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Le jour a disparu, et c'est l'heure où, dans le calme du soir, on se réunit autour de la lampe, près du foyer dont la clarté joyeuse brille parmi les premières froidures de l'automne aux teintes. mélancoliques, ou sourit aux rigueurs de l'impitoyable hiver, encourageant les causeries intimes et les propos familiers.

L'aïeule voit revenir avec bonheur ceux qu'emportaient loin d'elle les plaisirs extérieurs; mais le bel àge murmure de sa captivité entre les murs du salon dont la vieille pendule fait entendre sa voix fêlée, et assiste, impassible, aux joies et aux deuils des générations qui passent.

Les jeunes gens commentent les coups de fusil sous lesquels sont tombées leurs innocentes victimes ou récapitulent les kilomètres parcourus à l'allure vertigineuse de leurs bicyclettes. Vers la fin des vacances, ils aperçoivent déjà les visages sévères des professeurs du collège, et comme dans un cauchemar les dictionnaires apparaissent, entassés sur leurs pupitres.

Après avoir fait de la musique, les jeunes filles tirent l'aiguille, aux côtés de leurs mères, tandis que les pères déplient les journaux épars sur la table.

Le silence a succédé à la causerie.

Que faire dans son gite?..

Ne serait-ce pas le moment d'aller chercher dans la bibliothèque un volume qui ne soit pas encombrant par son format, ni austère par son sujet, qui convienne à peu près à tous les âges, principalement à la jeunesse, dont les yeux éveillés ne tarderont pas à se fermer, si nous entreprenons une lecture trop édifiante ou trop grave?

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Je l'ai pensé, et voilà l'heure que j'ai choisie pour m'introduire au milieu de vous, lecteurs et lectrices, pères et mères, rhétoriciens, bacheliers, jeunes filles qui avez peut-être obtenu vos brevets, en ces temps d'instruction à outrance, où les éducateurs seront bientôt plus nombreux que les élèves.

La prétention de vous instruire et de vous amuser est outrecuidante de ma part, j'en conviens. Et puis de quoi pourrais-je vous parler après tant d'autres que vous lisez avec plus de plaisir et de profit?

Mon intention est précisément de vous entretenir des œuvres d'autrui, des livres qu'on relit quand on les a lus, de Corneille, de Racine, de Molière, de Boileau, de La Fontaine, de Mme de Sévigné.

Je ne me flatte pas d'avoir rien découvert, rien inventé, et ce que je vous dirai ne sera, sans doute, pas bien nouveau. Mais si je ne vous ai pas révélé les écrivains dont les noms sont inscrits en tête de mes chapitres, j'aurai peutêtre contribué à vous les faire aimer davantage.

Vivre dans le commerce des beaux génies, des charmants esprits dont notre pays a le droit de s'enorgueillir, c'est respirer le parfum qui s'échappe de leurs ouvrages. Fleurs toujours brillantes, ils ont traversé les frimas, bravé les orages, défié l'inconstance humaine et gardent leur immortel éclat.

Nous qui, entraînés dans la course du temps, sommes sur le penchant de la colline, nous remonterons par la mémoire jusqu'aux sentiers fleuris de la vingtième année. L'image des écrivains toujours aimés, des auteurs de tant de chefs-d'œuvre, apportera aux longs soirs le rayonnement des clairs matins, et réunira dans un même culte les vieilles admirations et les jeunes souvenirs.

PROPOS LITTÉRAIRES

CHAPITRE PREMIER

L'HÉROÏSME DANS LES TRAGÉDIES DE CORNEILLE.

dit

I

Parmi nos poètes qui, à des titres divers, ont excité l'admiration et conquis une impérissable renommée, il n'en est qu'un seul auquel on ait décerné le nom de grand : c'est Corneille. On ne pas le grand Racine, ni le grand Molière; mais parlant de l'auteur du Cid et de Polyeucte, on dira communément : le grand Corneille. Cette qualification, qui semble réservée à des conquérants comme Alexandre, à des capitaines illustres comme Condé, à des monarques comme Louis XIV et Napoléon, est donnée à un homme de lettres, sans aïeux,

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