule espèce et à une seule spécialité d'aptitude. Elle le conduit à des inconséquences inadmissibles.

Ainsi M. Gayot, en fait le plus éclairé des théoriciens du croisement, après avoir établi, par un calcul en sens inverse de celui que nous venons de voir, que son produit amélioré de la trentième génération, accouplé d'abord avec zéro comme devant, puis, successivement avec le produit de chaque nouvelle génération résultant de ce premier accouplement, suit une progression descendante dans les résultats, qu'il qualifie d'effrayante; M. Gayot, disons-nous, n'en a pas moins préconisé quelque part, et à plusieurs reprises, la régénération de nos races bovines et ovines par des mâles résultant de croisements bien loin d'avoir été poussés à ce degré d'avancement. Il est vrai qu'il ne s'agit plus ici pour lui de pur sang; mais peut-il venir à la pensée d'un zootechnicien d'établir sérieusement une telle distinction ? Qui oserait soutenir que la loi d'hérédité n'est pas une pour toutes les espèces, et que, précisément aux termes de cette loi, il n'y a pas au contraire plus de raisons pour que la rétrogradation et les coups en arrière soient encore fréquents et certains avec les mâles des espèces bovine et ovine, appartenant à des races améliorées plus récemment, et par conséquent moins constantes que le cheval dit de pur sang?

Mais ce n'est pas seulement en passant d'une espèce à une autre, que le prétendu principe du croisement subit de semblables éclipses. Il n'y a qu'à le suivre dans les règles qui sont formulées

pour son application, dans les préceptes de sa pratique, pour s'en apercevoir. Tant il est vrai que les conceptions de pure imagination ne tiennent point devant l'expérience des observateurs clairvoyants et éclairés. Nous ne parlons pas des éleveurs ou zootechniciens ignorants, butés à une idée qu'ils ont adoptée sans examen, et qu'ils suivent en aveugles. Nous n'avons pas l'habitude de discuter avec ceux-là. Ils ne sont du reste point dangereux; le bon sens qu'ils heurtent trop directement met assez en garde les intéressés.

Il est facile, avons-nous dit, de voir la nullité de la doctrine du croisement lorsqu'on suit les partisans éclairés de cette doctrine dans les applications qu'ils en font. Ici, la conception spéculative disparait, pour faire place aux faits; et si quelque chose a jamais été étonnant, c'est de voir l'aisance avec laquelle s'effectue la contradiction entre le principe admis et la conduite imposée par l'observation de ces faits.

Ainsi, pour avoir quelques chances de succès dans le croisement d'une race par une autre destinée à la perfectionner, il faut, dit-on, qu'il existe entre elles «< certains rapports de taille, de volume et même quelque identité de formes. »

C'est incontestablement vrai, du moins à part la question de race, qui doit être réservée. L'observation démontre en effet que le produit de l'accouplement ne présente l'harmonie d'une bonne conformation, n'est réussi, en un mot, qu'à ce prix.

Mais que devient après cela la théorie? Si le reproducteur local doit présenter ses caractères essentiels aussi rapprochés que possible de ceux qui appartiennent au reproducteur étranger, à quoi sert le principe en vertu duquel le produit recevrait de son père la plus forte partie des qualités qu'il doit réunir? Quels sont donc les mérites distinctifs des races, s'ils ne résident pas précisément dans des différences de taille, de volume et de formes et d'aptitudes ?

La première condition de la réussite, dans l'opération du croisement, est donc de faire en réalité tout autre chose que cette opération. Otez en effet l'idée, pour vous en tenir au fait, et vous aurez à proprement parler de la sélection, c'est-à-dire l'accouplement de deux individus aussi rapprochés que possible par leur constitution physiologique; car à part la fixité des caractères, qui ne se peut transmettre par une génération seule, il y a là, de part et d'autre, tous les éléments de la race. Preuve nouvelle que le principe du croisement n'est qu'une idée pure, dont on ne tient plus compte, dès qu'il s'agit de passer de la spéculation au fait.

Pour que cette idée subsistât dans la signification véritable que nous lui avons reconnue, il faudrait que l'influence amélioratrice du mâle s'exerçât quand même et quelle que fût la femelle. Celle-ci, en théorie, n'est-elle pas réduite à zéro ? La conséquence est nécessaire ; mais elle est trop absurde pour être déduite, en pratique, par les zélateurs éclairés du croisement; ce qui ne l'empêche point, au contraire, d'avoir d'assez nombreux partisans. Quand on a quelques connaissances en matière de bétail, il suffit, pour en être convaincu, de jeter

un coup d'œil sur la catégorie affectée dans nos concours aux divers produits croisés. La preuve des mariages disparates effectués en vertu de cette conséquence s'y montre à chaque pas.

Ce sont les faits de ce genre qui ont obligé les plus fervents apôtres de la doctrine à qualifier de faux principe celui qui les a amenés. Et pourtant ce principe n'est que celui qu'ils préconisent, dans sa signification la plus exacte. Si quelqu'un est inconséquent ici, ce sont eux-mêmes et pas d'autres. Si, comme ils le prétendent, le mâle est nécessairement prépondérant dans la génération, ses mariages successifs avec les produits de son sang doivent chaque fois entraîner une amélioration nouvelle. L'indignité de la première mère ne peut que retarder le résultat, mais non point s'opposer radicalement à sa venue. Ici, la logique, ou la théorie, est fausse; il n'y a pas de moyen terme. Or, ce ne peut être la logique; car, le père a la puissance amélioratrice, ou il ne l'a pas ; et si on la lui conteste, plus de théorie du croisement; si on l'admet, elle ne peut être subordonnée que pour une partie, et non point pour le tout, au réceptacle de la mère. La théorie, en ceci, est absolue, ou n'est pas. En logique, cela est élémentaire.

Eh bien! elle n'est pas, apparemment; et nous n'en voulons d'autre témoignage que ceux fournis par ses auteurs eux-mêmes. « Donnez donc, dit M. Gayot, un étalon de pur sang, un cheval de tête et de premier choix à ces petites juments défectueuses, tarées, viles et sans nature qui, en tous pays, occupent le dernier degré de l'échelle dans l'espèce, et voyez les suites d'une pareille mésalliance, non-seulement à la première, mais encore à la seconde et à la troisième génération, si on a le courage de poursuivre et de persévérer ! »

Certes, on est de cet avis, que les suites de ce que l'auteur appelle une mésalliance, et de ce que nous appellerons en langage moins recherché, mais plus précis et plus exact, une transgression formelle des plus simples lois de la zootechnie, ne peuvent être que déplorables. Mais, encore une fois, que devient ici la doctrine, qui place dans le pur sang « toutes les perfections, » en ajoutant que « la source de toutes les spécialités » est en lui? Que penser de cette « admirable flexibilité » qui est son propre, et en vertu de laquelle la forme qui le contient peut varier et revêtir des caractères extérieurs très-différents sans que le principe qui l'anime cesse d'être parfaitement identique?»>

C'est au contrôle de pareils faits que se jugent les théories. Celles-ci, quand elles sont positives et solides, y résistent parfaitement; sinon, non. Hélas! ce n'est pas, comme on voit, le cas pour celle du croisement. Mais nous n'avons pas fini.

Une autre règle du croisement, fort juste assurément en soi, mais en opposition formelle encore avec le principe, et surtout avec ce qui vient d'être dit, c'est celle qui recommande de ne choisir les mâles de perfectionnement que dans des races dès longtemps indigènes dans le pays d'où ils sont importés, et par conséquent bien fixées. Dans le cas contraire, dit-on, le père n'a pas reçu l'énergie suffisante pour contre-balancer l'influence de la mère, qui est prolongée et d'ailleurs favorisée par

l'action constante du sol, de l'air, de l'eau, de la nourriture; en d'autres termes, par les circonstances hygiéniques; et même lorsque le mâle appartient à une race bien constante, bien pure, il a encore à lutter contre ces influences qui, ajoute-t-on, affaiblissent son pouvoir héréditaire, en augmentant, en proportion relative, celui de la mère.

On trouve ce fait positivement exprimé en maint endroit des écrits des théoriciens du croisement. Ils en donnent, comme nous l'avons vu, mathématiquement la mesure, en qualifiant d'effrayante la progression décroissante que suivent les qualités des produits résultant de croisements opérés avec les métis. On croit, après cela, les avoir vus enfin en possession d'un principe réel, qu'ils suivront dans ses conséquences les plus logiques; mais point du tout. Quand ils envisagent la question à un point de vue général, ils demeurent d'accord qu'une race ne saurait se constituer par des métis; en passant même des généralités à l'application, ils maintiennent encore le principe, s'il concorde avec les idées qu'ils se sont faites pour le cas particulier dont il s'agit; mais s'il en est autrement, ils n'hésitent point à le qualifier d'énormité et d'hérésie, et ils proclament ce principe nouveau: « Le métissage crée des races. »> Jamais on n'a vu pareil tissu de contradictions.

| donne l'influence du milieu hygiénique sur le produit à celle de la loi d'hérédité; elle place en première ligne, et bien au-dessus de tout le reste, à une distance presque incommensurable, la puissance de la. génération. C'est là son vice radical.

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L'histoire scientifique des évolutions de notre globe, qui nous montre l'apparition successive de la vie à sa surface, en établissant toujours, pour chaque phase de ces évolutions, une corrélation étroite entre la faune et la flore, celle-ci précédant celle-là, ne permettrait pas de douter un seul instant de la dépendance complète où se trouvent les animaux, relativement à leur milieu, si d'ailleurs l'observation contemporaine ne vérifiait à chaque instant l'exactitude de cette loi cosmique. Les animaux ont, de tout temps, perpétué leur espèce; mais, dans les créations successives inscrites en caractères ineffaçables sur les étages géologiques où leurs fossiles ont laissé des traces, l'observateur clairvoyant lit que ces animaux ont subi dans leur organisation des perfectionnements toujours correspondants et subordonnés à ceux du milieu. Rien de plus logique et de plus vrai, après tout, que cette subordination de l'objet créé à la matière première, en l'absence de laquelle les imaginations déréglées seules peuvent concevoir son existence.

Partout, dans ces créations éteintes, se montrent à la fois les mêmes espèces végétales et animales pour chaque nature de terrains, à partir des roches primitives, où il n'existe aucune trace d'êtres organisés, la vie ne s'étant pas encore manifestée en raison de l'incompatibilité du milieu. Partout on passe des mollusques aux reptiles, et de ceux-ci aux mammifères, qui sont pour les naturalistes le plus haut degré de perfection de l'ani

La base de leur doctrine, l'idée du pur sang, s'appuie sur une hypothèse diamétralement opposée. Ils accumulent en sa faveur, - quelle que soit d'ailleurs la signification qu'ils lui donnent pour les diverses espèces, tous les éléments de démonstration qu'ils peuvent imaginer; c'est égal, ils n'en donnent pas moins pour des types améliorateurs ce qu'ils appellent leurs demi-sang. Et pour preuve de l'efficacité de ceux-ci, il ne leur en coûte nullement d'affirmer, contre toute évi-malité, et en tête desquels se place l'homme, védence, que les races bovines et ovines anglaises améliorées sont des races métissées. L'histoire de ces races re contient aucun document qui ne dépose formellement contre cette assertion; tout le monde sait qu'elles ont été conduites au point de perfection où nous les voyons par les procédés de sélection dont nous avons donné la signification physiologique; il n'importe l'esprit de système a besoin d'en faire des métis; il n'est pas dans sa nature de plier devant les exigences des faits.

Inutile de pousser plus loin l'examen de la doctrine du croisement érigé en principe. Nous avons déjà dit que nous ne voulions pas, dans cet examen, dépasser les limites où se sont maintenus les partisans éclairés et suffisamment autorisés de la dite doctrine, parce que c'est dans ces limites seulement qu'elle est dangereuse pour l'économie de notre bétail, en raison de son apparence spécieuse. Nous pouvons conclure de tout ce qui précède,

que l'on Y a accumulé comme à plaisir l'arbi

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ritable roi, par droit d'intelligence, mais par ce droit seulement, de la présente création.

Comment se peut-il, cela étant, qu'une conception comme celle que nous avons combattue ait pu germer dans des esprits sérieux? Comment se fait-il que quelqu'un ait jamais pu songer à créer des formes ou des aptitudes nouvelles, chez les animaux placés sous notre dépendance, au mépris de cette loi immuable et éternelle de la subordination de l'individu au milieu dans lequel s'effectue son développement? On a besoin d'invoquer la lamentable histoire des aberrations de l'esprit humain, se prenant tout à la fois pour sujet et pour objet, pour en trouver la raison. Aujourd'hui, la science répudie absolument cette façon de procéder; le domaine des idées pures est clos pour elle; elle n'accepte d'autre fondement que la méthode expérimentale.

Le premier soin qu'elle doit avoir donc, dans ses applications à la zootechnie, est de renoncer décidément à toutes les suppositions qui entravent sa marche, à toutes les équivoques de langage qui l'obscurcissent.

Abandonnons pour toujours, d'abord, ces ex

traire, les contradictions et la confusion. Et cela était inévitable, car le lecteur a déjà saisi, sans nul doute, que le point de départ est une erreur physiologique manifeste, dont nous avons précé-pressions de pur sang, de sang, dont le principal demment donné la démonstration. La doctrine de la régénération par le croisement des races dites dégénérées, à l'aide d'un type supérieur, subor

défaut n'est point seulement de consacrer une erreur physiologique. Nous savons les significations diverses que leur ont données ceux qui les

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