Page images
PDF
EPUB

Perrault, en les ressuscitant, nous rappelle l'àge heureux où nous demandions à la fiction les plaisirs que ne procurent pas les réalités. Gardonsnous donc de dédaigner ce vieux livre qu'ont feuilleté nos doigts d'enfant. S'il ne nous rend pas les années disparues, il nous ramène vers les chères illusions que le temps emporte avec lui, et nous présente l'image de la vie dans ce qu'elle a de meilleur les souvenirs d'enfance.

:

CHAPITRE X

LES FABLES DE FLORIAN

I

Dans la classification littéraire, on assigne à Florian un rang inférieur. Il n'est le premier que parmi les seconds. Ce n'est ni un grand écrivain, ni un poète de génie; c'est un talent aimable et facile, et, après plus d'un siècle, il apparaît encore avec une gracieuse auréole. Il reste la personnification d'un genre, d'une époque, et dans une galerie de portraits on peut suspendre son image parmi les pastels aux couleurs à demi-effacées, auprès d'une de ces bergères dont un bouquet de roses fleurit le corsage et qui garde, d'un œil distrait, des moutons trop bien peignés. Il appartient par la date de sa naissance, par son tour d'esprit, à ce monde brillant et factice du dix-huitième siècle où les paysages ressemblent à un joli décor d'opéra, où la nature est artificielle comme les personnages, fami

liers de Trianon, monde qui commence par une idylle et finit par une tragédie.

C'est le règne des utopies, des rêves humanitaires, de la régénération universelle, la vision de l'âge d'or, la préface douce et tendre d'un livre dont les pages furent tachées de sang. Voltaire était roi, et enseignait le rire moqueur à toute une génération convertie à l'incrédulité par la séduction de son esprit. Jean-Jacques Rousseau prêchait à autrui la morale qu'il outrageait par sa vie, et, dangereux apôtre, détruisait tout en voulant tout réformer. La société, bercée par des chimères, s'avançait, souriante, vers le précipice que l'illusion et le mensonge avaient couvert de fleurs.

Florian est le poète inoffensif de cette société dont le pinceau de Lancret et de Watteau nous représente les élégances et les grâces maniérées. Il reflète les idées et les aspirations de son temps, sans exercer sur elles une influence, une direction. Pourquoi la Révolution vint-elle l'éveiller dans ses rêves et troubler son repos? Il ne demandait qu'à couler d'heureux jours, au milieu d'hommes paisibles et vertueux. On lui reprochait de ne pas mettre de loup dans ses bergeries. Les loups sont venus en 93, et Florian a eu le sort de l'agneau.

Son existence fut courte, mais assez digne d'envie, et il n'eut pas trop à se plaindre de la fortune. Issu

d'une famille noble et appauvrie, il naquit en 1755 à Florian, dans le château de ses pères, au pied des Cévennes. Sa mère, Gilette de Salgues, d'origine espagnole, mourut en lui donnant le jour. Il ne se consola jamais de l'avoir perdue, et la privation des sollicitudes maternelles jeta sur sa vie une ombre mélancolique.

Un mot naïf de son enfance peint les sentiments de son cœur ouvert aux affections, à la tendresse. Un petit paysan, son frère de lait, vint se plaindre à lui d'avoir été maltraité par sa inère. Que tu es heureux, lui dit-il, de pouvoir être battu par ta mère! »

[ocr errors]

Son oncle, le marquis de Florian, avait épousé une nièce de Voltaire. Conduit par lui à Ferney, il reçut les encouragements de celui qui fascinait son siècle. Voltaire loua la précoce intelligence de l'enfant, qu'il appelait en badinant Florianet. Ce surnom aurait lui convenir à un âge plus avancé; il exprime la gentillesse de sa nature et la gracilité de son

pu

œuvre.

En 1768, Florian entra au service du duc de Penthièvre, en qualité de page. L'excellent prince passait sa vie à faire le bien. Dans sa petite cour de Sceaux et d'Anet, on aurait pu se croire revenu au temps des bonnes fées qui interviennent dans les affaires humaines, et d'un coup de baguette arran

gent les situations les plus malheureuses ou les plus embrouillées. Il eût fourni le sujet d'une de ces idylles à la mode sous le règne du vertueux roi Louis XVI, où l'on était sensible, où l'on s'attendrissait à la pensée de voir s'ouvrir, en réformant la société, une ère de paix éternelle et de pure félicité.

Florian était l'homme d'une pareille cour, et il dut y puiser beaucoup des sentiments que traduisent ses écrits. Il eut bientôt conquis les bonnes grâces de son prince, qu'il charmait par sa douceur et amusait par son esprit. Il obtint, grâce à lui, une lieutenance dans le régiment de dragons de Penthièvre et suivit la carrière des armes, qui répondait aux traditions de sa famille. Nous ne nous figurons pas Florian guerrier. Il n'avait certainement du dragon que l'uniforme; mais il aimait l'éclat de cet uniforme et confesse ingénument le plaisir qu'il éprouva à en être revêtu pour la première fois. «Je me regardais dans toutes les glaces, a-t-il dit; j'étais occupé de savoir si j'avais l'air d'un officier; ma cocarde faisait le bonheur de ma vie. »

En garnison à Maubeuge, il venait passer ses congés à Paris et consacrait ses loisirs à la poésie. La plume l'attirait plus que l'épée, et nous ne sommes pas surpris de le voir quitter le régiment.

« PreviousContinue »