Page images
PDF
EPUB

fermier dans la rigueur du mot. Nous n'accordons pas le titre de cultivateur aux hommes qui occupent, dans les journaux et les livres, la place de leurs chefs de culture et de leurs jardiniers, et qui produisent plus souvent à perte qu'à bénéfice; nous n'entendons parler que de ceux qui savent diriger une exploitation par eux-mêmes, ou mettre leurs serviteurs à l'œuvre, sans donner procuration à un lieutenant quelconque.

Il faut à ces hommes plus que le goût des champs, plus que le feu sacré; il leur faut, avec cela, nombre de qualités que les gens du monde ne soupçonnent qu'en partie, et que le vulgaire des cultivateurs ne réunit point.

Si vous n'avez pas une bonne santé, allez à la campagne pour y chercher le repos, l'air pur et le lait chaud, non pour y chercher le travail. Un cultivateur qui n'est pas un peu solidement constitué ne dure guère; les jarrets, les bras et les poumons sont mis à rude épreuve; on ne va pas en terre labourée comme sur un chemin bien entretenu; on n'a pas ses aises par les journées brûlantes de l'été, et par les matinées froides de l'automne. Pour un orage qui menace ou une averse qui tombe, on ne quitte pas la besogne, on la continue comme si de rien n'était. On reçoit le soleil, on reçoit la pluie, on reçoit le grésil ou la grêle, et aussi longtemps que l'attelée se prolonge, il n'y a pas à reculer. La chemise tient à la peau, la blouse tient à la chemise; c'est égal; il n'y a pas lieu de se plaindre; nécessité fait loi.

|

moins tres-approximativement, du poids des denrées, et savoir combien on a de gerbes au gerbier, de milliers de foin au fenil ou en meules, de kilos de grain battu au grenier, de kilos de racines en cave, au cellier ou en silos. Il n'y a que ce moyen d'éclairer la situation. Avons-nous besoin d'ajouter qu'il est important de rationner les bêtes de la ferme, selon qu'elles travaillent ou ne travaillent point, et afin de savoir si la masse des provisions répondra aux exigences de la consommation, s'il y a lieu d'en distraire une partie, s'il y a lieu de garder le tout, et même d'en acheter en temps opportun pour compléter l'approvisionnement.

Le cultivateur aime souvent la terre plus que de raison, tantôt pour elle-même, comme l'avare aime les écus, tantôt pour satisfaire sa vanité et acquérir cette considération de village qui se mesure aux biens que chacun possède sous le soleil. On cache l'argent, parce qu'on a peur des voleurs, mais n'était cette peur, on le montrerait, on le compterait devant tout le monde, afin de se faire valoir. Avec la terre, il n'y a pas de crainte à concevoir; ça se montre, parce qu'il ne saurait venir à la pensée de personne de mettre un champ dans sa poche ou de l'emporter sur ses épaules. On achète donc des champs, un peu pour les faire voir, et établir ce que l'on vaut; on en achète jusqu'à son dernier sou, même plus qu'on ne peut en payer argent sur table, et l'on s'arrange quelquefois encore de façon à donner à supposer qu'il reste à la maison, au fond de l'ar

La profession de cultivateur exige une grande activité. Au dire des maîtres, le temps est de l'ar-moire, ou dans quelque coin bien secret, des sacs gent; il convient donc de n'en point perdre. Il faut que le chef de la maison soit le premier debout et le dernier endormi. Le cultivateur qui ne fait pas tout par lui-même a nécessairement des serviteurs à ses ordres. Or, les hommes qui travaillent pour le compte d'autrui se ménagent autant qu'ils peuvent, et ne font pas les choses comme s'ils y étaient intéressés directement. Avec eux, par conséquent, la surveillance est de rigueur.

Le cultivateur doit avoir de l'ordre dans les idées et dans les travaux. Avant de prendre une exploitation, il doit savoir ce que vaut la terre, ce qu'elle produira et par où s'en iront les produits. Dans les opérations de fantaisie, on ne relève que de son goût particulier; mais dans les opérations sérieuses, on cherche le bénéfice net, et si telle culture qui ne nous plaît guère, nous donne plus de profit que telle autre culture qui nous plaît beaucoup, nous devons sacrifier la seconde à la première. Longtemps d'avance, l'assolement sera combiné et arrêté; la veille au soir, les opérations du lendemain seront réglées de telle sorte que les cas d'empêchement soient prévus, et qu'à défaut d'un travail projeté, on puisse de suite se rejeter sur un autre. Les opérations faites sans ordre, sans prévoyance, au jour le jour, amènent l'hésitation, les fausses manœuvres et les pertes de temps.

Il faut se rendre un compte exact des dépenses et des recettes de chaque jour, les marquer sur un registre, les additionner tous les mois ou tous les quinze jours. Il faut aussi, au fur et à mesure de la rentrée des récoltes, se rendre compte, au

[ocr errors][ocr errors]

de vieux louis en réserve. Sous la blouse, comme dans toutes les conditions sociales, il existe un besoin de puérile distinction très-marqué. Le villageois qui a de la gêne appartient à la catégorie des petites gens, tandis que les villageois les plus riches en biens-fonds, ou paraissant l'être, sont les personnages de l'endroit. - Défiez-vous de cette vanité de grands enfants, car elle est grosse de mauvaises conséquences. Pour attirer l'attention et la considération, on entreprend plus de besogne qu'on n'en peut conduire; on ne garde pas de fonds de roulement; on mange ce qu'on a, en achetant à crédit de quoi s'arrondir; on dépense plus qu'on ne peut, afin de paraître sottement plus qu'on n'est; on emprunte pour masquer les embarras, au lieu de vendre de quoi s'en dégager; et, de peur de s'amoindrir aux yeux du préjugé, on ne se dessaisit de rien pour aider ses enfants.

Une des qualités les plus essentielles au cultivateur qui est obligé de recourir à la main-d'œuvre des journaliers et des serviteurs à gages, c'est le tact dans le commandement. Qui commande mal est mal servi, qui commande bien est bien servi. Il ne s'agit pas de s'imposer comme maître, et de dire: Je paie, donc j'ai le droit d'exiger que les choses soient faites de telle ou telle manière ; il s'agit de se faire accepter et de prouver sa supériorité. Or payez, au besoin, de votre personne, et établissez, ainsi, que vous savez exécuter ce que vous savez ordonner; sans quoi, les gens à votre service se gausseraient et riraient de vous. Distribuez vos travaux d'une façon intelligente; donnez à

propos des ordres qui ne se contredisent point; ne défaites pas d'une main ce que vous avez commencé de l'autre; ne soyez jamais irrésolu ni tâtonneur; ne soyez ni impérieux ni familier avec vos serviteurs, car ils ne tarderaient point à vous manquer de respect; prenez garde aux injustices, n'injuriez pas, ne vous emportez pas, ne froissez pas; ne blâmez point sur un simple soupçon; n'accusez qu'avec la certitude de frapper juste; soyez constamment digne dans vos observations et vos remontrances, lent à prendre une résolution extrême, mais ferme quand vous l'avez prise. Lorsque vous êtes satisfait, exprimez votre satisfaction; votre blâme, à l'occasion, n'en aura que plus de poids. Ayez de bonnes paroles pour les hommes de bonne volonté, de bonnes raisons pour ceux qui se montrent rétifs, de bons soins pour ceux qui souffrent. C'est ainsi que vous établirez votre supériorité sous tous les rapports; c'est ainsi que vous façonnerez des hommes dévoués, que vous les attacherez peu à peu à la ferme, que vous les amènerez à épouser vos intérêts, à se croire tout à fait de la maison, et à dire, en parlant de ce qui est à vous : « — Notre maison, nos champs, nos fruits, nos bêtes. » Ceci est l'affaire de longues années, non l'affaire d'un jour. N'établissez point de hiérarchie, de degrés parmi vos serviteurs; ne souffrez pas que l'un commande à l'autre ; commandez à tous; autant que possible même, abstenez-vous de déléguer à votre femme ou à vos enfants une trop large part de votre autorité, car les fermes où tout le monde commande ont mauvais renom. Il ne s'y forme jamais de bons serviteurs, et les meilleurs s'y gâtent.

Vous aurez de la peine à introduire ou plutôt à faire accepter les outils nouveaux et les méthodes nouvelles, car les hommes, surtout ceux d'un certain âge, se cramponnent opiniâtrément aux anciens usages, se moquent volontiers des novateurs et ne se soucient point de redevenir apprentis. Ne les brusquez pas, exprimez le désir d'essayer chez vous ce qui donne d'excellents résultats autre part; exposez vos raisons; ayez un peu l'air de consulter votre personnel, écoutez les objections avec bienveillance; tâchez de les combattre victorieusement et de provoquer l'essai par la persuasion. Si vous y réussissez, tant mieux; mais, dans le cas contraire, ne capitulez point, exigez et surveillez de près le travail, car, pour se donner raison, on l'exécutera le plus mal possible. Cherchez des hommes jeunes et qui n'aient pas de mauvais pli pour mettre en œuvre les moyens

nouveaux.

De toutes parts, on s'accorde à reconnaître que les excellents serviteurs sont moins communs en ce temps-ci qu'au temps passé. La remarque est juste, mais il conviendrait de reconnaître que les excellents maîtres sont moins communs aussi. Si nous prenions la peine d'aller au fond des choses, nous verrions bien vite que les rapports de maître à serviteur ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient autrefois. Il y a cinquante ans et même moins, le domestique était réellement le compagnon du fermier. En général, ils n'étaient ni mieux élevés ni plus instruits l'un que l'autre;

ils travaillaient ensemble du matin au soir, causaient de leurs affaires et se confiaient leurs secrets pendant les attelées, vivaient à la même table, mangeaient au même plat, buvaient à la même tasse et parlaient le même patois. Le domestique n'avait donc rien à envier, rien à jalouser. Or, où il n'y a point de distance fortement accusée, les rapports sont faciles, agréables, et pour peu que les caractères sympathisent, on s'attache vite l'un à l'autre et l'attachement dure. De nos jours, ce n'est plus cela; la ligne de démarcation est bien tracée; les points de contact disparaissent; les maîtres ne se confondent plus avec les domestiques; ils s'en éloignent de plus en plus par l'éducation, par l'instruction reçue dans les villes, par l'habit, la nourriture et les relations habituelles. De leur côté, les serviteurs ont plus de connaissances qu'au temps passé, moins d'humilité dans l'esprit, plus de souci de leur dignité d'homme, plus de susceptibilité, plus de tendance à sortir de leur infime condition, pour devenir, à leur tour, propriétaires d'un lopin de terre et s'appartenir. Il n'y a plus de compagnons; il n'y a plus que des hommes qui payent pour se faire servir, et des hommes qui servent pour être payés. La familiarité n'est plus possible entre eux; ils ne vivent plus ensemble; il n'y a plus de raisons pour qu'ils s'attachent solidement et qu'ils finissent sous le même toit.

Il ne reste plus, à notre avis, qu'un moyen de souder les serviteurs à la ferme, c'est de les intéresser au succès de l'entreprise par une petite part dans les profits, et d'élever ainsi leur condition d'un degré. Ce faisant, le fermier trouvera des hommes de cœur pour auxiliaires; sinon, il n'aura à son service que des individus inintelligents et remplis de défauts. L'amélioration que nous indiquons ne serait pas plus difficile à réaliser dans l'industrie agricole que dans l'industrie manufacturière et le commerce, où les maîtres habiles ne la négligent pas.

Nous aimons les innovations agricoles, mais nous conseillons au cultivateur de ne les aborder qu'avec une grande prudence, et de ne pas trop s'en rapporter, sur ce chapitre, aux éloges qu'on en fait dans certains livres et certaines publications. Il doit se tenir à égale distance de la routine et de la témérité. Ceux qui s'obstinent à ne point bouger sont tout aussi déraisonnables que ceux qui veulent aller trop vite en avant. Nous désirons le progrès graduel, incessant, mais par petites étapes; nous le désirons parce que l'agriculture ne saurait être condamnée à l'immobilité quand tout se meut autour d'elle, et aussi parce que nous devons nécessairement élever nos ressources au niveau de nos besoins. Or, nos besoins ne sont plus ce qu'ils étaient jadis; les gens se vêtent mieux, se nourrissent mieux, se logent mieux et sont plus désireux d'instruction qu'au temps passé. On dépense par conséquent plus, et, pour faire face à ces dépenses nouvelles, il faut, de toute nécessité, produire plus que ne produisaient nos pères, et employer dans ce but des moyens nouveaux.

Nous ne tirons pas des engrais tout le parti possible; nous ne combinons pas toujours nos

assolements d'une manière convenable; nous n'accordons pas une assez large place aux cultures fourragères; nous hésitons trop à remplacer nos vieux outils défectueux par les outils perfectionnés qui ont fait leurs preuves; nous ne voulons point proportionner l'étendue de nos cultures au volume des engrais dont nous disposons; nous ne comprenons pas assez l'importance du capital d'exploitation et du fonds de roulement; nous poussons trop loin l'ambition de la propriété; nous achetons trop aisément à crédit, comme si les échéances ne devaient jamais venir; nous dédaignons un peu trop les connaissances théoriques; nous nous tenons même rarement à la hauteur des connaissances pratiques de notre époque; nous ne savons rien de ce qui se passe hors de notre contrée, au delà d'un rayon de quelques kilomètres, tandis que nous aurions tous intérêt à faire ce que font les compagnons du devoir, à savoir ce qui se passe dans les pays renommés pour leur bonne agriculture. Voyager, c'est feuilleter et lire dans le livre de la nature. Les hommes qui ont voyagé et observé sont bien rarement les esclaves de la routine; c'est presque toujours à eux que nous sommes redevables des innovations utiles. Par cela même qu'ils ont beaucoup vu et souvent comparé les diverses méthodes, les divers outils entre eux, ils sont en position de juger du mérite propre à chacune d'elles et à chacun d'eux.

L'homme rompu aux détails de la pratique agricole convient mieux que tout autre à la direction d'une ferme; mais il conviendrait mieux encore si, à ces connaissances pratiques, il joignait les connaissances théoriques que l'on puise dans les écoles spéciales, dans les livres de choix et les publications consciencieuses. La vraie science ne nuit à personne et rend des services à tout le monde, aux cultivateurs principalement. Beaucoup s'en passent, sans doute, font néanmoins d'excellentes affaires aux champs et réalisent des bénéfices, quand des savants étrangers à la pratique s'y ruinent communément; mais ce n'est point une raison pour nier l'utilité de la science en agriculture et méconnaître la portée des services qu'elle peut nous rendre. La composition de l'air, la composition des terrains, la manière de vivre des plantes, les noms et les propriétés de ces plantes utiles ou nuisibles, la théorie du labourage et de la compression, la théorie du drainage, les applications de la chimie aux diverses industries rurales, les applications de la mécanique au perfectionnement de nos divers outils, la théorie des engrais, la zootechnie, l'entomologie, l'hygiène, etc., etc., nous intéressent évidemment. Nous ne pouvons faire un pas en avant ou de côté, sans que la science nous invite à l'interroger et nous pose problème sur problème. Seulement, ne confondons pas toujours la chose avec les hommes, la science avec ceux qui se disent savants, et défions-nous de l'assurance exagérée que les études spéciales donnent aux individus, surtout à ceux qui n'entendent rien aux choses de la pratique. La science pose des règles, mais ces règles sont subordonnées, dans l'application, à tant de considérations

[ocr errors]

imprévues qu'il faut bien se garder de les suivre à la lettre. Vous trouverez, par exemple, trèspeu de bons mathématiciens qui soient aptes à diriger une exploitation rurale. C'est ce qui a fait dire à Mathieu de Dombasle : « Les mathématiques pures ne donnent à l'homme qui s'y livre aucune habitude d'observer et d'étudier les faits matériels; aussi, je pense que les études de ce genre forment la plus mauvaise de toutes les préparations pour le succès dans une entreprise agricole. » M. de Dombasle n'entendait parler que des hommes spécialement adonnés aux mathématiques. Il aurait pu classer dans la même catégorie les hommes qui font de l'étude de la chimie leur occupation principale. Nous parierions que ceux mêmes qui nous ont rendu le plus de services et que nous estimons le plus ne seraient point à leur aise au milieu des travaux d'une ferme.

Si nous voulions un cultivateur parfait, les qualités que nous avons signalées ne suffiraient pas. Nous nous en tiendrons donc aux plus essentielles, et, dans le nombre, il en est une que nous serions au désespoir d'omettre; c'est celle qui caractérise l'homme de négoce, et que l'on désigne sous le nom d'entente des affaires ou d'esprit des affaires. Une ferme, qu'on veuille bien le remarquer, n'est pas seulement une fabrique de végétaux et d'animaux : c'est aussi une maison de commerce. Pour fabriquer, il s'agit d'acheter la matière première; et, quand on a fabriqué, il s'agit de vendre. Or, il n'est pas donné à tout le monde de savoir et bien acheter et bien vendre. Quantité de cultivateurs qui ont du bétail et des denrées disponibles, s'imaginent toujours ou que la baisse ne durera pas ou que la hausse continuera. S'ils ont, au contraire, du bétail ou des denrées à acheter, ils espèrent que la hausse s'arrêtera ou que la baisse ne s'arrêtera pas. Ceux-là n'entendent rien aux affaires.

Ne perdons donc pas de vue que pour mener à bien une exploitation, il ne faut pas être seulement un bon cultivateur, il faut de plus être quelque peu marchand, et se faire renseigner le mieux possible sur l'état des récoltes dans son propre pays et à l'étranger, et se bien tenir au courant des mercuriales de tous les marchés importants.

De tout ce qui précède, il semble résulter qu'on naît cultivateur plutôt qu'on ne le devient, et que la pratique des choses, dès la jeunesse, en apprend plus que les meilleurs maîtres et les meilleurs livres.

Il y a du vrai dans la conclusion.

A présent, supposons qu'un chef d'exploitation soit très-heureusement doué des qualités essentielles à la réussite de l'entreprise, nous n'oserions pas encore répondre du succès. Serat-il bien secondé par sa femme ou sera-t-il mal secondé ? Voilà la question.

La fermière est l'âme de la maison; elle a besoin, elle aussi, de souplesse d'esprit, d'intelligence, d'activité, d'économie, d'esprit d'ordre, d'entente des affaires, de tact dans le commandement et de toutes les connaissances spéciales qui forment une ménagère accomplie. La basse-cour,

la laiterie, la cuisine, la lingerie, le potager, la autres n'a besoin pour conduire la charrue aux conservation de certains produits sont naturelle-champs ou les bêtes à l'abreuvoir.

On chasse donc les jeunes hommes intelligents de la ferme, comme on en chasse les jeunes filles, et ce n'est que très-exceptionnellement que l'on confie ces jeunes hommes aux écoles d'agriculture qui comptent leurs élèves par douzaines, tandis que les facultés de médecine et de droit les comptent par milliers. Voilà la situation, telle que l'ignorance et les préjugés nous l'ont faite. Il est temps, grandement temps d'en sortir et de nous créer de véritables agriculteurs ainsi que des compagnes dignes d'eux, c'est-à-dire qui ne soient ni trop primitives ni trop demoiselles, qui n'entravent point leur marche, à tout propos, par inintelligence ou par mauvais vouloir! On aurait dû commencer par où l'on finira, ou tout au moins, on aurait dû ouvrir des écoles spéciales aux filles de nos villages, en même temps qu'on ouvrait les

çons. Ne nous lassons point de dire et de répéter que l'éducation des villes détourne nos jeunes filles des occupations de la ferme, et que la mauvaise éducation de village ne saurait les y attacher. La désertion des filles entraîne la désertion des hommes; l'antipathie des femmes du monde pour les usages modestes et la vie calme des champs s'oppose à la résidence des maris à la campagne et produit ce que l'on nomme l'absentéisme.

ment à sa charge. Or, il faut se l'avouer avec chagrin, nos cultivateurs ne trouvent pas aisé ment des femmes qui aient les connaissances voulues et soient à la hauteur de leur mission. Ils voudraient des ménagères d'une intelligence quelque peu cultivée, et qui, au besoin, ne fussent pas plus déplacées à la ville qu'à la campagne, en un mot, des travailleuses un peu femmes du monde, à l'occasion. Ce sont là deux qualités qui, assurément, ne s'excluent point, mais qu'il est rare de rencontrer réunies et que nous n'obtiendrons qu'avec des écoles spéciales. Nos écoles de village ne répondent pas aux exigences de la société moderne. Ce qu'on y enseigne est insuffisant, et l'éducation proprement dite y laisse trop à désirer. Aussi, les jeunes hommes qui ont passé au moins quelques mois d'hiver dans les villes ou quelques années dans nos écoles régio-écoles régionales et les fermes modèles aux garnales d'agriculture, ne se soucient point de former des unions incompatibles ou ne s'y résignent qu'à la dernière extrémité. D'autre part, les filles de cultivateurs qui ont passé par les pensionnats des villes, où l'enseignement des frivolités l'emporte de beaucoup sur l'enseignement des choses utiles, ne rentrent au village qu'avec l'espoir d'être un jour recherchées par des citadins et de quitter pour toujours la ferme. Elles ont pris goût à la musique; on leur a parlé des douceurs de la ville, des charmes d'une vie qui s'écoule entre les fantaisies de la toilette et les lectures émouvantes; on leur a établi le parallèle entre les allures d'une société bourgeoise et les mœurs un peu rudes du village on a fait miroiter devant elles la séduction des soirées, des concerts et des spectacles; on leur a appris les belles manières et les minauderies; enfin, on a ridiculisé les paysannes, et toutes veulent devenir de grandes demoiselles. Avons-nous besoin d'ajouter que leurs mères ne demandent pas mieux et s'enorgueillissent en songeant qu'un avocat, un avoué, un notaire, ou un médecin les demandera en mariage. Oui, les mères chassent leurs filles de la ferme, leur apprennent à rougir de leur origine, à maudire le travail des champs, qui est la source de toute vertu, à désirer l'oisiveté qui déflore la vie et l'emplit de dégoût. Les pères sont tout aussi déraisonnables à l'endroit des garçons. On leur a dit si souvent qu'avec le latin et le grec on passait partout, qu'ils l'ont cru, le croient et ne comprennent pas qu'un jeune homme, au sortir du collége, puisse revenir à la ferme. A leurs yeux, devenir fermier, quand on a fait des études quelconques, c'est descendre l'échelle des conditions humaines; tandis que déserter la ferme, c'est s'élever. Tous les jours, nous entendons débiter de semblables énormités; tous les jours, par suite d'un écart de jugement que nous ne nous expliquons pas de la part de gens plus vains que modestes, Ce qui était vrai, il y a une trentaine d'années, on nous dit : Si nous voulions mettre nos l'est encore aujourd'hui. On pourrait même affirgarçons à la charrue, nous nous contenterions mer que le mal a empiré et empire chaque jour. des leçons du maître d'école, au lieu de dépen- Tout le monde voit la plaie, tout le monde la siser de l'argent gros comme eux pour leur ap-gnale, la touche du doigt et s'effraie de sa graprendre un tas de choses dont personne de nous vité, mais personne n'y apporte le remède. Nous

[ocr errors]

Mathieu de Dombasle a écrit avec raison: « On ne peut se dissimuler que le retour aux habitudes de la campagne sera lent parmi nous; et il est facile de prévoir que le principal obstacle se trouvera dans l'éducation que reçoivent les femmes parmi les propriétaires qui jouissent de quelque aisance. Cette éducation est encore la suite de la tendance qui a porté jusqu'ici cette classe de la société vers la résidence des villes : si l'on habite encore la campagne, on forme du moins le désir de rendre sa fille digne de tenir une place dans la société des villes, parce qu'on croit lui faire monter ainsi un degré de l'échelle sociale. Souvent l'éducation d'une jeune personne est un motif pour une famille d'aller fixer sa résidence à la ville; et si des circonstances s'y opposent, on la place dans un pensionnat où elle sera façonnée au ton de la bonne société, c'est-à-dire à toutes les habitudes urbaines : des talents agréables, qui lui seront de la plus complète inutilité dès qu'elle sera épouse et mère, même si sa résidence se trouve fixée à la ville; des goûts et des habitudes qui tendent à la détourner à ja-. mais de la vie rurale, voilà à peu près tout ce que recueille une jeune personne de son éducation, au lieu d'y avoir puisé les connaissances, les habitudes et les goûts qui pourraient lui faire trouver tant de charmes dans les soins de famille et de ménage, qui doivent remplir toute la vie de l'épouse d'un propriétaire qui habite la campagne. »

en sommes toujours aux lamentations et aux dis- | nourriture leur donne plus de forces, ils en

cours.

Bien avant M. de Dombasle, en 1769, un homme qui ne tenait point à être connu, écrivait en tête du premier chapitre d'un bon livre : - «On pourrait dire des fermières ce que l'on dit des amis: Rien n'est si commun que le nom, rien n'est si rare que la chose. » Et il ajoutait qu'une fermière doit être pour son ménage et tout ce qui l'entoure un modèle de conduite, une compagne douce, prévenante, égale de caractère, ne procédant point par caprice, mais après mûre réflexion. Il la voulait exacte à faire les repas, prévoyante, économe sans lésinerie, parce que grand train absorbe grand gain; assez habile dans l'art des préparations culinaires, afin de n'être pas embarrassée à l'occasion, bonne mère et attentive à développer chez ses enfants le goût de la vie rurale, au moyen de certains petits profits; bonne maîtresse, sévère sur la conduite de ses domestiques, sans cesser d'être charitable; circonspecte vis-àvis d'eux, jamais trop familière. Il lui conseillait de commander avec fermeté, mais sans rudesse et toujours à propos, de ne jamais gourmander hors de saison, de prévenir les besoins de ses serviteurs, de les bien nourrir, de leur prodiguer tous les secours nécessaires en cas d'accidents ou de maladies, de les choisir dans le canton parmi les familles connues, de les payer exactement, de ne leur faire que de très-petites avances, de ne pas regarder de trop près quant aux gages, de leur passer quelques petits défauts, de ne point trop leur faire sentir qu'on tient à leurs services, parce que tout serviteur qui se croit nécessaire ne tarde pas à devenir intraitable.

sont plus tôt rassasiés et consomment moins de pain. » Il voulait que la ménagère connût bien la qualité des diverses sortes de farine et s'entendit à la fabrication du pain; qu'elle sût saler et fumer les viandes de porc et de boeuf; que les détails les plus minutieux sur la manipulation du lait, la fabrication du beurre et sa conservation, sur l'art de préparer les meilleurs fromages, sur l'art de gouverner les fruits au fruitier et d'en tirer parti ne lui fussent pas étrangers. Il appelait tout particulièrement l'attention de la ménagère sur les ressources si précieuses du potager. Selon lui, en outre, une fermière devait s'entendre au gouvernement de l'étable, savoir proportionner le nombre des vaches à la quantité de la nourriture disponible; savoir les caractères qui indiquent les bonnes laitières; savoir reconnaître l'âge, distribuer les vivres, soigner les veaux et les génisses, distinguer ceux qu'il convient de garder de ceux qu'il convient de vendre au boucher; connaître les meilleures méthodes d'engraissement, les appliquer elle-même et ne point oublier le dicton flamand: l'œil de la fermière engraisse le veau. Elle ne devra pas ignorer non plus les diverses manières d'engraisser les bœufs. Enfin, tout ce qui a rapport à la porcherie, à la volaille, devra lui être familier. Les principaux symptômes des maladies les plus communes aux animaux devront lui être indiqués en même temps que les premiers soins à administrer en attendant l'arrivée du vétérinaire.

Voilà les connaissances que l'on croyait, avec raison, indispensables à une bonne ménagère, il y aura cent ans bientôt. — Aujourd'hui, nous ne sommes guère plus exigeant, nous nous en contenterions très-bien. Donnez-nous une école où toutes ces connaissances pratiques soient enseignées et expliquées un peu scientifiquement, et nous ne serons plus en peine d'élever nos filles selon nos désirs, de les attacher à la vie rurale et de changer complétement le caractère de nos fermes.

Donnez-nous aussi, pour les heures de loisir, des livres bien pensés, bien écrits, romans et autres, qui ne s'écartent jamais des lois de la mora

Ceci vaut bien une leçon de piano, mais ce n'est pas tout. Il conseillait, en outre, à la fermière, de se vêtir selon sa condition, décemment et sans luxe, alors même que sa fortune lui permettrait ce luxe; de s'en tenir aux meubles simples, quoique de bon goût, parce que l'argent mis dans le mobilier ne rapporte rien, parce que le mobilier considérable fait perdre trop de temps pour l'entretien, et, qu'en définitive, l'ostentation ne mène qu'à la ruine. Il lui conseillait encore et surtout la propreté, qualité si aimable et si utile à la cam-lité la plus vulgaire, qui intéressent en améliorant, pagne notamment, qualité qui témoigne de l'esprit d'ordre. Il lui recommandait beaucoup de soins à l'endroit de la lingerie, de tenir note exacte du linge mis sous clef et de celui délivré pour les besoins du service journalier, de le faire entretenir par ses filles plutôt que par des couturières étrangères, de s'approvisionner chaque année de quelques pièces de toile pour le linge de corps, de lit, de table, pour les sacs, etc.; de bien tenir compte des recettes et des dépenses, et de se faire payer exactement, mais sans dureté.

Le même écrivain était d'avis que la maîtresse de maison fût levée la première et couchée la dernière; qu'elle donnât ses ordres la veille pour le lendemain, qu'elle portât une attention toute particulière aux repas. « Il ne faut pas, disait-il, que la fermière croie qu'il y ait de l'économie à ne donner que peu ou point de viande aux domestiques; c'est une erreur. Outre que cette

qui réjouissent l'esprit et le cœur, qui nous fassent aimer notre condition, qui nous éclairent, qui ne faussent point le jugement, et ne ressemblent en rien, en un mot, à ces publications regrettables qui empoisonnent chaque jour notre intérieur et ne corrompent pas seulement nos enfants. Nous ne voulons plus de ces écrits sortis de cerveaux malades ou gâtés, qui nous jettent dans une société de fantaisie et d'aventures, au milieu d'un monde où les passions malpropres s'agitent avec plus de succès que les sentiments respectables, où les mœurs de bohémiens ont le pas sur les mœurs des honnêtes gens, où l'on trouve une excuse à tous les vices, un côté séduisant à tous les crimes et un apaisement facile pour toutes les consciences troublées.

Si les personnes, auxquelles nous adressons ce livre, réunissaient au complet les qualités dont il a été question, la plus grande partie de notre travail deviendrait inutile. Nous avons voulu tout

« PreviousContinue »