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procédé est certainement préférable au premier. On ouvre des rigoles de 3 à 5 centimètres de profondeur, à 60 ou 70 centimètres l'une de l'autre, et dans chacune de ces rigoles, on laisse tomber une douzaine de graines par mètre de longueur; puis l'on recouvre et l'on roule.

Ceux qui n'ont pas de rayonneur se servent tout simplement de la charrue. Une personne marche derrière cette charrue, et ouvre des trous avec un bâton sur la tranche de terre retournée, et une autre personne place les graines dans ces trous. Il ne reste plus ensuite qu'à tasser fortement au moyen du rouleau, en terre meuble s'entend, afin de rétablir les conduits capillaires rompus par le labour, et d'empêcher l'action trop desséchante de l'air sur la couche arable.

Dans le nord de la France, on s'y prend encore d'une autre manière pour semer les betteraves. Le cultivateur tend un long cordeau, et ouvre les rigoles avec une houe. Une femme le suit et laisse tomber les graines dans les rigoles, tandis qu'une seconde femme recouvre la semence, et tasse la terre avec ses pieds.

nous devons semer, nous rabattons les mottes, nous unissons le sol par plusieurs vigoureux coups de herse, et nous le tassons à l'aide des rouleaux les plus énergiques que l'on puisse trouver. Le piétinement des chevaux qui conduisent la herse sur laquelle le laboureur se trouve assis, et les lourds rouleaux, renfoncent la terre et la tassent irrégulièrement, un peu par-ci, un peu par-là. Ils lui permettent d'offrir aux racines un peu de résistance et un point d'appui solide.

« Il peut paraître singulier, à ceux qui ne voient pas que le tassement amène la fraîcheur à la surface du terrain, en même temps qu'il s'oppose à l'action desséchaute de l'air, qu'une plante exige un peu de terre résistante; mais que voulezvous? chacun son goût. Si la betterave préfère les terrains tassés, si elle s'y plaît mieux, et si elle fournit plus de poids que lorsqu'il reste meuble, servez-lui ce qu'elle aime; ne raisonnez pas : vous n'y perdrez rien. Elle vous paiera vos peines par une levée régulière qui vous dispensera de recommencer votre semis, et par une plus grande masse de produits.

«Dans le nord, nous nous servons de herses triangulaires pour raffermir notre terrain. Nous y attelons trois chevaux, et nous donnons de la herse à tête jusqu'à ce que nous ne puissions plus faire entrer le bout du pied dans le sol. Les dents de la herse, renversée et traînée sur le sol, le raffermissent au lieu de le soulever, en glissant obliquement à sa surface. Le rouleau ordinaire en bois est trop léger, et ne tasse pas assez ; il unit trop et facilite, à la moindre averse, la formation d'une

Dans les contrées où les betteraves repiquées ou transplantées réussissent mieux que les betteraves semées à demeure, on a soin de former des pépinières. C'est ce qui se passe assez ordinairement chez les cultivateurs qui ont affaire à des terres plus ou moins fortes. Quand on forme des pépinières, il est essentiel de les sarcler et de les éclaircir de très-bonne heure, aussitôt que l'on peut saisir les jeunes plantes avec les doigts. Du moment où l'on néglige cette opération, les plantes serrées se nuisent, s'affament, s'affaiblissent et de-croûte dure. Si cette croûte se dessèche, le germe viennent impropres à fournir de belles racines. Vers le mois de juin, par un temps couvert ou pluvieux, on lève le plant, on coupe les premières feuilles à 10 centimètres du collet, on trempe les petites racines dans une bouillie de bouse de vache, et l'on repique avec le plantoir. Il est important de bien presser la terre autour du plant repiqué, à moins que cette terre ne soit très-argileuse.

ne peut pas la percer, et la jeune plante meurt avant de lever. Ailleurs, où l'on n'emploie pas la herse triangulaire à tête, et où l'on n'a que des herses carrées, on se sert d'un rouleau-squelette en fonte, à surfaces anguleuses qui ne lissent pas le terrain et le tassent un peu irrégulièrement, comme cela est nécessaire, pour que le dessus du sol ne se prenne pas en une seule masse, partout également dure et également impénétrable aux agents atmosphériques et à l'eau.

Soins à donner à la betterave pendant sa « Il n'est pas toujours facile de faire bien lever végétation. — La betterave exige des sarclages et les betteraves, surtout quand il fait sec; et cependes binages fréquents. On doit toujours choisir un dant nos cultivateurs pur sang ne craignent pas temps sec pour exécuter ces opérations. Beaucoup trop la sécheresse. Ils sèment un peu plus avant, de ménagères ont la mauvaise habitude de dé-plus profondément, si l'on veut, et raffermissent pouiller les betteraves d'une partie de leurs feuilles pendant le cours de la végétation, et de donner ces feuilles au bétail. On ne saurait s'élever avec trop d'énergie contre cet usage très-regrettable. Pour gagner 5 centimes en feuilles, on en sacrifie 10 en racines. Les feuilles sont les poumons des végétaux ; eh bien, oserait-on soutenir qu'on ne ferait pas de mal à un individu, en lui enlevant une partie de poumon?

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un peu plus le sol. Si l'on ne s'était pas aperçu que la levée est toujours plus régulière sur les parties fortement piétinées que dans le centre du champ, si l'on ne savait pas que plus le terrain est dur, plus en général les betteraves sont belles et abondantes, l'on ne se donnerait pas aujourd'hui tant de peine pour tasser ce terrain.

« Comme on le voit, ce n'est pas seulement pour obtenir une levée régulière que l'on demande de la solidité au sol : c'est encore, et surtout, pour favoriser l'accroissement des betteraves. Si le terrain est meuble, la betterave languira et aura de petites feuilles rabougries, dures, grises ou roussatres. La racine, au lieu de former un seul pivot bien uni, bien tendre et bien juteux, sera fourchue, et se partagera en une infinité de petites racines secondaires, fibreuses, coriaces, sans chair

ni séve, et recouvertes d'une peau épaisse et rugueuse. Ces nombreuses racines, qui vivront aux dépens du pivot, seront recouvertes d'un long et abondant chevelu qui soulèvera la terre trop meuble, et remplira tous les vides. On n'aura pas de poids à la récolte. Au lieu d'un beau pivot, gros et charnu, on n'aura qu'un petit pivot et des racines qui ne vaudront pas grand'chose, ni pour nourrir les animaux, ni pour fournir du sucre.

maladies particulières, ni de ces ravages d'insectes qui attestent presque toujours chez la plante un état de malaise, causé tantôt par l'excès des fumures, tantôt par l'épuisement de certaines substances minérales du sol. Ainsi les cultivateurs qui font uniquement des betteraves, par petites quantités, pour l'alimentation du bétail, ne se plaignent pas, tandis que dans les localités où l'on fait des betteraves en vue des sucreries ou des distilleries, les cultivateurs se plaignent souvent. Ainsi, vers 1846, on a signalé, pour la pre

avec la maladie des pommes de terre. Les feuilles sont attaquées, des taches fauves se montrent sur les racines, les envahissent, et si alors on les divise en deux parties, on remarque une altération plus ou moins profonde des tissus dans le sens de la direction des faisceaux vasculaires.

« Mais si l'on a eu la bonne pensée de tasser comme il faut son terrain, oh! alors, c'est une autre affaire. Au lieu d'une petite racine four-mière fois, une affection qui a quelque analogie chue, on a un beau pivot uni, clair, gros, tendre et bien juteux ; on a des feuilles larges, d'un beau vert foncé luisant, et, s'il pleut une fois de temps en temps, on obtient, par suite d'un vrai dévergondagé de végétation, 50, 60 et quelquefois plus de 80 000 kilogr. de betteraves par hectare. Il va sans dire que ces récoltes sont exceptionnelles : en moyenne, elles varient entre 30 et 50 000 dans les terres de qualité inférieure, et doublent presque dans les meilleurs terrains et sous la direction de nos plus habiles cultivateurs-fabricants.

« Ici, se présente naturellement une question: Faut-il semer immédiatement les betteraves sur fumier? Oui et non. Oui, si votre terrain peut être facilement raffermi, et si vos engrais sont massifs, lourds ou en poudre, et incapables de soulever le sol. Non, si votre terrain est trop léger, trop meuble, et si vos engrais longs et pailleux doivent encore ajouter à sa légèreté. Ne nous étonnons donc pas de rencontrer beaucoup de fabricants qui préfèrent les engrais pulvérulents ou terreux au fu- | mier pailleux. Cela leur permet, en outre, de faire consommer plus de paille en mélange avec la pulpe trop aqueuse de leurs usines.

« Rappelons un fait : Un cultivateur enfouit du fumier pailleux dans une bonne terre de vallée; sa cour étant trop tôt vidée, l'engrais lui manqua, et il laissa un bout du champ sans fumure. Il sema sur le tout, après avoir hersé, roulé et piétiné son sol le mieux possible. Dans la partie non fumée, sur laquelle les chevaux avaient dû tourner fréquemment, on fait fourrière, comme on dit chez nous, la levée fut surabondante, et, à la récolte, le produit fut presque double de ce qu'il était dans la partie fumée.

« Il s'ensuit qu'une préparation du terrain bien appropriée aux besoins de la plante, qu'un tassement convenable valent quelquefois mieux qu'une fumure mat appliquée.

« Si l'on employait toujours utilement toutes les forces productrices de l'agriculture, au lieu de les gaspiller dans des opérations de la nature de celle que je viens de citer; si nous nous rendions toujours parfaitement compte de tous les travaux que nous exécutons; si nous connaissions à fond la puissance incalculable des différents moyens que nous pourrions employer pour tirer le meilleur parti possible du sol, nous ne serions pas en peine de mieux nourrir et de mieux vêtir nos populations. »

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Le pied chaud est encore une maladie de la betterave. Il l'attaque dans sa jeunesse, quand elle n'a pas encore six feuilles. Ces feuilles s'arrêtent dans leur développement, et les racines se flétrissent, brunissent et se dessèchent.

La betterave a beaucoup à souffrir aussi des larves du hanneton et d'une larve grisâtre, désignée sous le nom de ver gris.

Récolte. La betterave achève de se développer pendant le mois de septembre, et d'ordinaire on l'arrache d'octobre en novembre, selon les climats. L'essentiel pour le cultivateur, c'est de ne pas se laisser surprendre par les gelées, et de faire en sorte que les racines soient le moins possible contusionnées, afin qu'elles soient de neilleure garde. Au temps de Mathieu de Dombasle, les frais de culture de la betterave s'élevaient à environ 324 francs par hectare de terre médiocre qui rapportait, en moyenne, 20 000 kilos. Le prix de revient des 500 kilos était donc de 16 fr. et quelques centimes, et le cultivateur les vendait de 20 à 24 francs. Depuis, les conditions ont bien changé; les prix de revient se sont élevés et les Dans une bonne terre, prix de vente ont baissé. convenablement fumée, on élève aisément le produit à 30 000 et 40 000 kilos de racines, en forçant la fumure; dans les climats du nord de la France et de la Belgique, on obtient de 50 à 100 000 kilos et plus; mais la qualité ne répond plus à la quantité.

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Emploi de la betterave. — Dans nos fermes, la betterave sert à la nourriture du bétail, et l'on assure que 100 kilos de cette racine peuvent remplacer 45 kilos de bon foin. Il ne faut pas trop s'y fier. Ne perdons pas de vue que le foin se Maladies de la betterave. Aussi long-compose d'un certain nombre d'espèces et de variétés de plantes, qu'il forme, par conséquent, temps que la culture de la betterave n'a pas été forcée à outrance, on n'a eu à se plaindre ni de une nourriture plus variée, moins incomplète

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Dans le Nord et en Belgique, on prépare avec la betterave un sirop ou poiré pour la consommation de la population ouvrière. Ce sirop se fabrique exactement comme le sirop de carottes, dont il a été parlé précédemment, mais il passe pour ne point le valoir précisément; on le dit plus fade. Les betteraves sont surtout utilisées par l'industrie qui en retire le sucre et l'alcool. La variété la plus recherchée, à cet effet, est la betterave blanche de Silésie à collet rose. On nous a assuré, dans une fabrique d'alcool, que celle à collet vert ne la valait pas; toutefois, nous avons à faire nos réserves sur ce détail, car un fabricant de sucre de nos amis nous affirmait dernièrement que cette assertion ne lui paraissait pas fondée. L'important pour les fabricants de sucre et d'alcool, c'est que les graines de leurs betteraves de Silésie aient été bien faites, qu'elles n'aient pas été prises sur des racines d'une densité | faible, provenant de terrains humides ou trop fumés ; qu'il n'y ait pas eu de longs arrêts de végétation, suivis de reprises inopportunes, parce que la production des feuilles se fait aux dépens de la matière sucrée, parce que le sirop de ces betteraves contrariées ne se cristallise pas; l'important enfin, c'est que les racines ne séjournent pas trop en terre après leur développement complet, et qu'elles ne restent pas non plus trop longtemps en silos.

Nous ne saurions trop applaudir aux industries qui tendent la main à l'agriculture. La distillation des grains et des racines, aussi bien que la transformation de ces racines en sucre, a forcé les industriels à engraisser un nombreux bétail, afin d'utiliser les résidus de la fabrication, de la manière la plus avantageuse. L'engraissement a produit le bon fumier, et le bon fumier a créé d'excellents terrains, avec un sol parfois trèsingrat primitivement. Nous n'adressons à l'industrie qu'un reproche, c'est de faire trop souvent bon marché des règles qui doivent présider à une culture normale, de sacrifier parfois les principes à l'appât désordonné du gain et de ruiner des champs en ayant l'air de les enrichir. Si les industriels qui ont des terres à bail trouvent de temps en temps leur compte à faire des cultures forcées, à ramener coup sur coup à la même place les plantes qui constituent leurs matières premières, les propriétaires du sol n'ont pas plus à s'en féliciter que la richesse publique.

tous ses détails, l'art de fabriquer le sucre ou l'alcool, attendu que l'on fabrique l'un et l'autre avec la betterave qui est un produit de l'agriculture, nous devrions nécessairement accorder la même faveur à l'art du tisserand qui fait ses toiles avec la filasse de notre lin et de notre chanvre ; à l'art du cordier qui fait ses cordes avec notre chanvre aussi; au fabricant de filets, pour la même raison; au drapier qui prend sa matière première dans nos fermes; au fabricant de velours et de soieries; au fabricant de couleurs qui nous demande l'indigo, la gaude, le safran, le pastel, etc., etc.; au brasseur qui n'existerait pas sans nos céréales et nos houblons; au meunier qui a besoin de notre froment; au tanneur qui a besoin des peaux de nos bêtes et de l'écorce de nos arbres; au chapelier qui recherche la dépouille de nos lapins; au charpentier, au menuisier et à l'ébéniste qui tirent parti de nos bois, etc. Ce serait à n'en pas finir, et voilà pourquoi nous devons nous borner à fournir quelques notes seulement toutes les fois que les industries relevant de l'agriculture sortent des attributions de la grande majorité des cultivateurs. Quand, au contraire, il s'agit d'industries à la portée de cette majorité, c'est différent; notre devoir est de leur accorder les développements qu'elles comportent.

Autrefois, la fabrication du sucre de betteraves et de l'alcool se faisait sur une petite échelle et la moyenne culture pouvait y consacrer avec profit quelques milliers de francs; aujourd'hui, cette industrie a pris des proportions qui en changent le caractère primitif; ce n'est plus une simple annexe de la ferme, un simple détail au milieu des autres détails de l'exploitation; c'est quelque chose de plus, c'est une industrie maîtresse qui commande à la ferme, qui lève tribut sur les cultivateurs, qui ruse avec eux et les met dans l'embarras quand elle peut. Nous ne la déclassons point, nous ne la renions point, nous nous contentons de faire remarquer qu'elle s'est déclassée de sa propre volonté, qu'elle a déserté le domaine agricole proprement dit pour entrer dans celui de l'industrie proprement dite.

Or, tout à l'heure nous disions et nous maintenons qu'il y a danger pour une publication de la nature de celle-ci à s'attacher aux flancs les questions industrielles. Ce que nous avons écrit sur les engrais, sur les labours, sur les cultures spéciales; ce que nous écrirons sur le bétail et ses produits, sur les vignes, les vins, les arbres fruitiers, les légumes, etc., ne cessera pas, nous le croyons, d'être encore la vérité dans quinze ou vingt ans, tandis que ce que nous pourrions écrire sur la question industrielle serait vieux et hors d'usage dans dix-huit mois ou deux ans, et alors nous aurions un cadavre lié à un vivant. Voilà Notes relatives à la fabrication du sucre pourquoi nous ne donnons pas entrée à la grande Nos lecteurs comprendront industrie rurale dans le Livre de la Ferme; si l'aqu'il ne nous est pas possible de traiter in extenso griculture et cette industrie peuvent loger sous le de toutes les industries qui se rattachent à l'agri- même toit, ce n'est qu'à la condition d'y occuper culture. Ce travail aurait le double inconvénient des pièces distinctes, séparées l'une de l'autre par de nous conduire trop loin et de vieillir trop tôt une cloison quelconque. L'expérience du contraire notre publication. Expliquons-nous : Si, a été faite; nous savons ce qu'elle a produit et nous exemple, nous jugions à propos d'exposer ici dans essayerons de profiter de la leçon.

de betterave.

par

Sortons à présent de cette digression un peu longue, mais absolument nécessaire, et donnons à nos lecteurs les notes promises en ce qui regarde la fabrication du sucre de betterave.

en cinq mois, près de 110 millions de kilogrammes de sucre.

« Le plus grand nombre de ces usines est concentré dans les départements du Nord (146 fabriques), du Pas-de-Calais (62), de l'Aisne (54), de la Somme (33), de l'Oise (24). Le restant (24) est ré

Le chimiste Margraff, de Berlin, retira le premier de la betterave, en 1747, du sucre cristallisable, mais sa découverte ne sortit des petits labo-parti dans quatorze autres départements. ratoires qu'au bout d'une quarantaine d'années. Un autre Prussien, d'origine française, Frédéric Charles Achard, s'occupa de l'extraction en grand en 1787, dans le domaine royal de Kunern, en Silésie, et obtint des succès fort incomplets sans doute, mais suffisants pour ouvrir la voie et donner de larges espérances. Ce ne fut toutefois que vers 1806 que la France intervint et que Benjamin Delessert, qui avait déjà créé à Passy la première filature de coton, s'occupa sérieusement de la question du sucre de betterave et réussit. - « On ne se figure plus aujourd'hui, écrivait M. Flourens, à cinquante ans de distance, et quand d'ailleurs toutes les circonstances ont tellement changé, l'intérêt passionné qui s'attachait alors à ces grands travaux. Le 2 janvier de l'année 1812, B. Delessert annonça son succès à Chaptal. Celuici en parla aussitôt à l'Empereur. Napoléon ravi s'écria : « Il faut aller voir cela, partons. » Et, en effet, il part. Delessert n'a que le temps de courir à Passy, et, quand il arriva, il trouva déjà la porte de sa raffinerie occupée par les chasseurs de la garde impériale, qui lui ferment le passage. Il se fait connaître, il entre. L'Empereur avait tout vu, tout admiré, il était entouré des ouvriers de la fabrique, fiers de cette grande visite; l'émotion était au comble! l'Empereur s'approche de Deles-tation qui avait altéré la qualité du jus. sert, et, détachant la croix d'honneur qu'il portait sur sa poitrine, il la lui remet. Le lendemain, le Moniteur annonçait « qu'une grande révolution dans le commerce français était consommée. » L'Empereur avait raison. La science venait de créer une richesse nouvelle, et qui s'est trouvée | immense. Depuis Margraff, depuis Achard jusqu'à Delessert, depuis Delessert jusqu'à nous, l'art de tirer le sucre de la betterave a fait chaque jour de nouveaux progrès; il en fait chaque jour encore ; et plus on étudie cette belle découverte sous le rapport du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, plus elle paraît grande. »

« En 1812, le sucre de betterave revenait au producteur à 5 fr. le kilogr. Aujourd'hui, il ne lui coûte que 55 à 60 centimes environ ! »

Cette moyenne, plus ou moins exacte, prouve qu'il y a eu progrès : voilà tout; elle ne nous apprend rien d'ailleurs; elle ne nous dit pas que le bénéfice du fabricant de sucre dépend beaucoup de la betterave cultivée, du terrain où on la cultive, des engrais, des influences climatologiques, de la qualité du jus par conséquent, et aussi de l'importance de l'échelle sur laquelle on opère la fabrication, et nécessairement du prix d'achat des matières premières.

Il semble résulter de tableaux que nous avons sous les yeux, et qui nous sont communiqués par un homme de bonne foi,, que, quelque infime que soit le prix d'achat des betteraves, si elles ne marquent pas au densimètre de la Régie un degré supérieur à 3o,5, on supportera des pertes, tandis qu'une densité de 4 à 5o,5 assure au cultivateur une rémunération suffisante et au fabricant un bénéfice. Les tableaux dont il est question furent dressés après la désastreuse campagne de 18571858, que n'oublieront pas de sitôt les fabricants de sucre. La betterave avait beaucoup souffert d'abord de la sécheresse, puis d'une reprise de végé

La quantité de sucre fournie par les betteraves est très-variable; elle dépend de la variété, du choix des graines, des méthodes de culture et de l'année. M. Péligot la porte à 10 p. 100 en moyenne. On est loin de les extraire du jus: 1 000 kilogr. de betteraves, rendant 80 p. 100 de jus à la densité de 3o,5, donnent à la Régie une prise en charge (par 1 400 grammes) de 39kil,20 de sucre, au saccharimètre 35,86, et à la fabrication par procédé ordinaire 30 kilogr., soit 3 p. 100.-1 000 kilogr.de betteraves, rendant 80 p. 100 de jus à la densité de 4 degrés, donnent à la Régie une prise en charge de 44kil,80 de sucre, au saccharimètre 66,77, et à la fabricaTrois années seulement avant le succès de Deles- tion par procédé ordinaire 48 kil., soit 4,810 p. 100. sert, Bosc, parlant des expériences du chimiste 1000 kilogr. de betteraves, rendant 80 p. 100 de Achard et du bruit que faisaient les journaux à propos de sa découverte, ajoutait qu'une commission de l'Institut avait été chargée de vérifier le fait et avait prouvé, dans son rapport, qu'on ne pouvait jamais espérer de tirer, en France, avec utilité pour le commerce, du sucre de la racine de betterave. La commission avait parlé trop vite, et son rapporteur, Deyeux, a dû s'en repentir plus d'une fois. L'arrêt était à peine prononcé par nos savants, que le professeur Gottling et que Fouques, à Paris, le cassaient à demi en attendant que Delessert le cassat tout à fait.

Après bien des vicissitudes, dit M. Girardin, l'extraction du sucre indigène est devenue chez nous une industrie très-importante, puisqu'au 31 janvier 1858 le nombre des fabriques en exploitation était de 340, et qu'elles ont fabriqué,

jus à la densité de 4o,5, donnent à la Régie une prise en charge de 50,04 de sucre, au saccharimètre 75,13, à la fabrication par procédé ordinaire 58 kil., soit 5,8 p. 100. Enfin 1 000 kilogr. de betteraves, rendant 80 p. 100 de jus à la densité de 5 degrés, donnent à la Régie une prise en charge de 56 kilogr., au saccharimètre 84,69, et à la fabrication par procédé ordinaire 67 kilogr., soit 6,7 p. 100. Nous devons ajouter que ces données ont été établies dans une fabrique pouvant employer 8 100 000 kilogr. de betteraves en une centaine de jours.

Il suit des chiffres qui précèdent que, dans les années où les betteraves sont pauvres en sucre, la Régie prélève un droit sur 39kil, 20, tandis que le fabricant n'obtient que 30 kilogr.; tandis qu'avec des betteraves très-riches elle ne prélève ce droit que sur 56 kilogr., tandis que le fabricant en ob

tient réellement 67. Une année, elle prend trop; | une autre année, elle ne prend pas assez. N'allez pas croire pour cela qu'il y ait compensation; car vous commettriez certainement une erreur d'appréciation. Vous seriez dans la vérité sans doute, si les récoltes pauvres alternaient régulièrement avec les récoltes riches; mais les choses ne se passent pas ainsi : il n'y a de régulier que la misère, et plus nous irons, plus elle augmentera, parce que l'on a abusé de la culture de la betterave, et qu'au lieu de maintenir la plante saccharifère dans sa richesse primitive, on a fait tout ce qu'il fallait faire pour l'appauvrir. M. Louis Vilmorin le savait bien lorsqu'il créait sa race de Silésie perfectionnée, race qui n'aura pas les résultats attendus 1o parce qu'elle est plus sensible que le type aux rigueurs de la température; 2° parce que pour la maintenir il faudrait un tact et une intelligence que nous ne devons pas attendre de la plupart des cultivateurs. Les fabricants savent bien aussi que leur sort dépend d'une bonne culture de la betterave, et nous en avons la preuve dans un traité conclu entre un de ces fabricants et un cultivateur. Voici ce traité, presque mot pour mot:

« Les soussignés, Pierre, fabricant de sucre à X., d'une part; et le sieur Jean, cultivateur à X., d'autre part, sont convenus de ce qui suit :

« Le sieur Jean, cultivateur, s'engage envers M. Pierre, fabricant :

« 1o A planter en betteraves à sucre et à cultiver pendant l'année 1856 la quantité de un hectare de terre, et de livrer TOUT LE PRODUIT de la récolte qu'il fera, sous peine de dommages-intérêts envers M. Pierre.

« 2o Les terres défrichées, noires ou marécageuses, ainsi que celles fumées soit avec des matières fécales ou avec le parcage des moutons, ne pourront être employées à la culture des betteraves. M. Pierre se réserve de refuser les betteraves qui en proviendraient.

« 3o La graine sera fournie par M. Pierre, au prix de 1',20 le kilogr. Aucun planteur ne pourra déroger à cette condition.

«4° Les livraisons seront faites à la fabrique aux jours indiqués par M. Pierre, mais jamais avant que les betteraves n'aient été arrachées au moins quatre jours à l'avance, en ayant soin de les préserver du soleil ou de la gelée, et alors elles seront pesées sur la bascule de la fabrique avec un trait de 1 p. 100.

«5o Les betteraves ne devront point avoir plus de 8 p. 100 de terre; il sera fait une déduction de 5 p. 100 en plus sur celles qui comporteraient 12 p. 100.

« 6° Les betteraves devront être bien saines et bien décolletées. M. Pierre aura le droit de refuser les betteraves dites boutoires ou de ne les payer

que 8 francs en moins par 1 000 kilogr., ainsi que celles impropres à la fabrication du sucre. Dans tous les cas, le planteur sera toujours obligé de fournir la quantité de betteraves désignée dans le compromis.

« On fera subir aux betteraves effeuillées avant leur arrachage une réduction de 2 francs par 1 000 kilogr.

« 7o En cas de gelée trop intense, le planteur s'engage à couvrir les silos de fumier, d'après la demande de M. Pierre.

« De son côté, le sieur Pierre s'oblige:

« 1° A recevoir les betteraves dans l'état ci-dessus convenu et d'en payer au sieur Jean le prix, à raison de 22 fr. les 1 000 kilogr., rendus à sa fabrique, en octobre, novembre et décembre.

« 2o Chaque planteur aura droit à 15 p. 100 de pulpe du poids des betteraves qu'il aura fournies, au prix de 40 cent. l'hectolitre, pesant net 50 kil., à livrer pendant tout le temps de la fabrication. Pour le surplus, il sera facultatif au fabricant d'en donner ou d'en refuser, au prix de 60 centimes. »

Dans un second compromis, non signé, à l'état de projet sans doute, on définit la betterave à sucre celle dont le jus marque 4o,5 au densimètre.

Quelques-unes des clauses qu'on vient de lire en disent plus que tous les discours que l'on pourrait faire. La pratique reconnaît qu'il faut éviter certains sols, que certains engrais et l'excès des fumures ont une mauvaise influence sur la qualité des produits; que le choix de la graine a une grande importance sur l'avenir des récoltes; elle aurait pu reconnaître aussi que la diminution de densité des jus pourrait bien aussi résulter du retour trop fréquent des betteraves à la même place ou de l'emploi de fumiers ne provenant pas d'animaux nourris avec la pulpe des sucreries.

Voilà, pensons-nous, les seuls renseignements qui soient de nature à intéresser les cultivateurs, en ce qui touche la transformation de la betterave en sucre. Et ce que nous venons de dire à ce sujet s'applique évidemment à la transformation de la betterave en alcool, transformation antérieure à la précédente. En 1809, Bosc écrivait ces lignes :

«La grande quantité de sucre et de mucososucré que contient la racine de la betterave la rend très-propre à la fermentation vineuse, et par suite à fournir de l'eau-de-vie.

« On dit qu'il y a en ce moment dans le nord de l'Allemagne plusieurs distilleries qui se livrent à ce genre de spéculation: mais je ne crois pas que, tant qu'il y aura des eaux-de-vie de vin en France, il puisse être avantageux de cultiver cette plante sous ce rapport. »

Les savants ressemblent beaucoup aux ignorants, en ce sens qu'ils affirment ou nient toujours avec une facilité étonnante. P. JOIGNEAUX.

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