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voir celui dont les beaux vers avaient contribué à la gloire littéraire du grand siècle. L'apercevant un jour dans le parc de Versailles, elle l'attira à l'écart pour lui parler de son désir de l'aider à rentrer en grâce. Le bruit d'une calèche, qui était celle de Louis XIV, interrompit la conversation, et obligea Racine à se cacher dans un bosquet.

L'insuccès d'Athalie se joignit à la défaveur dont il éprouvait l'amertume, pour attrister les dernières années du poète. Il trouva, du moins, des consolations dans les pratiques de la piété et dans les douceurs de la vie de famille. Chaque soir, il faisait la prière au milieu de ses enfants et de ses domestiques, et commentait l'Évangile en termes simples et pénétrants. Ses lettres adressées à son fils font connaître, avec les sollicitudes dont il l'entourait, les sentiments religieux qu'il cherchait à lui inspirer.

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Songez, lui écrivait-il, que vous êtes chrétien, et à quoi vous oblige cette qualité. Ce sera le comble de ma joie de vous voir dans cette disposition, et je l'espère de la grâce du Seigneur (1).

« Je veux me flatter, lui écrit-il encore, que, faisant tout votre possible pour devenir parfait honnête homme, vous concevrez qu'on ne peut l'être

(1) Lettres de Racine à son fils, 24 mars 1698.

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sans rendre à Dieu ce qu'on lui doit. Vous connaissez la religion : je puis dire même que vous la connaissez belle et noble comme elle est, et il n'est pas possible que vous ne l'aimiez. Pardonnez si je vous mets quelquefois sur ce chapitre; vous savez combien il me tient à cœur, et je puis assurer que plus je vais en avant, plus je trouve qu'il n'y a rien de si doux au monde que le repos de la conscience, et de regarder Dieu comme un père qui ne nous manquera pas dans tous nos besoins (1).

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Si Louis Racine ne fut pas l'héritier du génie de son père, il recueillit avec une légitime fierté la gloire de son nom. Le poème de la Religion, dont il est l'auteur, est un pâle reflet d'Esther et d'Athalie; mais c'est le témoignage des sentiments chrétiens qu'il avait puisés dans les leçons paternelles.

Saint-Simon, si avare d'éloges, loue en Racine les vertus privées, et dit de lui: « Rien au potic dans son commerce, et tout de l'honnête homme, de l'homme modeste, et sur la fin de l'homme de bien (2).

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Il termina sa vie à cinquante-neuf ans. Voyant Boileau pour la dernière fois : « Je regarde comme

un bonheur, lui dit-il, de mourir avant vous. » Je ne sais rien de plus touchant que cette amitié

(1) Lettre du 21 juillet 1698.

(2) Mémoires, II, 6.

qui, après avoir été d'abord l'échange de deux esprits, devint l'union intime de deux cœurs.

Dans l'épitaphe de Racine, composée en latin et traduite par Boileau, on lit ces paroles, empreintes de leur commune foi religieuse :

« O toi! qui que tu sois, que la piété attire en ce saint lieu, plains dans un si excellent homme la triste destinée de tous les mortels; et quelque grande idée que puisse te donner de lui sa réputation, souviens-toi que ce sont des prières et non pas de vains éloges qu'il te demande (1).

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Cette expression de l'humilité chrétienne convenait à celui dont les derniers chants furent des chants religieux, et il est beau d'implorer l'obscure prière du passant sur la tombe glorieuse de Racine.

(1) La pierre sépulcrale sur laquelle était gravée cette inscription fut retrouvée en 1808 à Magny-Lessart, ancienne paroisse de uyai, elle a été transportée en 1828 à Paris, dans l'église de Saint-Étienne du Mont, où sont les restes de Racine.

CHAPITRE III

LES SERVANTES DE MOLIÈRE

I

y

Les comédies de l'ancien répertoire nous monIrent des personnages disparus de la scène moderne, ou n'y occupant qu'un rôle secondaire et insignifiant ce sont les valets et les soubrettes. Nous voyons les Frontins et les Lisettes agir et parler avec une liberté d'allures, une hardiesse de langage que ne comportent plus les usages de notre époque, qui aime pourtant à se dire démocratique, et qu'autorisaient les mœurs du temps, où les serviteurs, traités avec une extrême familiarité, initiés à tous les événements de la vie domestique, participaient à des sentiments bienveillants, affectueux, rapprochant les distances, sans niveler les rangs.

Au théâtre du dix-huitième siècle on pourra trouver que les valets et les soubrettes ont trop d'esprit et

qu'ils en ont parfois plus que leurs maîtres, dont ils ne se distinguent guère que par le costume. Il est permis d'y apercevoir le progrès des idées égalitaires; mais on y retrouvera surtout le caractère d'une époque où les grandes dames prennent des habits de bergère et gardent, en robes à panier, les moutons enrubannés de Florian.

Le théâtre du dix-septième siècle accuse la différence des mœurs, au point de vue des serviteurs qu'on y voit figurer. Sans doute, ils ont la main leste et l'esprit déluré; mais ils ne pirouettent pas à la façon des marquis à talons rouges. Les servantes de Molière n'ont pas la recherche, la distinction et les grâces des soubrettes de Marivaux. Les unes sont de bonnes grosses filles, à mine réjouie, hautes en couleur, fortes en gueule, ayant les manches retroussées, le mot trivial, l'esprit gaulois. Les autres rehaussent la blancheur de leur teint d'une mouche assassine; elles ont le goût de l'élégance et les manières de cour; elles ont respiré l'air de Versailles.

On ne sera pas surpris de la confusion imaginée dans les Jeux de l'amour et du hasard, où les rôles sont intervertis, et où la soubrette peut soutenir avec aisance l'épreuve qui la fait monter au rang d'où sa maîtresse est momentanément descendue.

Les servantes de Molière ne se prêteraient pas à de semblables métamorphoses. Elles conservent le

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