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CHAPITRE V

LE ROLE DU RENARD DANS LES FABLES DE LA FONTAINE.

I

<< Le renard est fameux par ses ruses et mérite en partie sa réputation; ce que le loup ne fait que par la force, il le fait par adresse et réussit plus souvent... Il emploie plus d'esprit que de mouvement; ses ressources semblent être en lui-même : ce sont, comme l'on sait, celles qui manquent le moins. Fin autant que circonspect, ingénieux et prudent, même jusqu'à la patience, il varie sa conduite, il a des moyens de réserve qu'il sait n'employer qu'à propos... Quoique aussi infatigable et même plus léger que le loup, il ne se fie pas entièrement à la vitesse de sa course; il sait se mettre en sûreté en se pratiquant un asile où il se retire dans les dangers pressants... >>

Le caractère moral du renard est tout entier dans ces lignes de Buffon. Le voilà bien, tel qu'il est et

tel que nous nous le figurons. Son extérieur trahit sa duplicité. Le museau effilé dénote la finesse, et les yeux, souvent à demi fermés, évitent les regards, cherchant à observer sans se laisser deviner. Sa marche prudente et calculée décrit des courbes, semble flairer un piège et vouloir éviter un danger. C'est celle d'un animal soupçonneux, méfiant à l'excès, méditant sans cesse quelque mauvais tour.

Le loup est un brutal dont la méchanceté agit sans dissimulation et ne cherche qu'à satisfaire ses instincts voraces. S'il cherche querelle à l'agneau, il ne discute pas longtemps avec lui; il l'emporte et le mange << sans autre forme de procès »

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La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Tout autre est le renard, qui ne demande pas le succès à la force, mais à l'habileté. Il ne se complaît au mal que s'il y joint la préméditation, la fourberie. C'est un raffiné. Son plus grand plaisir est de faire des dupes. Rien n'égale la fertilité de son esprit, si riche en stratagèmes. Il ne lui en coûte pas de recourir à la flatterie pour sortir d'un mauvais pas ou pour attraper une de ses victimes. Il est né courtisan; il en est le type; il en a l'expérience et l'adresse, et il sait bien que le meilleur moyen de gouverner les rois est d'exploiter leurs faiblesses.

Un personnage aussi rusé, aussi perfide, aussi dissimulé, est profondément antipathique; mais il a tant d'esprit que nous nous divertissons du spectacle donné par sa malice. Il est donc tout naturellement désigné pour jouer un rôle dans la comédie humaine, pour être un des acteurs le plus souvent en scène. Ne nous étonnons pas de le rencontrer dans les fabliaux du moyen âge et de le voir inspirer le Roman du Renard, où il apparaît sous tous les aspects de son caractère artificieux, trop déloyal pour plaire à une nation éprise de droiture et de franchise, mais trop spirituel pour ne pas divertir le Français « né malin » .

La Fontaine n'a fait que suivre la tradition en transportant le renard dans ses fables. Il l'a trouvé occupant une place importante dans la littérature, dans la satire qui égayait l'esprit gaulois. Il tenait l'emploi des fourbes et s'en acquittait à merveille. Le grand fabuliste s'en est emparé à son tour, et s'il n'a pas créé le personnage, il l'a immortalisé par de nouveaux rôles ; il l'a peint par des traits qui vivent dans la mémoire.

Voici d'abord le courtisan. Le lion est un puissant roi; mais le renard est un habile sujet; il possède la science du monde et connaît le langage des cours. Lorsque la colère du ciel s'est manifestée par un terrible fléau, le lion, pris de remords, a

invité chacun à faire son examen de conscience (1). Il a donné l'exemple et s'est confessé publiquement. Sa confession n'était peut-être pas très sincère. Le renard ne s'est pas contenté de l'absoudre; il a fait l'éloge de Sa Majesté; au lieu de se poser en accusateur, il a parlé en casuiste :

Vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur;

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire.

Il n'y a plus de doute. Le lion est innocent; ses méfaits sont œuvres pies. Le vrai coupable, c'est l'àne, car il n'a pour lui ni la puissance du lion, ni l'astuce du renard, ni la cruauté du loup.

Nul ne saura comme le renard déjouer les embùches, échapper aux griffes du lion, désarmer le terrible monarque, mêler la prudence à la flatterie. L'ours, peu courtisan, a signalé avec trop de franchise, en se bouchant le nez, la mauvaise odeur qui s'exhale du palais, ou plutôt du charnier dans lequel le lion, tenant cour plénière, a rassemblé

(1) Les animaux malades de la peste.

tous ses sujets. Le singe a été flatteur jusqu'à l'adulation et s'est perdu en voulant trop louer. Pressé de s'expliquer à son tour, le renard prétexte un rhume et s'excuse sur son manque d'odorat (1). II s'en tire en évitant de se prononcer. Sa réponse est d'un Normand. C'est aussi en Normand qu'il agit en ne se rendant pas à l'appel du lion malade qui, ne pouvant plus atteindre les animaux destinés à son repas, les invite chez lui, avec promesse de les bien traiter. Tous obéissent, à l'exception du renard. Celui-ci a observé que si l'on peut suivre leur trace vers l'antre redoutable, on ne voit jamais l'empreinte de leurs pas indiquer leur retour. Son parti est pris. Il se tiendra prudemment éloigné de la demeure royale (2). Il se gardera bien encore d'y aller lorsque le souverain << goutteux et décrépit convoque les médecins et leur demande des remèdes contre la vieillesse. Le loup, qui déteste le renard, a fait méchamment remarquer son absence, et l'accusé doit comparaître pour se disculper. Voyez avec quelle adresse il présente sa défense:

Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère
Ne m'ait à mépris imputė

D'avoir différé cet hommage.
Mais j'étais en pèlerinage

Et m'acquittais d'un vou fait pour votre santé.

(1) La cour du Lion.

(2) Le Lion malade et le Renard.

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