Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout. Vite, je m'approchai pour voir ce beau trésor... Le Crocodile et l'Esturgeon mettent en présence la méchanceté sans remords et la bonté naïve et confiante. Le crocodile, apercevant deux enfants sur le rivage du Nil, en a dévoré un, pendant que l'autre s'enfuyait. Le « saint homme d'esturgeon entend le monstre exhaler du fond des eaux des soupirs et des sanglots. Il croit à son repentir et lui crie : Malheureux ! manger un enfant ! Mon cœur en a frẻmi; j'entends gémir le vôtre... Voici une fable dont la gaieté piquante contraste avec la fadeur souvent reprochée à Florian. C'est une véritable scène de comédie où les rôles sont remplis par des animaux : Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique, Mais instruit, éloquent, disert Et sachant très bien sa logique, Se mit à prêcher au désert. Son style était fleuri, sa morale excellente. Donnent à peu de frais cette félicité Qu'un monde imposteur nous présente Et nous fait payer cher sans la donner jamais. Notre prédicateur n'avait aucun succès; Personne ne venait hors cinq ou six marmottes, Qui vivaient loin du bruit, sans entour, sans faveur, Il prit le bon parti de changer de matière, Leur soif, leur rage sanguinaire. Tout le monde accourut alors à ses sermons : Et le nom du renard devint bientôt fameux. Bonhomme au demeurant, et vieillard fort pieux, Le renard fut charmé de faire son entrée Peint la faible innocence à leur aspect tremblante, Les courtisans, surpris de tant de hardiesse, Car le roi trouvait cela bien. La nouveauté parfois fait aimer la rudesse. Je vous dois un juste salaire; Que me demandez-vous pour prix de vos leçons? (1) Le Renard qui prêche. Par la forme et l'intention, cette fable se rapproche de la satire. Elle nous transporte dans la chapelle de Versailles, pendant un sermon prêché à la Cour, devant Louis XIV vieillissant et repenti. Dans chacun des animaux nous reconnaissons un type humain. L'esprit piquant, le naturel dont toutes les fables de La Fontaine nous offrent des exemples si variés, sont ce qui manque à la plupart de celles de Florian. Leurs défauts ne proviennent pas seulement de l'infériorité du talent, mais de l'époque, qui prête aux choses les plus simples sa gràce un peu mièvre, et n'a plus ni l'originalité ni la vigueur qu'on trouve dans les productions du dix-septième siècle. Florian correspondit au goût et aux idées de ses contemporains, et sut se distinguer de la foule des écrivains par la flexibilité d'un esprit qui aborda bien des genres, et s'est montré supérieur dans la fable, où il est effacé par celui dont le génie demeure sans rival. Trop vanté peut-être en son temps, il a été trop déprécié par le nôtre. Soyons à la fois moins élogieux et moins sévères. Rendons justice aux qualités de son talent. Il n'a pas gravi les sommets atteints par le génie; il reste dans les vallons aux prés verdoyants et y promène sa rêverie. Il n'a pas le vol de l'aigle, mais le joli ramage qu'on aime à entendre dans les bois. S'il n'a pas la force, il a la grâce, des dons heureux, des pensées qui jaillissent d'une source abondante. Son œuvre morale exhale le parfum des âmes délicates. Dans le temple de nos gloires littéraires, il n'a pas droit à un autel, mais il mérite une couronne de fleurs. CHAPITRE XI LE SENTIMENT DE LA NATURE AUX DIX-SEPTIÈME I Le sentiment de la nature a existé dans tous les temps; mais il a revêtu des formes différentes selon les époques et selon le caractère des écrivains. Virgile, dans les Géorgiques et les Bucoliques, Bion et Théocrite dans leurs idylles, ont été les poètes des champs, et, avant eux, Homère avait décrit la nature avec la simplicité de son génie. Chez les poètes de l'antiquité, la nature est souvent chargée des ornements de la mythologie. La fable y intervient parmi les paysages; la poésie descriptive se borne à des traits rapides, à de légères esquisses; elle s'attache plus aux personnes qu'aux choses inanimées. Horace, en maint endroit de ses épîtres et de ses satires, parle des charmes de la vie champêtre, de |