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lutte contre des auteurs déjà discrédités, tandis qu'il y avait de sa part autant de clairvoyance que de courage à déclarer la guerre aux puissances établies. On a pu remarquer qu'il prit à partie presque tous les littérateurs de l'époque et une fraction importante de l'Académie. Il ne craignait pas d'attaquer avec la même indépendance la noblesse et la Cour, où le mauvais goût littéraire avait trouvé des appuis. C'est par ces vers qu'il termine le premier chant de l'Art poétique :

Notre siècle est fertile en sots admirateurs,
Et sans ceux que fournit la ville et la province
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a chez les courtisans.
De tout temps rencontré de zélés partisans,
pour finir enfin par un trait de satire,

Et

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

S'il a donné dans ses satires un libre cours à sa critique, il essaye de l'atténuer parfois dans ses préfaces et d'adoucir ce qu'elle pourrait avoir de blessant pour les personnes, en rendant justice aux écrivains qu'il avait censurés.

« Je n'ai pas prétendu, écrit-il dans une de ces préfaces (1), que Chapelain, quoique assez méchant poète, n'ait pas fait autrefois, je ne sais comment, une assez belle ode, et qu'il n'y ait point d'esprit

(1) Éditions de 1683, 1685 et 1694.

ni d'agrément dans les ouvrages de M. Quinault, quoique si éloignés de la perfection de Virgile... Je veux bien aussi avouer qu'il y a du génie dans les écrits de Saint-Amant, de Brébeuf, de Scudéry et de plusieurs autres que j'ai critiqués, et qui sont en effet d'ailleurs aussi bien que moi dignes de critique. En un mot, avec la même sincérité que j'ai raillé ce qu'ils ont de blàmable, je suis prêt à convenir de ce qu'ils peuvent avoir d'excellent. »

C'était couronner de fleurs ses victimes, non sans y mêler quelques épines. Boileau peut alors, du reste, déposer les armes, sans danger pour la cause dont il s'est constitué l'avocat. Il a triomphé, et il lui sied de se réconcilier avec ceux qu'il a voués à un ridicule éternel.

Paix générale cette fois!

Les battus eurent, sans doute, plus de peine à oublier les coups dont la trace reste, ineffaçable, sur leurs noms et leurs écrits. Mais on peut dire que la mission de Boileau est remplie. Qui songerait à lui reprocher sa victoire? Elle est celle de la raison, du bon goût, et il a largement contribué à délivrer la littérature de la pédanterie, de l'affectation, des faux brillants du bel esprit dont l'invasion allait lui devenir funeste. Aucun des écrivains flagellés par l'auteur des Satires n'a pu, dans

de tardives réhabilitations, retrouver une faveur posthume. La postérité a confirmé les jugements de Boileau. Nous avons beau nous regimber contre son autorité, nous restons de son avis, parce que nous gardons la juste admiration du siècle de Louis XIV, où il occupe la place de censeur, d'un censeur sévère, mais éclairé. On s'est révolté parfois contre lui. Le romantisme a brisé avec éclat, et non sans gloire et sans profit, le joug des règles classiques, franchissant le cercle où elles eussent enfermé l'esprit, étouffé l'imagination. Mais après les écarts auxquels se livrent les disciples inconsidérés des novateurs illustres, on écoute volontiers les sages préceptes de Boileau :

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
Avant donc que d'écrire apprenez å penser.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.

Il a mis en garde les versificateurs contre le penchant qui les entraîne vers des productions trop spontanées. Il leur a enseigné le prix du travail, la nécessité de l'effort, l'art de « faire difficilement des vers faciles » .

C'est en vain qu'on annonce de temps en temps les funérailles de Boileau. Le grand satirique n'est pas mort. Il continue de montrer son visage grondeur aux jeunes poètes et de leur prêcher la défiance d'eux-mêmes.

Ce qui prouve la vitalité de Boileau, c'est le nombre et la continuité de ses lecteurs. Ses œuvres n'ont pas eu moins de cent vingt-cinq éditions de son vivant, et l'on en a compté deux cent vingt-cinq de 1711 à 1832. C'est encore une victoire remportée par lui sur les écrivains dont les noms ne vivent plus que par ses vers.

Voltaire, dans son épître au célèbre satirique, a manqué de justice et de vérité en le qualifiant de

Correct auteur de quelques bons écrits,

Zoïle de Quinault et flatteur de Louis.

Nous venons de voir quelle part doit être faite dans sa censure de Quinault. S'il flatta Louis XIV, il ne se distingua point en cela de son temps, et partagea de bonne foi les sentiments de ses contemporains. Il exerça, du moins, sur le grand Roi, une utile influence en éclairant son goût, en dirigeant sa conscience littéraire, et, soutenu de la faveur du monarque, il a pu tenir tète aux envieux, aux pédants, aux détestables rimeurs, aux parasites de la littérature.

C'est en prêchant les règles du goût et en s'y conformant lui-même qu'il a triomphé du temps et obtenu le succès le plus rare, celui de la durée, à travers la mobilité des esprits et l'inconstance de la mode. Son œuvre offre ce caractère perma

nent qui est la marque des choses excellentes.

Les entraves apportées par lui ont été salutaires, et la tradition qu'il inaugure s'est continuée, en dépit des changements et des innovations. Elle représente l'alliance de l'esprit classique et de l'esprit français. On s'en éloigne parfois, mais on y revient, comme après les égarements passagers on revient à la raison.

de

Ne nous brouillons pas avec Boileau. Ce censeur redoutable frappe de mort les livres qu'il maudit. Il est dangereux d'être du parti de ses adversaires. Ses sentences ont force de loi; on ne se relève pas ses condamnations, et tout poète doit craindre son froncement de sourcil, car ce n'est pas impunément qu'il s'attirerait l'anathème de cet impitoyable ennemi des mauvais vers.

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