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Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout.
C'est la grande encyclopédie.

Vite, je m'approchai pour voir ce beau trésor...
C'était un peu de poudre d'or.

Le Crocodile et l'Esturgeon mettent en présence la méchanceté sans remords et la bonté naïve et confiante. Le crocodile, apercevant deux enfants sur le rivage du Nil, en a dévoré un, pendant que l'autre s'enfuyait. Le « saint homme d'esturgeon entend le monstre exhaler du fond des eaux des soupirs et des sanglots. Il croit à son repentir et lui crie :

Malheureux ! manger un enfant !

Mon cœur en a frẻmi; j'entends gémir le vôtre...
Oui, répond l'assassin, je pleure en ce moment.
Du regret d'avoir manqué l'autre.

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Voici une fable dont la gaieté piquante contraste avec la fadeur souvent reprochée à Florian. C'est une véritable scène de comédie où les rôles sont remplis par des animaux :

Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,

Mais instruit, éloquent, disert

Et sachant très bien sa logique,

Se mit à prêcher au désert.

Son style était fleuri, sa morale excellente.
Il prouvait en trois points que la simplicité,
Les bonnes mœurs, la probité,

Donnent à peu de frais cette félicité

Qu'un monde imposteur nous présente Et nous fait payer cher sans la donner jamais.

Notre prédicateur n'avait aucun succès;

Personne ne venait hors cinq ou six marmottes,
Ou bien quelques biches dévotes

Qui vivaient loin du bruit, sans entour, sans faveur,
Et ne pouvaient pas mettre en crédit l'orateur.

Il prit le bon parti de changer de matière,
Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
Contre leurs appétits gloutons,

Leur soif, leur rage sanguinaire.

Tout le monde accourut alors à ses sermons :
Cerfs, gazelles, chevreuils y trouvaient mille charmes;
L'auditoire sortait toujours baigné de larmes,

Et le nom du renard devint bientôt fameux.
Un lion, roi de la contrée,

Bonhomme au demeurant, et vieillard fort pieux,
De l'entendre fut curieux.

Le renard fut charmé de faire son entrée
A la cour: il arrive, il prèche, et cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante
Les féroces tyrans des bois,

Peint la faible innocence à leur aspect tremblante,
Implorant chaque jour la justice trop lente
Du maître et du juge des rois.

Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
Se regardaient sans dire rien,

Car le roi trouvait cela bien.

La nouveauté parfois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque, enchanté,
Fit venir le renard: Vous avez su me plaire,
Lui dit-il, vous m'avez montré la vérité;

Je vous dois un juste salaire;

Que me demandez-vous pour prix de vos leçons?
Le renard répondit : Sire, quelques dindons (1).

(1) Le Renard qui prêche.

Par la forme et l'intention, cette fable se rapproche de la satire. Elle nous transporte dans la chapelle de Versailles, pendant un sermon prêché à la Cour, devant Louis XIV vieillissant et repenti. Dans chacun des animaux nous reconnaissons un type humain.

L'esprit piquant, le naturel dont toutes les fables de La Fontaine nous offrent des exemples si variés, sont ce qui manque à la plupart de celles de Florian. Leurs défauts ne proviennent pas seulement de l'infériorité du talent, mais de l'époque, qui prête aux choses les plus simples sa gràce un peu mièvre, et n'a plus ni l'originalité ni la vigueur qu'on trouve dans les productions du dix-septième siècle.

Florian correspondit au goût et aux idées de ses contemporains, et sut se distinguer de la foule des écrivains par la flexibilité d'un esprit qui aborda bien des genres, et s'est montré supérieur dans la fable, où il est effacé par celui dont le génie demeure sans rival.

Trop vanté peut-être en son temps, il a été trop déprécié par le nôtre. Soyons à la fois moins élogieux et moins sévères. Rendons justice aux qualités de son talent. Il n'a pas gravi les sommets atteints par le génie; il reste dans les vallons aux prés verdoyants et y promène sa rêverie. Il n'a pas le vol

de l'aigle, mais le joli ramage qu'on aime à entendre dans les bois. S'il n'a pas la force, il a la grâce, des dons heureux, des pensées qui jaillissent d'une source abondante. Son œuvre morale exhale le parfum des âmes délicates. Dans le temple de nos gloires littéraires, il n'a pas droit à un autel, mais il mérite une couronne de fleurs.

CHAPITRE XI

LE SENTIMENT DE LA NATURE AUX DIX-SEPTIÈME
ET DIX-HUITIÈME SIÈCLES

I

Le sentiment de la nature a existé dans tous les temps; mais il a revêtu des formes différentes selon les époques et selon le caractère des écrivains.

Virgile, dans les Géorgiques et les Bucoliques, Bion et Théocrite dans leurs idylles, ont été les poètes des champs, et, avant eux, Homère avait décrit la nature avec la simplicité de son génie.

Chez les poètes de l'antiquité, la nature est souvent chargée des ornements de la mythologie. La fable y intervient parmi les paysages; la poésie descriptive se borne à des traits rapides, à de légères esquisses; elle s'attache plus aux personnes qu'aux choses inanimées.

Horace, en maint endroit de ses épîtres et de ses satires, parle des charmes de la vie champêtre, de

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