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Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue et portant bas l'oreille (1).

Plus le renard est habitué à tromper les autres, plus il est confus d'être attrapé lui-même. La cigogne lui a donné une leçon bien méritée, et cette leçon est plus sensible encore à son amourpropre que le jeûne auquel il a été condamné.

Il trouvera encore dans le coq plus malin que lui. Le voyant perché sur une branche d'arbre, il le supplie de descendre pour célébrer la paix qui vient d'être signée entre leurs nations. Le coq n'est pas dupe. Il est vrai que c'est un vieux coq ayant l'expérience de l'âge, un coq « adroit et matois ». II accepte ironiquement l'invitation perfide du renard en lui annonçant deux lévriers qui arrivent à toute vitesse et vont se réjouir avec eux (2).

Le renard prétexte aussitôt une longue course à faire et bat en retraite. Il ne livre jamais de combat: il ne sait que tendre des pièges, et il doit ses succès à la trahison. Il est rusé; il n'est pas courageux. Le coq se félicite d'avoir trompé l'éternel trompeur, et il rit d'un rire qui résonne comme le clairon après la victoire. Il est avec la cigogne le vengeur de la morale. Humilié par l'une, dupé par l'autre,

(1) Le Renard et la Cigogne.

(2) Le Coq et le Renard.

le renard ne triomphe pas toujours; mais il réussit souvent. Il a pour complices l'inintelligence, la crédulité, l'orgueil, la vanité, les vices, les travers qu'il exploite avec perfidie. Courtisan, il a pour armes, contre la puissance, le mensonge, la flatterie et la duplicité. Il résiste au despotisme en rampant devant lui. Souple, insinuant, à la force il oppose la ruse, a recours aux manèges, aux expédients. C'est le modèle des diplomates. L'artifice est son élément naturel; il excelle à se jouer des difficultés, à passer adroitement au milieu des écueils, et, né trompeur, la supercherie n'est pas seulement pour lui une nécessité, mais un plaisir et un jeu. Maître passé en fait de stratagèmes, les fourbes ont tous été élevés à son école.

Le rôle du renard dans les fables de La Fontaine, c'est celui de l'astuce et de la perfidie dans les affaires humaines; c'est l'histoire du monde et de la vie. Nous rencontrons le renard dans le palais des rois, dans les sentiers tortueux de la politique, partout où il y a des intrigues, où se croisent les rivalités et les ambitions. Des traits multiples de son caractère et de ses aventures, La Fontaine a composé une figure unique pour en former un type achevé, une image si frappante et si vraie qu'elle semble moins appartenir à la fiction qu'à la réalité.

CHAPITRE VI

LA BIBLIOTHÈQUE DE MADAME DE SÉVIGNÉ (1)

I

Que peut-on dire de Mme de Sévigné qui n'ait déjà été dit? Que reste-t-il à glaner dans ce champ où l'on a cueilli tant de fleurs? Il semble difficile de renouveler le sujet, tant il est épuisé. Il continue cependant de porter bonheur, et l'on ne court pas le risque d'ennuyer en parlant de celle qui a le privilège de plaire à toutes les générations.

Cette constante faveur du public, ce triomphe de la durée, cette victoire remportée sur le temps et sur l'inconstance humaine, ne tiennent pas seulement au charme de l'esprit de Mme de Sévigné, aux grâces d'un style incomparable. L'illustre mar

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(1) WALCKENAER, Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné. SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi. - Gaston BOISSIER, Mme de Sévigné, collection des grands écrivains français, édit. Hachette. - L. DE LA BRIÈRE, Mme de Sévigné en Bretagne.

quise a une qualité qui double le prix de toute. celles dont elle est si richement douée : la bonne humeur. Cette bonne humeur se répand sur son œuvre; elle l'éclaire d'un sourire et se communique au lecteur.

Mme de Sévigné a la santé morale; elle nous montre, dans un parfait équilibre, des facultés brillantes. Ses saillies, son imagination, ses enthousiasmes faciles n'excluent ni le jugement, ni le bon sens. Elle possède un autre privilège plus rare, celui de rester jeune pour tous ceux qui la lisent. Quoiqu'elle ait prolongé sa vie jusqu'à soixante-dix ans, nous n'associons pas son souvenir à l'image de la vieillesse. Elle n'a pas pris une ride, et nous la revoyons toujours, la plume à la main, avec les traits que nous a transmis le pastel de Nanteuil, si connu par la gravure. De longues boucles accompagnent un visage agréable où brillent de beaux yeux qui expriment la bonté. Nous savons qu'à cette bonté s'alliait de la malice, mais une malice sans méchanceté, et qui provenait d'un fonds d'inépuisable gaieté.

Mme de Sévigné aime la plaisanterie. Elle a même, à l'occasion, l'esprit gaulois, et ne se laisse pas effaroucher par des libertés de langage; elle ne recule pas devant le mot hardi. Ce n'était pas seulement l'effet d'une nature prime-sautière, mais

une des habitudes du temps, et comme un reste des audaces du vieil esprit français survivant au milieu de la majesté et des mœurs polies du siècle de Louis XIV.

Née en 1627, Mme de Sévigné est parvenue à la mâturité de l'âge lors de la floraison littéraire du grand règne, où Racine, Molière, La Fontaine prennent possession d'eux-mêmes et donnent leurs chefs-d'œuvre.

Elle reste de l'époque de Corneille, qui eut toujours ses prédilections. Ayant brillé à l'hôtel de Rambouillet, elle y a connu les beaux esprits si fort maltraités par Boileau, et l'on ne s'étonnera pas qu'elle n'ait pas partagé à leur égard les sévérités du célèbre satirique. Toutefois, elle a trop d'esprit et de goût pour ne pas admirer les grands écrivains qui élèvent si haut la gloire des lettres françaises, et pour ne pas subir l'influence de leurs œuvres.

Mme de Sévigné a un titre considérable dans l'histoire littéraire; elle est créatrice d'un genre devenu, pour ainsi dire, inséparable de son nom : le genre épistolaire. Balzac, avant elle, s'était fait remarquer par ses lettres; mais l'éloquence y dominait. Ce n'était pas le style familier, c'était le style pompeux. Voiture avait apporté à cette manière d'écrire une recherche poussée jusqu'à l'affectation. Mme de Sévigné donna au genre son

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